AP-LOGA : nouveau cadre légal pour le traitement de données concernant les personnes morales par la Confédération

Tableau synoptique des modifications prévues et du droit en vigueur
Introduction
À l’instar des personnes physiques, les personnes morales sont également titulaires du droit à l’autodétermination informationnelle (art. 13 al. 2 Cst.). Or, depuis l’entrée en vigueur de la LPD révisée le 1er septembre 2023, les données concernant les personnes morales ne sont plus régies par les dispositions relatives aux données personnelles (cf. art. 1 et 2 al. 1 LPD). Par conséquent, les dispositions relatives aux données personnelles ne s’appliquent plus aux personnes morales (cf. art. 5 let. a LPD a contrario).
Pour éviter toute lacune induite par ce changement de paradigme, le législateur a inséré une disposition transitoire à l’art. 71 LPD, applicable jusqu’au 31 août 2028, dont la teneur est la suivante :
« Pour les organes fédéraux, les dispositions d’autres actes de droit fédéral qui font référence à des données personnelles continuent de s’appliquer au traitement des données concernant des personnes morales pendant les cinq ans suivant l’entrée en vigueur de la présente loi. Pendant ce délai, les organes fédéraux peuvent en particulier continuer à communiquer des données concernant des personnes morales selon l’art. 57s, al. 1 et 2, de la loi du 21 mars 1997 sur l’organisation du gouvernement et de l’administration s’il existe une base légale permettant de communiquer des données personnelles. »
La LOGA contient en outre trois dispositions transversales sur le traitement de données concernant les personnes morales (art. 57r à 57t LOGA).
Dans la section du message relative à l’art. 71 LPD, le Conseil fédéral indiquait que la révision des dispositions relatives aux données concernant les personnes morales interviendrait une fois la révision de la LPD adoptée (Message concernant la révision totale de la LPD, FF 2017 p. 6722).
Par communiqué de presse du 21 mai 2025, le Conseil fédéral a annoncé l’ouverture d’une procédure de consultation concernant des modifications de la Loi fédérale du 21 mars 1997 sur l’organisation du gouvernement et de l’administration (LOGA). Cet avant-projet vise à pérenniser le cadre légal applicable aux traitements de données concernant les personnes morales par la Confédération et à concrétiser durablement leur droit à l’autodétermination informationnelle (art. 13 al. 2 Cst.). Le régime applicable aux traitements effectués par les personnes privées ne connaît lui aucune modification.
Choix de l’approche législative et objectifs de l’avant-projet
Au début de ses travaux, le Conseil fédéral s’est interrogé sur l’opportunité d’harmoniser toutes les bases légales sectorielles dans un seul texte, respectivement d’adopter un régime transversal applicable à tous les domaines dans lesquels les organes fédéraux traitent des données concernant les personnes morales. Il a de manière convaincante opté pour la seconde option. En effet, son analyse a révélé que la majorité des organes fédéraux traitent des données dans des contextes divers pour atteindre des finalités très différentes. Concentrer toutes ces constellations dans un seul acte serait non seulement chronophage, mais induirait inévitablement un risque de lacunes juridiques qui pourrait avoir pour conséquence l’impossibilité de traiter les données concernant les personnes morales. L’adoption d’un régime transversal est donc la solution la plus pragmatique.
Une fois l’approche définie, le Conseil fédéral a fixé les objectifs principaux de son avant-projet que sont :
- Régler durablement la relation entre les dispositions sur les données personnelles et celles sur les données concernant les personnes morales (cf. 57sbis al. 1 AP-LOGA) ;
- Uniformiser les exigences requises en matière de bases légales (cf. 57r, s, rbis, squater et squinuquies AP-LOGA),
- Concrétiser le droit à l’autodétermination informationnelle (cf. 57t à 57x AP-LOGA) ; et
- Régler la sous-traitance (57ster AP-LOGA).
À noter que dans son avant-projet, le Conseil fédéral propose également de reporter les modifications induites par l’AP-LOGA dans les lois spéciales (p.ex. : LSI, LAr, LTrans, LMETA, etc.).
Relation entre les dispositions sur les données personnelles et celles sur les données concernant les personnes morales
Reprenant le contenu de l’art. 71 LPD sans limitation temporelle, l’art. 57sbis al. 1 AP-LOGA pérennise désormais la relation entre les dispositions sur les données personnelles et celles sur les données concernant les personnes morales. En effet,
« [s]i un acte législatif spécial contient des dispositions sur la protection des données personnelles, mais pas de dispositions sur la protection des données concernant des personnes morales, les dispositions sur la protection des données personnelles s’appliquent également aux données concernant des personnes morales. »
L’applicabilité des dispositions spéciales sur la protection des données personnelles, lesquelles peuvent se trouver dans une loi ou dans une ordonnance, ne se limite pas à celles permettant de traiter ou de communiquer des données. En effet, elle concerne également d’autres dispositions telles que celles régissant le devoir d’information lors de la collecte des données.
En revanche, les normes qui régissent le niveau de protection adéquat des données pour la communication de données à l’étranger ou qui concernent la surveillance du PFPDT ne s’appliquent pas aux personnes morales (art. 57sbis al. 2 AP-LOGA). Quant aux dispositions relatives à la sécurité des données personnelles, leur applicabilité dépend des ordonnances spéciales du Conseil fédéral (art. 57sbis al. 3 AP-LOGA).
Il sied de souligner que l’art. 57sbis al. 1 AP-LOGA ne renvoie pas à la LPD. En effet, l’expression « acte législatif spécial », par opposition à un acte législatif général, signifie que la LPD et ses ordonnances ne sont pas applicables par renvoi de l’art. 57sbis al. 1 AP-LOGA.
Nouvelle définition des données sensibles
Selon l’actuel art. 57r al. 2 LOGA, les données sensibles concernant des personnes morales sont (a) les données relatives à des poursuites ou des sanctions administratives ou pénales et (b) les données relatives à des secrets professionnels, d’affaires ou de fabrication.
À l’art. 57qbis AP-LOGA, cette seconde catégorie disparaît de la définition, de sorte que seules les données relatives à des poursuites ou des sanctions administratives ou pénales constituent des données sensibles. D’une part, le Conseil fédéral entend rapprocher cette définition de celle de l’art. 5 let. c LPD en partant de celle-ci et en y retranchant toutes les catégories spécifiques aux personnes physiques ou qui sont d’une importance pratique moindre pour les personnes morales. D’autre part, il estime que les secrets professionnels, d’affaires ou de fabrication doivent être protégés par les dispositions spéciales sur l’obligation de garder le secret (p.ex. : art. 62 LPTh), et non par une disposition générale.
Uniformisation des exigences en matière de bases légales
Le traitement de données concernant les personnes morales par les organes fédéraux doit reposer sur une base légale (cf. art. 5 al. 1 et 36 al. 1 Cst.). Avec l’AP-LOGA, l’actuel art. 57r al. 1 LOGA, qui autorise le traitement des données concernant des personnes morales dans la mesure où l’accomplissement des tâches définies dans une loi au sens formel l’exige, est remplacé par un système semblable à celui que prévoit l’art. 34 LPD pour le traitement des données personnelles.
En effet, le traitement de données concernant les personnes morales doit reposer sur une loi au sens formel ou matériel (art. 57r al. 1 AP-LOGA), laquelle peut d’ailleurs tout à fait être une base légale concernant le traitement de données personnelles (cf. art. 57sbis al. 1 AP-LOGA). Sauf dans les cas exceptionnels prévus à l’art. 57r al. 3 AP-LOGA, le traitement de données sensibles au sens de l’art. 57qbis AP-LOGA doit nécessairement reposer sur une loi au sens formel (art. 57r al. 2 AP-LOGA). Enfin, à l’instar de l’art. 34 al. 4 LPD, l’art. 57r al. 4 AP-LOGA permet exceptionnellement le traitement de données en l’absence de base légale.
Ce rapprochement avec art. 34 LPD est bienvenu. Compte tenu de l’art. 57sbis AP-LOGA, la suppression de l’actuel art. 57r al. 1 LOGA assure un système uniforme et évite ainsi tout conflit de normes.
En revanche, l’AP-LOGA n’apporte pas de modification substantielle s’agissant spécifiquement de la communication des données. Hormis l’introduction de deux nouvelles exceptions aux art. 57s al. 3bbis et bter AP-LOGA (cpr. art. 36 al. 2 let. c et d LPD) et quelques modifications d’ordre linguistique, la communication de données doit en principe reposer sur une base légale (art. 57s al. 1 AP-LOGA), qui doit nécessairement être une base légale au sens formel lorsqu’il s’agit de données sensibles (art. 57s al. 2 LOGA).
À noter enfin qu’à l’instar de l’art. 35 LPD et des art. 32 ss OPDo, le Conseil fédéral peut, avant l’entrée en vigueur d’une loi au sens formel et moyennant le respect des conditions énumérées à l’art. 57rbis AP-LOGA, autoriser le traitement automatisé de données sensibles dans le cadre d’essais pilotes. En l’absence de données sensibles, les projets pilotes sont régis par l’art. 15 AP-LMETA.
Concrétisation du droit à l’autodétermination informationnelle
Selon le droit en vigueur, les droits des personnes morales sont régis par les règles de procédure applicables (art. 57t LOGA). Dans le cadre d’une procédure administrative de première instance, les personnes morales peuvent consulter les pièces (art. 26 ss PA) et exercer leur droit d’être entendu (art. 29 ss PA). En outre, elles peuvent, sur base de l’art. 25a PA, exiger des décisions relatives à des actes matériels et ainsi faire rectifier ou effacer les données les concernant.
L’avant-projet modifie profondément le système en prévoyant notamment un véritable droit d’accès (art. 57t AP-LOGA, cpr. art. 25 LPD) qui peut être exercé en dehors de toute procédure administrative. En effet, hormis les situations où les organes fédéraux peuvent refuser, restreindre ou différer la communication de renseignements (art. 57u AP-LOGA), les personnes morales peuvent s’informer sur l’existence de traitements les concernant (art. 57t al. 1 AP-LOGA), vérifier leur licéité et décider en connaissance de cause si elles souhaitent exercer d’autres droits tels que ceux à l’effacement ou à la rectification (cf. art. 57v AP-LOGA).
Dans l’hypothèse où une personne morale exerce son droit d’accès, elle recevra à tout le moins les informations énumérées à l’art. 57t al. 2 AP-LOGA. Cette énumération est quasiment identique à celle de l’art. 25 al. 2 LPD. La principale différence concerne les informations relatives à l’existence d’une décision individuelle automatisée et la logique sous-jacente, auxquelles seules les personnes physiques ont droit (art. 25 al. 2 let. f LPD). Ceci s’explique par le fait qu’à l’exception de la disposition dédiée aux essais pilotes (art. 57rbis AP-LOGA), l’AP-LOGA ne règle pas les obligations des organes fédéraux et les droits des personnes concernées dans le cadre de décisions individuelles automatisées.
Les autres alinéas de l’art. 57t AP-LOGA règlent les modalités du droit d’accès (art. 57t al. 3 à 5 AP-LOGA), respectivement renvoient aux ordonnances que le Conseil fédéral devra adopter (art. 57t al. 6 AP-LOGA).
Sous-traitance des données
L’avant-projet du Conseil fédéral contient une disposition relative à la sous-traitance de données, laquelle est fortement inspirée de l’art. 9 LPD. La sous-traitance des données concernant les personnes morales est autorisée aux conditions cumulatives énumérées à l’art. 57ster al. 1 AP-LOGA (cpr. art. 9 al. 1 LPD). Les deux autres alinéas de cette disposition règlent les conditions auxquelles un sous-traitant peut sous-traiter un traitement (art. 57ster al. 2 AP-LOGA, cpr. art. 9 al. 3 LPD) et les motifs justificatifs qu’il peut faire valoir (art. 57ster al. 3 AP-LOGA, cpr. art. 9 al. 4 LPD).
Autres dispositions de l’AP-LOGA
L’art. 57x AP-LOGA règle la relation entre les dispositions de l’AP-LOGA et les dispositions fédérales de procédure. À l’instar de ce qui prévaut pour les personnes physiques (art. 2 al. 3 LPD), la protection des données concernant les personnes morales dans le cadre de procédures doit en principe être régie par les dispositions fédérales y relatives (art. 57x al. 1 AP-LOGA).
Ce principe connaît toutefois deux exceptions. Premièrement, l’art. 57sbis AP-LOGA s’applique en sus des dispositions fédérales de procédure, de sorte que les dispositions fédérales de procédure relatives à la protection des données personnelles s’appliquent également aux données concernant les personnes morales. Secondement, ce sont les art. 57qbis à 57w AP-LOGA qui s’appliquent aux procédures administratives de première instance.
Pour le surplus, l’avant-projet contient également des dispositions dédiées à l’archivage (art. 57squater AP-LOGA), aux traitements à des fins ne se rapportant pas à des personnes (art. 57squinquies AP-LOGA), aux procédures relatives à la communication de documents officiels (art. 57w AP-LOGA) et à l’accès aux registres publics relatifs aux rapports de droit privé (art. 57x al. 2 AP-LOGA).
Bilan : un pas en avant, deux pas en arrière ?
Cet avant-projet du Conseil fédéral, en consultation jusqu’au 12 septembre 2025, constitue une importante avancée car il est indispensable de résoudre durablement la question du régime applicable aux données concernant les personnes morales.
Le Conseil fédéral a choisi d’aligner au maximum l’AP-LOGA sur les dispositions applicables en matière de données personnelles. D’une part, l’AP-LOGA se calque sur la LPD tout en l’adaptant à la situation des personnes morales. D’autre part, les dispositions spéciales applicables aux données personnelles sont susceptibles d’être appliquées aux données concernant les personnes morales par l’intermédiaire de l’art. 57sbis AP-LOGA.
Ce procédé a pour avantage de ne pas (trop) désorienter les organes fédéraux ou les praticiens, puisqu’ils sont familiers du droit des données personnelles. Il ne sera toutefois pas aisé de jongler entre l’AP-LOGA, les dispositions relatives aux données concernant les personnes morales et les dispositions spéciales relatives aux données personnelles. En particulier, le renvoi de l’art. 57sbis al. 1 AP-LOGA aux dispositions spéciales sur les données personnelles peut soulever des questions. En effet, l’avant-projet n’indique pas s’il est possible de recourir aux dispositions sur la protection des données personnelles si l’acte législatif spécial contient certes des dispositions sur la protection des données concernant les personnes morales, mais que celles-ci ne répondent pas à la question posée.
Il aurait été possible de simplifier l’avant-projet en reprenant le système prévalant sous l’ancien droit (cpr. art. 16 ss aLPD), c’est-à-dire en étendant l’application des dispositions pour le traitement de données personnelles par les organes fédéraux (art. 33 ss LPD) aux personnes morales tout en procédant éventuellement aux adaptations nécessaires.
Proposition de citation : Nathan Philémon Matantu, AP-LOGA : nouveau cadre légal pour le traitement de données concernant les personnes morales par la Confédération, 23 juin 2025 in www.swissprivacy.law/361

