Data Privacy Framework
I. Qu’est-ce que le Conseil fédéral a décidé ?
Par sa décision du 14 août 2024, le Conseil fédéral suisse a reconnu que le Swiss‑U.S. Data Privacy Framework (ci-après : CH‑U.S. DPF) offre un niveau de protection des données adéquat lorsque des entreprises privées ou des autorités publiques en Suisse transfèrent des données personnelles à des entreprises américaines certifiées aux États-Unis. L’annexe 1 de l’Ordonnance sur la protection des données (OPDo) sera mise à jour pour inclure les États-Unis à la liste des pays qui garantissent un niveau de protection des données adéquat (pour autant bien évidemment que le transfert de données s’effectue dans le cadre du CH‑U.S. DPF).
La Suisse suit ainsi l’approche adoptée quelques mois plus tôt par l’UE avec l’adoption du EU‑U.S. Data Privacy Framework (ci-après : EU‑U.S. DPF). Le nouveau CH‑U.S. DPF correspond en substance au EU‑U.S. DPF, qui a marqué la fin d’une période d’incertitude pour les transferts de données personnelles aux États-Unis après que la décision historique « Schrems II » de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ait invalidé le prédécesseur du EU‑U.S. DPF, soit le EU-US Privacy Shield.
Concrètement, le CH‑U.S. DPF prévoit ce qui suit :
- Les États-Unis alignent leur système juridique sur les principes fondamentaux du droit suisse par le biais du décret présidentiel 14086 mis en œuvre par le président Biden le 7 octobre 2022 (Executive Order ; ci-après : EO 14086). Les changements comprennent une limitation des activités de renseignement des États-Unis à ce qui est proportionné, une surveillance des services de renseignement américains et l’introduction d’un mécanisme de recours. Plus tôt cette année, le 13 juin 2024, le ministre de la justice américain a désigné la Suisse comme un État admissible aux fins de la mise en œuvre du mécanisme de recours ;
- Les entreprises américaines peuvent auto-certifier qu’elles adhèrent à un ensemble défini de principes de protection de la vie privée. Les entreprises américaines certifiées doivent notamment garantir les droits des personnes concernées tels qu’ils sont définis dans le RGPD et les possibilités de recours, y compris un mécanisme indépendant et gratuit de règlement des litiges et un arbitrage. Le respect de ces principes est contrôlé par le ministère américain du commerce (ci-après : DoC) et appliqué par la commission fédérale du commerce des États-Unis.
II. Quand le CH‑U.S. DPF entrera-t-il en vigueur ?
Le nouveau CH‑U.S. DPF entrera en vigueur le 15 septembre 2024.
III. Quelles sont les conséquences du nouveau CH‑U.S. DPF ?
Le CH‑U.S. DPF facilitera la transmission de données personnelles de la Suisse vers les États-Unis : une fois en vigueur, les exportateurs de données suisses pourront transférer des données personnelles à des destinataires aux États-Unis qui participent au CH‑U.S. DPF sans avoir à signer et mettre en place les clauses contractuelles types pour le transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers (Standard Contractual Clauses ; ci-après : SCC) et sans avoir à effectuer une évaluation de l’impact du transfert de données au préalable.
Même pour les entreprises qui continuent de s’appuyer sur les SCC, le CH‑U.S. DPF facilitera la transmission de données aux États-Unis et l’évaluation de l’impact du transfert de données, étant donné que les limitations imposées par l’EO 14086 s’appliquent indépendamment du fait que les données personnelles soient transférées dans le cadre du CH‑U.S. DPF ou sur la base d’un instrument de transfert différent, tel que les SCC par exemple.
IV. Existe-t-il une liste des entreprises américaines participant au CH‑U.S. DPF ?
Le DoC tient à jour et publie une liste des entreprises américaines qui se sont auto-certifiées et ont déclaré se conformer au CH‑U.S. DPF (ci-après : la liste du DPF). Il existe des exceptions quant aux entreprises américaines qui peuvent participer au CH‑U.S. DPF, mais les exportateurs de données suisses peuvent se fier au fait que les entreprises figurant sur la liste publiée par le DoC sont certifiées.
V. Est-il encore nécessaire de signer un accord de transfert de données dans le cadre du CH‑U.S. DPF ?
Même lors de la transmission de données personnelles dans le cadre du CH‑U.S. DPF, il est généralement conseillé aux exportateurs de données de conclure un accord de transfert de données approprié avec l’importateur de données. Cet accord devrait inclure les éléments suivants, en plus de toutes les autres conditions régissant le transfert des données pertinentes dans les circonstances spécifiques :
- Obligation de se conformer aux principes du CH‑U.S. DPF ;
- Obligation de rester dûment certifié dans le cadre du CH‑U.S. DPF ;
- Obligation de notifier immédiatement à l’exportateur de données le retrait de la liste du DPF et la raison de ce retrait ;
- Mécanisme permettant de faire face aux conséquences d’un retrait de la liste du DPF.
VI. Que faire des SCC ou des règles d’entreprise contraignantes existantes ?
En principe, les SCC ou les règles d’entreprise contraignantes (Binding Corporate Rules) conclues antérieurement ne sont plus nécessaires pour la communication de données à un importateur de données américain qui participe au CH‑U.S. DPF. Les entreprises devraient toutefois réfléchir attentivement à la question de savoir si elles doivent fonder le transfert des données personnelles aux Etats-Unis uniquement sur la base du CH‑U.S. DPF, car il peut y avoir des raisons valables de continuer à s’appuyer sur les SCC ou les règles d’entreprise contraignantes. Tel peut notamment être le cas lorsque :
- L’importateur de données américain est retiré de la liste du DPF, la transmission de données n’est plus considérée comme étant couverte par un niveau de protection adéquat. Les SCC ou les règles d’entreprise contraignantes existantes pourraient encore servir de solution de repli pour assurer une protection adéquate ; et
- La validité du CH‑U.S. DPF est déjà contestée par des procédures judiciaires dans l’UE, comme l’ont été ses prédécesseurs. Si la CJUE décide finalement d’invalider le EU‑U.S. DPF, il est fort probable que cela aura également un impact sur le CH‑U.S. DPF et que les entreprises qui s’appuient exclusivement sur le CH‑U.S. DPF risquent de ne plus être protégées. Ainsi, le maintien des SCC existantes ou des règles d’entreprise contraignantes peut servir de protection au cas où le CH‑U.S. DPF serait invalidé par la voie judiciaire.
VII. Quelles sont les conséquences d’un retrait de la liste du DPF ?
Les entreprises américaines peuvent être retirées de la liste des entreprises participantes au DPF dans les cas suivants :
- Elles se retirent volontairement du CH‑U.S. DPF ;
- Elles ne parviennent pas à effectuer leur re-certification annuelle ; ou
- Elles ne respectent pas les principes de manière persistante.
Pour les transmissions de données qui ont eu lieu avant le retrait de l’entreprise américaine de la liste du DPF, l’exportateur suisse de données peut faire valoir que ces transferts ont été effectués légalement en vertu de la décision d’adéquation du Conseil fédéral et peuvent donc être considérés comme valables.
Pour les transmissions de données qui ont eu lieu après le retrait de l’entreprise américaine de la liste du DPF, la décision d’adéquation du Conseil fédéral ne s’applique pas. Au lieu de cela, les parties doivent garantir un niveau adéquat de protection des données par d’autres moyens reconnus par la loi, soit notamment les SCC ou des règles d’entreprise contraignantes. Si aucune garantie de ce type ne peut être mise en place, l’importateur américain de données doit renvoyer ou supprimer les données personnelles.
VIII. Le CH‑U.S. DPF est-il une solution permanente pour les transmissions de données entre la Suisse et les États-Unis ?
En principe, le CH‑U.S. DPF est censé être une solution permanente. Cependant, il s’agit de la troisième tentative des autorités suisses et américaines de faciliter la transmission transatlantique de données personnelles, après que la CJUE a invalidé le EU‑U.S. Safe Harbor Framework (suite à l’arrêt « Schrems I »), puis le EU‑U.S. Privacy Shield (suite à l’arrêt « Schrems II »), qui dans chaque cas a également mis fin aux arrangements correspondants entre la Suisse et les États-Unis. Étant donné que le EU‑U.S. DPF est déjà contesté par des procédures judiciaires dans l’UE, le temps nous dira si le EU‑U.S. DPF et le CH‑U.S. DPF résisteront à l’examen judiciaire. A noter encore que la décision d’adéquation peut être annulée en tout temps par la Commission Européenne s’agissant du EU‑U.S. DPF (cf. Art. 45 §4 RGPD); le Conseil fédéral peut en faire de même en application de l’art. 8 OPDo.
Enfin, la législation américaine peut changer. Le Conseil fédéral suivra en permanence les décisions américaines pertinentes et réexaminera régulièrement la décision d’adéquation. La première révision aura lieu dans un an. En cas de dysfonctionnement du CH‑U.S. DPF, la décision d’adéquation sera adaptée ou retirée.
Proposition de citation : Jeremy Reichlin / Gabriel Kasper / Kirsten Wesiak Schmidt, Data Privacy Framework, 26 août 2024 in www.swissprivacy.law/313
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