Qualification juridique et force exécutoire d’un accord de médiation en matière de transparence
Faits
Une association, ayant pour but statutaire « la promotion et la défense des intérêts, de la qualité de vie et la protection environnementale du secteur B », demande à la commune de Chêne-Bougeries, sur la base de l’art. 28 al. 1 LIPAD, l’accès à divers documents portant sur la stratégie de mise en œuvre des secteurs C et B définis par le plan directeur communal (PDCom). Les documents comprennent les procès-verbaux des séances de la commission territoire, urbanisme et mobilité, les ordres du jour relatifs à ces séances, les compositions de la commission et les rapports et études de la Société D mandatée pour la réalisation du PDCom.
Par courrier du 5 mai 2021, la commune refuse de donner suite à la demande pour deux motifs. Premièrement la communication des procès-verbaux d’une commission reviendrait à les rendre publics, ce qui serait contraire à l’art. 10 al. 6 de la Loi genevoise sur l’administration des communes et l’art. 85 du Règlement du conseil municipal. Secondement, que la communication de l’ensemble des documents demandés serait propre à entraver un processus décisionnel en cours et à révéler des informations couvertes par le secret des affaires et troisièmement, que la demande était insuffisamment précise.
Par courrier du 17 mai 2021, l’association requiert la mise en œuvre d’une médiation auprès du Préposé genevois à la protection des données et à la transparence. Lors de la séance de la rencontre de conciliation du 8 juin 2021, l’association était représentée par son avocat et la commune par son secrétaire général (également responsable LIPAD de la commune). Il a été convenu que la demande d’accès se limite aux documents relatifs à la période antérieure à la consultation publique, considérant en l’état que les documents ultérieurs à la consultation publique précitée portaient sur un processus en cours. En outre, il a été convenu que les documents, non caviardés, seront remis dans un délai de quinze jours (première série) respectivement un mois (deuxième série).
Le 30 juin 2021, la commune transmet à l’association les documents de la première série. Toutefois, les procès-verbaux de commission ainsi que deux points de l’ordre du jour d’une séance de commission sont caviardés, contrairement à l’engagement pris par la commune. Par ailleurs, les documents de la deuxième série ne sont pas transmis.
Après des échanges infructueux entre les parties, l’association forme une « action en exécution formée par le droit public » devant la chambre administrative de la Cour de justice en concluant, principalement, à la communication de l’ensemble des documents visés par l’accord de médiation dans un délai de dix jours suivant la notification de l’arrêt. La commune a conclu à l’irrecevabilité de l’action au motif que l’accord de médiation ne constituait, selon elle, pas un acte attaquable.
Appelé en cause, le Préposé genevois a considéré, dans ses observations, que « l’accord de médiation devait pouvoir être exécuté sans qu’une décision subséquente soit nécessaire, faute de quoi il serait dénué de toute portée ». En ce sens, le Préposé genevois a souligné que l’accord de médiation pouvait être qualifié soit de décision administrative, soit de contrat de droit public, en précisant que la seconde solution apparaissait préférable.
Procédure de médiation selon la LIPAD
La personne dont la demande d’accès n’a pas été satisfaite peut saisir le Préposé genevois d’une requête écrite de médiation, sommairement motivée (art. 30 al. 1 let. a LIPAD). La requête doit être introduite dans un délai de 10 jours à compter de la confirmation écrite de la prise de position de l’institution auprès de laquelle la demande d’accès a été adressée (art. 30 al. 2 LIPAD). La procédure est gratuite et doit être simple et rapide (art. 30 al. 6 LIPAD et art. 10 al. 2 RIPAD).
Le Préposé genevois informe le responsable LIPAD de l’institution concernée. Il incombe à ce dernier de renseigner le Préposé genevois et de représenter l’institution dans le cadre de la procédure de médiation (art. 10 al. 7 RIPADv). Par ailleurs, le Préposé genevois recueille de manière informelle l’avis des institutions concernées sur le document demandé par la personne requérante et sur l’accès à celui-ci (art. 30 al. 3 LIPAD et art. 10 al. 8 RIPAD).
Au cours de la procédure, le Préposé genevois entend les parties et peut les réunir. Il s’efforce de les amener à un accord et peut leur soumettre des propositions (art. 10 al. 9 RIPAD).
Si la médiation permet d’aboutir à un accord entre les parties, l’affaire est classée et le résultat de l’accord est formalisé dans un document écrit, avec le concours du Préposé genevois (art. 30 al. 4 LIPAD et art. 10 al. 10 RIPAD). En revanche, si la médiation échoue, le Préposé genevois formule une recommandation écrite et l’institution concernée doit rendre une décision dans les 10 jours (art 30 al. 5 LIPAD).
Nature juridique de l’accord de médiation
La question centrale que soulève le cas d’espèce est la qualification de la nature juridique de l’accord de médiation. D’une part, cette qualification est nécessaire pour apprécier de la recevabilité de l’acte de procédure, que ce soit sous la forme d’une action (forme utilisée par l’association) ou d’un recours. D’autre part, la nature juridique de l’accord de médiation et en particulier sa force contraignante ou non est déterminante pour trancher le litige.
Sous l’angle de la recevabilité, la chambre administrative rappelle que, conformément à l’art. 132 al. 3 LOJ, la chambre administrative connaît en instance unique des actions fondées sur le droit public qui ne peuvent pas faire l’objet d’une décision au sens de l’art. 132 al. 2 LOJ et qui découlent d’un contrat de droit public. Le fait que l’action se fonde sur le droit public étant incontesté, la chambre administrative se concentre sur les deux autres conditions, qu’elle examine conjointement, à savoir si l’action découle d’un contrat de droit public et si elle ne peut pas faire l’objet d’une décision.
Tout d’abord, la chambre administrative souligne que la législation genevoise, contrairement au droit fribourgeois, ne prévoit pas expressément que l’accord de médiation devient immédiatement exécutoire, mais se contente d’indiquer que la procédure est classée. En outre, elle relève que la législation ne prévoit pas de décision subséquente de l’institution concernée en cas de réussite de la médiation.
Par ailleurs, la Chambre administrative considère que « l’accord de médiation en matière d’accès aux documents est par définition un acte bilatéral résultant d’une manifestation concordante de volontés, ce qui correspond à la définition du contrat », tout en précisant que dans le cadre d’une demande d’accès des documents officiels, c’est généralement l’entité publique visée qui devra fournir la part essentielle des prestations prévues de sorte que le contrat sera, en règle générale, unilatéral, même si une contre-prestation est possible, notamment sous forme d’un émolument. Sur la base de ces considérations et en s’appuyant sur l’opinion doctrinale majoritaire, la Chambre administrative retient que l’accord de médiation est un contrat de droit administratif. Il en résulte que l’action fondée sur le droit public, déposée par l’association, est recevable.
Sur le fond, la Chambre administrative retient que l’accord de médiation a été formalisé par écrit de manière claire et que rien ne permet de retenir que l’accord de la commune n’a pas été librement donné ou que le contrat n’est pas parfait. Partant, l’accord de médiation doit être respecté conformément au principe pacta sunt servanda, dans la mesure où il est exécutoire. De ce fait, la Chambre administrative donne raison à l’association et ordonne à la commune de donner accès aux documents qu’elle s’est engagée à transmettre.
Conclusion
Cet arrêt apporte des éclaircissements intéressants relatifs à la procédure de médiation en matière de transparence. Bien que l’arrêt porte sur la législation genevoise, il reste pertinent pour les procédures fédérales et cantonales similaires. Dans cet arrêt, la chambre administrative adopte, judicieusement, la solution privilégiée par la majorité de la doctrine consistant à qualifier l’accord de médiation de contrat de droit public. Une qualification de l’accord de médiation en tant que décision, comme le soutien la doctrine minoritaire, n’aurait pas eu de conséquence sur la force exécutoire dudit accord, cependant une telle qualification aurait fait abstraction de la nature bilatérale de l’accord de médiation qui résulte d’une négociation entre l’autorité administrative et la personne qui fait une demande de transparence.
Proposition de citation : Alexandre Bussy, Qualification juridique et force exécutoire d’un accord de médiation en matière de transparence, 14 novembre 2023 in www.swissprivacy.law/265
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