Contours des notions de « responsables de traitement conjoints » et de « sous-traitant »
En fait
Le ministre de la santé lituanien a chargé le Centre national de santé publique auprès du ministère de la santé (« CNSP ») d’acquérir une application mobile pour suivre les données des personnes exposées au COVID-19. La société ITSS est ainsi sélectionnée pour la création de cette application mobile. Lors de son élaboration, l’ITSS et le CNSP sont désignés comme responsables de traitement. Finalement, le CNSP n’a pas acheté cette application en raison d’un défaut de financement.
L’Inspection nationale de la protection des données de Lituanie (« INPD ») mène une enquête et constate par la suite que des données personnelles ont été collectées via l’application. Par conséquent, elle sanctionne le CNSP d’une amende administrative de 12 000 euros au CNSP (art. 83 RGPD), eu égard à la violation par celui-ci des articles 5, 13, 24, 32 et 35 RGPD. Par cette décision, une amende administrative de 3 000 euros est également imposée à la société ITSS au titre de « responsable conjoint du traitement ».
Le CNSP conteste cette décision devant la juridiction de renvoi car elle fait valoir que c’est la société ITSS qui doit être considérée comme étant seul responsable du traitement (art. 4 point 7 RGPD). Pour sa part, la société ITSS soutient qu’elle a agi en qualité de sous-traitant (art. 4 point 8 RGPD), d’après les instructions du CNSP et seul responsable de traitement.
Le tribunal administratif régional de Vilnius sursoit à statuer et s’adresse à la Cour de Justice de l’Union européenne pour lui poser six questions préjudicielles.
En droit
La CJUE est amenée à interpréter et circonscrire les notions de responsable(s) (conjoints) de traitement et de sous-traitant.
Premièrement, trois questions concernent l’interprétation du terme de « responsable de traitement ». Il s’agit de l’entité qui détermine les finalités et les moyens du traitement (art. 4 point 7 RGPD). Le CNSP, durant la phase d’élaboration, a participé à la détermination des finalités ainsi que des moyens du traitement des données à caractère personnel. Selon la CJUE, il peut dès lors être considéré comme un responsable de traitement.
Cette dernière précise que cela est valable même si cette entité n’a pas elle-même effectué des opérations de traitement, si elle n’a pas explicitement donné son accord pour ces opérations spécifiques, ni pour la mise à disposition publique de ladite application mobile et même si elle n’a pas acheté l’application en question. Ceci sous réserve d’une opposition expressément formulée de sa part et antérieure à la mise à disposition publique, ce qui n’est pas le cas présent.
Deuxièmement, une autre question traite de la qualification de deux entités en tant que responsables conjoints du traitement, elle n’est pas subordonnée à un accord entre ces entités sur la détermination des finalités et des moyens du traitement des données à caractère personnel en question (art. 4 point 7 et art. 26 par. 1 RGPD). Qui plus est, la responsabilité conjointe du traitement ne dépend pas d’un accord fixant les conditions liées à cette responsabilité.
Partant, la CJUE qualifie le CNSP et l’ITSS de responsables conjoints de traitement.
Troisièmement, le terme « traitement » englobe l’utilisation de données à caractère personnel à des fins d’essais informatiques d’une application mobile. A l’inverse, comme l’indique la CJUE, il ne s’agit plus d’un traitement de données personnelles si la personne n’est plus identifiable à la suite d’un procédé d’anonymisation ou s’il s’agit de données fictives sans lien avec une personne physique existante (art. 4 point 2 RGDP).
Finalement, l’‹imposition d’une amende administrative en vertu de cette disposition est possible uniquement en cas de violation délibérée ou de négligence du responsable du traitement (art. 83 par. 4 à 6 RGPD). Ainsi une telle amende peut être imposée au responsable du traitement pour les opérations de traitement de données à caractère personnel effectuées par un sous-traitant, pour autant que ce dernier ait réalisé des traitements de manière conforme aux finalités du responsable de traitement et au cadre déterminé. En revanche, si ce n’est pas le cas, le consentement raisonnable du responsable de traitement doit être établi pour que le sous-traitant ne devienne pas lui-même responsable de traitement.
Comparaison avec le droit suisse
La définition du « responsable de traitement » (art. 5 let. j LPD) diverge quelque peu du RGPD, en cela que le responsable de traitement détermine certes les finalités, toutefois uniquement les moyens essentiels du traitement.
A contrario, le sous-traitant (définition art. 5 let. k LPD) peut, – en plus d’exécuter le traitement pour le compte et selon les instructions du responsable de traitement -, déterminer les moyens non-essentiels du traitement (art. 5 let. j a. c LPD) Cette notion introduite dans la LPD élargit le cercle des sous-traitants potentiels au détriment des responsables de traitement.
Concernant la notion de « responsables conjoints de traitement », contrairement au RGPD, la LPD ne prévoit pas de définition. Ainsi, dans la continuité de la notion de « responsable de traitement » prévue par la LPD, à nouveau les « responsables de traitement conjoints » sont les entités qui définissent conjointement les finalités et les moyens essentiels du traitement.
Proposition de citation : Lisa Dubath, Contours des notions de « responsables de traitement conjoints » et de « sous-traitant », 24 octobre 2024 in www.swissprivacy.law/322
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