Usage de l’intelligence artificielle dans un call center
IDA Forsikring est une compagnie d’assurance danoise. Elle décide de doter son call center d’un logiciel d’intelligence artificielle (IA) dans le but d’améliorer la qualité du service client, de fournir un retour d’information aux employés sur leurs interactions et de permettre une meilleure gestion des questions fréquentes.
Lors d’appels entrants, le logiciel permet d’analyser si un employé suit un standard prédéfini de service, en vérifiant l’usage de mots-clés positifs et une structure formelle (salutations, fin de conversation polie). Le logiciel attribue ensuite un score indicatif de qualité basé sur ces critères, afin d’aider l’employé à s’améliorer.
De plus, l’analyse des appels permet au logiciel de créer des statistiques sur le nombre de demandes concernant des sujets spécifiques. Ces données statistiques permettent de mieux comprendre le comportement des clients et d’adapter en conséquence les services et le marketing d’IDA Forsikring, par exemple en modifiant le contenu de sa newsletter en fonction des intérêts actuels des clients.
Les fichiers audio des enregistrements sont analysés et convertis en texte par un sous-traitant. Celui-ci utilise un logiciel de reconnaissance vocale qu’il a lui-même développé et optimisé. Selon les affirmations du sous-traitant, les enregistrements des conversations ne sont pas utilisés pour entraîner le logiciel. L’enregistrement est conservé 5 ans.
Ce traitement des données a attiré l’attention des médias, ce qui a conduit l’Autorité danoise de protection des données (Datatilsynet) à ouvrir une procédure d’enquête. Selon les conclusions de l’Autorité, IDA Forsikring peut, dans le cadre des règles de protection des données, enregistrer et analyser les appels téléphoniques entrants. De manière générale, le traitement opéré repose sur un fondement juridique valable et IDA Forsikring a correctement informé tant les assurés que ses employés des traitements de données accomplis. Cependant, l’Autorité estime que le processus d’obtention du consentement des assurés qui appellent doit être revu pour leur permettre de distinguer les différentes finalités auxquelles ils consentent.
Analyse de l’Autorité de protection des données danoise
À titre préliminaire, l’Autorité danoise de protection des données retient que le logiciel d’IA n’est pas utilisé pour accomplir des activités de profilage. L’objectif du traitement n’est pas d’acquérir des connaissances sur des assurés ou sur des employés spécifiques. C’est la conversation qui fait l’objet des enregistrements et des analyses, et non les personnes. De même, le système n’analyse pas le ton de la voix, le sexe ou les dialectes parlés.
S’agissant du traitement des données des employés, l’Autorité de protection des données danoise relève que les données qui sont récoltées sont principalement le nom, l’adresse mail professionnelle, la voix et, éventuellement, d’autres données personnelles issues du dialogue avec assurés. Les employés sont informés de l’enregistrement des conversations lors de l’entretien d’embauche et reçoivent par la suite une formation sur la manière d’utiliser le logiciel et la façon dont il fonctionne. IDA Forsikring indique que le fondement juridique au traitement des données de ses employés au moyen du logiciel repose sur son intérêt légitime au sens de l’art. 6 par. 1 let f. RGPD. L’Autorité de protection des données danoise n’y voit rien à redire.
S’agissant des assurés, les données personnelles collectées au cours de l’appel incluent généralement la voix, le nom, l’adresse, le numéro de téléphone, l’adresse e‑mail, les coordonnées bancaires (numéro d’enregistrement et numéro de compte), les informations salariales et l’adhésion à IDA Forsikring. Des informations sur l’état de santé peuvent également être incluses si elles sont pertinentes pour l’assurance ou en cas de litige. De plus, le numéro d’identification personnelle peut être communiqué à des fins d’identification.
Lors de chaque appel, le message d’accueil ci-dessous informe l’assuré du traitement de ses données :
« Nous souhaitons enregistrer cette conversation pour améliorer notre service aux assurés et à des fins de documentation. L’enregistrement est conservé pendant 5 ans et est automatiquement retranscrit par écrit afin que nous puissions, par exemple, établir des statistiques sur les sujets abordés lors des appels. Pour plus d’informations, veuillez consulter notre politique de confidentialité sur idaforsikring.dk. Pour donner votre accord, appuyez sur 1, sinon veuillez patienter. Si vous souhaitez retirer votre consentement ultérieurement, vous pouvez rappeler et demander la suppression de l’enregistrement. »
IDA Forsikring indique que le fondement juridique au traitement des données des assurés au moyen du logiciel repose sur leur consentement au sens des arts. 6 par. 1 let a RGPD et 9 par. 2 let. a RGPD pour les données sensibles. Cet élément est toutefois partiellement remis en question par l’Autorité de protection des données danoise.
L’Autorité rappelle que, pour être valide, un consentement doit être volontaire, spécifique, informé et exprimer une manifestation de volonté non équivoque, conformément à l’art. 4 par. 11 et à l’art. 7 RGPD. Un consentement n’est pas volontaire si la personne concernée n’a pas de véritable choix. De l’avis de l’Autorité, cela implique, par exemple, que la procédure de consentement doit permettre à la personne concernée de donner un consentement distinct pour différents objectifs. Le consentement doit donc être granulaire. Or l’Autorité constate qu’IDA Forsikring ne collecte qu’un seul consentement global pour les trois objectifs (documentation, contrôle de la qualité et statistiques). La personne n’a donc pas la possibilité de choisir les finalités pour lesquelles elle consent. Du point de vue de l’Autorité de protection des données danoise, cette situation ne répond pas aux exigences d’un consentement valide.
Appréciation
L’examen mené par l’Autorité danoise de protection des données reste relativement succinct. Il se garde, en particulier, d’analyser la relation entre IDA Forsikring et son sous-traitant, qui n’est d’ailleurs même pas mentionné explicitement. Tout ce que l’on sait à ce sujet, c’est que ce dernier affirme ne pas utiliser les données d’IDA Forsikring pour améliorer son logiciel. Toutefois, rien n’indique que l’Autorité ait elle-même entrepris des investigations pour vérifier cette affirmation. Un autre point qui n’est pas abordé concerne la collecte de données potentiellement sensibles lors des échanges téléphoniques. Bien que l’Autorité relève qu’une telle collecte soit possible, elle ne tire aucune conclusion de cette possibilité.
Parmi les éléments intéressants, on retient néanmoins la remarque préliminaire de l’Autorité selon laquelle le logiciel d’IA n’est pas utilisé ici pour accomplir des activités de profilage visant à acquérir des connaissances sur des assurés ou sur des employés spécifiques, mais se concentre sur l’analyse des conversations en tant que telles. Bien que des précisions supplémentaires auraient été utiles pour appuyer davantage cette affirmation, elle souligne un point important : lors de l’examen de l’utilisation de logiciels d’IA, toutes les utilisations potentielles ne doivent pas nécessairement être évaluées, seules celles qui sont réellement mises en œuvre doivent l’être.
Cela laisse entendre que l’analyse des traitements réalisés doit s’appuyer sur leur contexte spécifique, sans présumer des intentions du responsable du traitement ou des capacités éventuellement plus larges du logiciel d’IA. En l’espèce, il aurait toutefois été pertinent de la part de l’Autorité d’explorer plus en détail le fonctionnement du logiciel et les garanties mises en place pour s’assurer que les traitements accomplis se limitent dans les faits à ce qui est annoncé et ne dérivent pas vers une forme de profilage ou de surveillance non souhaitée.
Si l’on s’attarde sur le traitement des données des employés, l’employeur peut effectivement invoquer son intérêt légitime pour enregistrer une conversation téléphonique, notamment dans le cadre du contrôle des prestations ou pour des raisons de sécurité, mais généralement pas pour surveiller ses employés. La frontière entre les deux étant mince, il est essentiel de mettre en place des garde-fous pour garantir la transparence requise et prévenir toute utilisation abusive des données. Dans le cas présent, le simple fait d’informer les employés lors de l’entretien d’embauche et de proposer une formation sur le logiciel peut sembler insuffisant. Un employeur qui envisage d’enregistrer les conversations téléphoniques de ses employés devrait intégrer ces pratiques dans le règlement interne du personnel en expliquant clairement et en détail les finalités pour lesquelles les données collectées peuvent être utilisées.
Concernant la situation des assurés, le message d’accueil en début d’appel remplit globalement l’obligation d’information prévue par le RGPD. Il mentionne le traitement (enregistrement et transcription) et les finalités (amélioration du service et documentation). Il reste, certes, assez général, mais cela correspond à la nature d’un message vocal et le renvoi à la politique de confidentialité d’IDA Forsikring permet à la personne concernée qui le souhaite d’aller rechercher les informations complémentaires dont elle aurait besoin. En cas de doute tenace et à supposer que la personne concernée n’ait pas le temps de raccrocher pour vite aller regarder la politique de confidentialité d’IDA Forsikring avant de rappeler, il lui reste toujours la possibilité de ne pas donner son consentement au traitement de ses données.
En demandant à l’appelant « d’appuyer sur 1 » pour consentir à l’enregistrement et au traitement de la conversation, IDA Forsikring applique, en effet, à la lettre l’exigence d’un consentement actif (système d’opt-in). L’Autorité de protection des données danoise aurait néanmoins souhaité en plus la possibilité d’un consentement plus granulaire. De notre point de vue, une telle exigence se justifie surtout en présence de finalités différentes et incompatibles entre elles.
En application de l’art. 6 par. 4 RGPD, des finalités différentes mais qui sont étroitement liées peuvent s’appuyer sur un même fondement juridique tant qu’elles s’inscrivent dans un même contexte et qu’elles ne créent pas d’atteintes distinctes dans les droits et les libertés des personnes concernées. Dans le cas d’IDA Forsikring, on peut raisonnablement penser que les finalités d’amélioration du service, de documentation et de statistiques sont suffisamment liées entre elles du point de vue de l’appelant pour ne constituer qu’une seule finalité globale unique. Dans ces conditions, un consentement unique pourrait s’avérer suffisant, attendu que si l’appelant n’est pas d’accord avec ce traitement il conserve la possibilité de le refuser également de façon globale. Imposer un consentement granulaire dans un cas comme celui-ci risquerait davantage de créer de la confusion plutôt que de constituer une réelle garantie supplémentaire.
Dernier point à relever : la durée de conservation des enregistrements de 5 ans. Une telle durée de conservation semble de prime abord disproportionnée, si on considère que le contenu essentiel des enregistrements fait immédiatement l’objet d’une retranscription par écrit. Il est étonnant que l’Autorité de protection des données danoise n’ait pas cherché à questionner cette durée plus en avant.
Proposition de citation : Michael Montavon, Usage de l’intelligence artificielle dans un call center, 18 septembre 2024 in www.swissprivacy.law/317
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