Droit du justiciable de demander la rectification de ses données personnelles
Demande d’accès, médiation et recommandation
La présente affaire est consécutive à un rapport de la Cour des comptes relatif à un audit de gestion et de légalité portant sur la politique et la gestion des ressources humaines d’une commune genevoise. A., B. et C., alors conseillers administratifs de ladite commune, avaient sollicité, par le biais de leur avocat, la copie du procès-verbal d’audition de la société en charge d’une hotline en faveur de son personnel. La demande avait été déposée tant sous l’angle de la transparence (accès au document), ce qui ouvrait la voie à une médiation, que sous l’angle de la protection des données personnelles (cessation d’un traitement prétendument illicite de données concernant les requérants au sens de l’art. 47 LIPAD).
La médiation ayant échoué, la Préposée adjointe s’est attelée à la rédaction d’une recommandation. Toutefois, elle n’a pas été en mesure de se prononcer, ni s’agissant de la demande d’accès, ni sur les prétentions liées à la protection des données personnelles, car la Cour des comptes ne lui a pas donné accès au document querellé. L’entité lui opposait le fait qu’elle n’est pas mentionnée expressément à l’art. 3 LIPAD (champ d’application). Il est vrai que l’exposé des motifs relatifs à la LIPAD n’évoque pas cette question, la loi ayant été adoptée avant la création de cette institution. De plus, la révision de la LIPAD en 2008, entrée en vigueur le 1er janvier 2010 (ajout du volet concernant la protection des données personnelles) n’a pas non plus été l’occasion de traiter de ce point particulier durant les travaux préparatoires. Seules deux dispositions mentionnent la Cour des comptes : l’art. 41 al. 2 LIPAD réserve ses compétences et règles de fonctionnement s’agissant du traitement des données personnelles à des fins générales de statistique, de recherche scientifique, de planification ou d’évaluation de politiques publiques ; l’art. 53A al. 1 let. b LIPAD indique en outre que la qualité de Préposé cantonal ou de Préposée adjointe est incompatible avec celle de magistrat de la Cour des comptes.
A., B. et C. ont ensuite saisi la Chambre administrative de la Cour de justice d’un recours pour déni de justice, concluant à ce que celui-ci soit constaté, à ce qu’il soit ordonné à la Cour des comptes de rendre une décision formelle dans le cadre de la procédure LIPAD visant d’une part l’accès aux échanges avec la société en charge de la hotline et à son procès-verbal d’audition et, d’autre part, la cessation du traitement illicite des données les concernant, ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité de procédure.
Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice : déni de justice
Après avoir défini ce qu’il fallait considérer comme « décisions » au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, la Chambre administrative s’est attardée sur l’art. 29a Cst., selon lequel toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire. Elle a rappelé que, pour notre Haute Cour, la procédure offerte par la LIPAD, fondée sur l’art. 47, permet de satisfaire à l’exigence de cette norme (TF 1C_471/2012 du 23 mai 2013, cons. 4.3). Les juges genevois ont estimé à cet égard que le droit d’accès au juge permet à un justiciable de demander la rectification de données le concernant au sens de l’art. 47 LIPAD, indépendamment de l’autorité en cause. En conséquence, bien que la Cour des comptes ne soit en principe pas une autorité décisionnaire ni ne soit mentionnée dans la liste exhaustive des art. 5 et 6 LPA, elle doit statuer en application de la LIPAD.
Enfin, les juges ont considéré que si la question d’un intérêt digne de protection pouvait souffrir de rester indécise s’agissant de la commune, cette condition était réalisée pour les personnes physiques recourantes ayant participé à la procédure non contentieuse qui, même si elles ne sont pas nommées par le rapport, sont aisément identifiables par ce dernier au regard de leur fonction. Dans ce cadre, A., B. et C. n’ont pas besoin de faire valoir un besoin d’information supplémentaire en lien avec le premier but de la LIPAD (art. 1 al. 2 let. a LIPAD). Le recours pour déni de justice a donc été admis s’agissant de la rectification des données au sens de l’art. 47 LIPAD et le dossier renvoyé à la Cour des comptes pour qu’elle rende une décision dans ce sens.
Soumission de la Cour des comptes à la LIPAD ?
S’agissant de la LIPAD, la Chambre administrative a évoqué les deux volets de la loi, soit l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). En matière de transparence, toute personne, physique ou morale, peut avoir accès aux documents en possession des institutions publiques, sauf exception prévue ou réservée par cette loi (art. 24 al. 1 LIPAD) ; par documents, il faut entendre tous les supports d’informations détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique (art. 25 al. 1 LIPAD). Parallèlement à ce droit d’accès général, le titre III de la loi (art. 35–49 LIPAD) a trait à la protection des données personnelles, les art. 35 à 43 LIPAD concernant le traitement, la communication et la destruction des données par les institutions publiques, tandis que les art. 44 à 47 LIPAD précisent les droits de la personne concernée.
Il est intéressant de relever que les juges ne se sont pas aventurés sur la délicate question de la soumission contestée de la Cour des comptes à la LIPAD. Certes, des indices penchent en faveur de l’inclusion de cette entité dans le champ d’application de la loi (déclaration de fichiers au catalogue, présence à la séance de médiation, accessibilité de la LIPAD sur le site Internet de l’entité). Cela étant, à notre sens, seule une mention explicite de la Cour des comptes dans l’art. 3 LIPAD permettrait de combler ce qu’il convient de considérer comme une lacune du texte légal. La prochaine révision de la LIPAD, rendue nécessaire par les divers changements intervenus au niveau fédéral et international, devra assurément permettre de régler ce point.
Proposition de citation : Joséphine Boillat / Stéphane Werly, Droit du justiciable de demander la rectification de ses données personnelles, 21 décembre 2020 in www.swissprivacy.law/44
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