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Gateway Basel Nord – navigation en eaux troubles

Samia Moura, le 15 septembre 2025
Que reste-t-il de la trans­pa­rence lorsque les secrets d’affaires prennent le dessus ? Dans l’affaire Gateway Basel Nord, le Tribunal fédé­ral refuse l’accès à des docu­ments clés de la COMCO, affir­mant que la loi ne permet aucune mise en balance avec l’intérêt public. Une déci­sion qui redé­fi­nit les contours du droit de savoir dans les affaires écono­miques d’envergure.

Arrêt du TF 1C_​335/​2023 du 11 mars 2025, COMCO, CFF Cargo SA, Contargo SA, HUPAC SA, demande d’accès à des docu­ments proté­gés par le secret d’affaires. 

En faits 

Trois socié­tés (CFF Cargo SA, Contargo SA, HUPAC SA) projettent de réali­ser et d’exploiter ensemble un termi­nal trimo­dal (ferro­viaire, routier et mari­time) à Bâle Nord et d’acquérir l’entreprise Gateway Basel Nord SA (GBN) en contrôle conjoint.  

Le 13.06.2019, la COMCO annonce ne pas s’opposer à la concen­tra­tion, esti­mant que le grand termi­nal GBN pour­rait certes suppri­mer partiel­le­ment la concur­rence, mais qu’il améliorer les condi­tions de concur­rence dans le fret ferro­viaire.  

Le 18.09.2019, D._______ forme une demande d’accès à des docu­ments offi­ciels auprès de la COMCO au titre de la LTrans. Elle étend sa demande le 04.11.2019 à d’autres docu­ments. 

Le 02.12.2019, la COMCO statue et accorde un accès limité à une série d’actes et à sa prise de posi­tion rela­tive au projet, avec caviar­dage de passages et anony­mi­sa­tion, en raison de la protec­tion des données person­nelles s’y trou­vant et des secrets d’affaires des entre­prises (y compris l’occultation du nom de l’auteur d’une exper­tise sur les gains d’efficacité rela­tifs au projet du 15.03.2019, déposé par les entre­prises).  

Les passages masqués couvrent notam­ment :  

  • la quan­ti­fi­ca­tion d’économies de coûts/​temps atten­dues grâce au termi­nal des tableaux de coûts unitaires et chaînes de trans­port types 
  • le concept de gestion des conte­neurs vides  
  • des méthodes de calcul et sources 

La requé­rante, contes­tant l’ampleur des caviar­dages, saisit le PFPDT d’une demande de média­tion le 23.12.2019. 

Avant que la première média­tion ne soit exécu­tée la COMCO donne accès à l’expertise sur les gains d’efficacité et à des expli­ca­tions y rela­tives, toujours avec anony­mi­sa­tion et restric­tions pour secrets d’affaires. La requé­rante dépose aussi­tôt (27.01.2020) une nouvelle demande de média­tion auprès du PFPDT pour ces docu­ments.  

Suite à la média­tion du 04.02.2020 le PFPDT recom­mande à la COMCO d’accorder un accès complet aux docu­ments confor­mé­ment à la LTrans, rete­nant que les secrets d’affaires allé­gués n’ont pas été démon­trés avec la moti­va­tion exigée par la juris­pru­dence (sous réserve de l’anonymisation des données person­nelles déjà accep­tée par la requé­rante).  

Constatant l’absence de déci­sion finale conforme à la recom­man­da­tion, les requé­rantes saisissent le TAF d’un recours pour déni de justice. Par arrêt du 07.12.2020 (arrêt A‑3215/​2020 du 7 décembre 2020), le TAF admet le recours et enjoint la COMCO soit d’accorder immé­dia­te­ment l’accès complet (sous réserve des données person­nelles anony­mi­sées qui ne sont plus liti­gieuses), soit, à défaut, de limi­ter le droit d’accès par une déci­sion atta­quable.  

En exécu­tion de l’arrêt du TAF, la COMCO rend le 12.01.2021 une déci­sion, en vertu de laquelle elle accorde l’accès à plusieurs actes, à sa prise de posi­tion du 27.05.2019, à l’expertise sur les gains d’efficacité et à ses expli­ca­tions (17.04.2019), mais main­tient des caviar­dages dans tous les docu­ments pour secrets d’affaires, y compris le nom de l’auteur de l’expertise.  

Le 15.02.2021, D._______, désor­mais avec B._______ et C._______, recourt au TAF, deman­dant l’annulation de la déci­sion de la COMCO du 12.01.2021 et l’accès complet aux docu­ments, confor­mé­ment à la recom­man­da­tion du PFPDT.  

Le 29.06.2023 (arrêt A‑722/​2021 du 29 juin 2023), le TAF rejette pour l’essentiel la demande d’accès inté­gral, confirme que les quan­ti­fi­ca­tions et décom­po­si­tions de coûts/​efficiences relèvent bien de secrets d’affaires mais impose plusieurs divul­ga­tions ponc­tuelles : 

  • Divulguer l’identité (nom) et le logo du rédac­teur de l’expertise sur le gain d’efficacité dans tous les docu­ments où il appa­raît ; divul­guer aussi le nom du rédac­teur du rapport, car l’intérêt public à la connais­sance de l’identité des auteurs prévaut sur l’intérêt privé à la protec­tion des données person­nelles, au regard du besoin d’évaluer la qualité de l’expertise ainsi que l’indépendance des experts. 
  • Communiquer en outre les infor­ma­tions qui concernent les recou­rantes (et non les secrets d’affaires de tiers).  

En revanche, le TAF confirme la non-divul­ga­tion de l’essentiel des chiffres (quan­ti­fi­ca­tions d’économies, esti­ma­tions par années/​branches, etc.) car ces derniers permettent de déduire les calculs de prix et la stra­té­gie rela­tive à la gestion du projet, données qui repré­sen­te­raient des secrets d’affaires juri­di­que­ment perti­nents au sens de la LTrans (art. 7 al. 1 let. g). 

Par recours en matière de droit public du 5 septembre 2023, D._______, B._______, et C._______ ont saisi le Tribunal fédé­ral et demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal admi­nis­tra­tif fédé­ral du 29 juin 2023. 

En droit 

Les recou­rantes invoquent une mauvaise appli­ca­tion de l’art. 7 al.1 let. g LTrans, ainsi que la viola­tion de leur droit d’être enten­dues (art. 29 al.2 Cst.). 

L’art. 7 al.1 let. g LTrans prévoit que l’accès aux docu­ments offi­cial peut être limité, différé ou refusé lorsqu’il peut notam­ment révé­ler des secrets d’affaires. 

La notion de secrets d’affaires n’est pas défi­nie par la loi. Selon la juris­pru­dence du Tribunal Fédéral, sont consi­dé­rés comme secrets tous faits qui ne sont ni évidents ni géné­ra­le­ment acces­sibles, que le déten­teur du secret veut effec­ti­ve­ment garder secret et à propos desquels il a un inté­rêt légi­time à la confi­den­tia­lité. L’objet du secret doit alors concer­ner des infor­ma­tions perti­nentes pour l’activité écono­mique, telles que des infor­ma­tions rela­tives aux sources d’approvisionnement, à la fixa­tion des prix, aux stra­té­gies commer­ciales, ainsi qu’aux listes de clien­tèle. L’élément déci­sif de la quali­fi­ca­tion d’un secret d’affaires réside dans la ques­tion de savoir si la révé­la­tion des infor­ma­tions visées peut avoir un impact sur le résul­tat commer­cial ou sur la compé­ti­ti­vité de l’entreprise.  

En l’espèce, les recou­rantes contestent que les infor­ma­tions caviar­dées par la COMCO ne soient pas géné­ra­le­ment acces­sibles, mais n’apportent pas d’indice propre à prou­ver le contraire. Au regard du manque de moti­va­tion des recou­rantes, le Tribunal fédé­ral rejoint la posi­tion du Tribunal admi­nis­tra­tif fédé­ral et nie le carac­tère public des infor­ma­tions. 

L’existence d’un inté­rêt subjec­tif à la confi­den­tia­lité de la part des inti­més n’étant pas contesté par les recou­rantes, seule la ques­tion de l’intérêt objec­tif à la confi­den­tia­lité reste alors liti­gieuse. 

Les recou­rantes soutiennent à ce sujet que l’art. 7 al. 1 let. g LTrans vise à préve­nir des distor­sions de concur­rence. Or, de leur point de vue, le projet de concen­tra­tion abou­ti­rait préci­sé­ment à suppri­mer toute concur­rence dans le domaine du fret à Bâle nord. Dans ces circons­tances, les inti­mées ne seraient pas habi­li­tées à se préva­loir de la protec­tion prévue à  l’art. 7 al. 1 let. g Ltrans.  

Le Tribunal Fédéral rejette cet argu­ment. S’il admet que la concur­rence effec­tive pour­rait être suppri­mée, il rappelle le carac­tère hypo­thé­tique de cette suppres­sion, au vu du fait que les inti­mées ne détiennent pour l’heure pas de posi­tion domi­nante. De plus, il relève qu’une entre­prise déte­nant une posi­tion domi­nante peut aussi avoir des secrets d’affaires, car sa posi­tion sur le marché n’est pas immuable (nouveaux acteurs, avan­cées tech­no­lo­giques etc.) et qu’elle garde un inté­rêt à proté­ger les infor­ma­tions dont la publi­ca­tion influe­rait sur ses résul­tats commer­ciaux. En ce sens, une entre­prise en posi­tion domi­nante peut se préva­loir de la protec­tion de ses secrets d’affaires.  

Dans la suite de son raison­ne­ment, le Tribunal fédé­ral procède à une analyse concrète des passages caviar­dés et confirme la quali­fi­ca­tion de secrets d’affaires rete­nue par l’instance précé­dente. Il rappelle que la divul­ga­tion de données, telles que les calculs de prix ou les projec­tions de réduc­tions de coûts, peut avoir des effets néga­tifs sur le résul­tat commer­cial et la compé­ti­ti­vité des entre­prises concer­nées, dans la mesure où les concur­rents pour­raient adap­ter leurs propres stra­té­gies ou exploi­ter ces infor­ma­tions à leur profit.  

Le Tribunal souligne que l’absence de projet concur­rent actuel­le­ment envi­sagé par les recou­rantes ne remet pas en cause la protec­tion de ces infor­ma­tions, dès lors qu’elles présentent une valeur écono­mique objec­tive et que la menace concur­ren­tielle n’a pas besoin d’être immé­diate pour justi­fier une protec­tion. En ce sens, les quan­ti­fi­ca­tions conte­nues notam­ment dans les actes et dans l’expertise sur les gains d’efficacité consti­tuent des infor­ma­tions stra­té­giques dont la protec­tion se justi­fie plei­ne­ment. Le Tribunal précise encore que la circons­tance selon laquelle l’expertise aurait été comman­dée par le projet GBN ne suffit pas à écar­ter cette quali­fi­ca­tion, et qu’il appar­tient aux recou­rantes d’apporter des argu­ments perti­nents, ce qu’elles n’ont pas fait.  

Le Tribunal fédé­ral confirme égale­ment l’exhaustivité de la liste de l’art. 7 al.1 LTrans, ainsi que déjà relevé dans sa juris­pru­dence (ATF 144 II 77, consid. 3 ; ATF 142 II 340, consid. 3.2). Les motifs d’exclusion y sont en effet énumé­rés de manière exhaus­tive et doivent être appli­qués tels quels, sans mise en balance casuis­tique avec l’intérêt à la trans­pa­rence. Il rappelle que le légis­la­teur a lui-même procédé à la pesée des inté­rêts lors de l’adoption de la loi, en consi­dé­rant que, dans les hypo­thèses visées, l’intérêt à la confi­den­tia­lité prime sur celui de la divul­ga­tion. Le seul correc­tif réside dans le prin­cipe de propor­tion­na­lité, qui impose de privi­lé­gier, lorsque cela est possible, une restric­tion partielle (p. ex. anony­mi­sa­tion, caviar­dage de données sensibles, report tempo­rel) plutôt qu’un refus pur et simple. Cette approche consacre le carac­tère limi­ta­tif et « absolu » des motifs d’exclusion de l’art. 7 LTrans, en rédui­sant la marge d’appréciation des auto­ri­tés à un contrôle stric­te­ment formel et sous l’angle du prin­cipe de propor­tion­na­lité. Il confirme ainsi, au vu de ce qui précède, que la COMCO et le Tribunal admi­nis­tra­tif fédé­ral ont correc­te­ment appli­qué la notion de secret d’affaires en consi­dé­rant ces éléments comme devant rester confi­den­tiels. 

Le Tribunal fédé­ral rejette égale­ment le grief de viola­tion du droit d’être entendu (29 al. 2 Cst.). Les recou­rantes soute­naient que la moti­va­tion de l’arrêt atta­qué était insuf­fi­sante en raison de la complexité de l’affaire et de l’importance de l’enjeu, notam­ment parce que l’accès partiel­le­ment refusé aux docu­ments les prive­rait de la possi­bi­lité de véri­fier les gains d’efficience invo­qués par le projet GBN. Le Tribunal fédé­ral rappelle toute­fois qu’en présence de secrets d’affaires, les exigences en matière de moti­va­tion sont néces­sai­re­ment réduites : la moti­va­tion peut être brève afin d’éviter toute divul­ga­tion de données confi­den­tielles (ATF 141 I 201, c. 4.5.2). Dans le cas d’espèce, la COMCO a décrit, pour chaque passage caviardé, son contenu, sa nature et les raisons de sa quali­fi­ca­tion de secret d’affaires, ce qui a permis aux recou­rantes de comprendre la logique du raison­ne­ment et de contes­ter la déci­sion de manière adéquate.  

Le Tribunal fédé­ral relève encore que la COMCO avait examiné en détail les infor­ma­tions en cause et qu’une pondé­ra­tion des inté­rêts n’était pas néces­saire une fois la quali­fi­ca­tion de secret d’affaires établie, la liste de l’art. 7 al.1 LTrans établis­sant de manière exhaus­tive les infor­ma­tions devant être proté­gées comme tel sans néces­sité de mise en balance des inté­rêts en jeu. Par consé­quent, ni la COMCO ni le Tribunal admi­nis­tra­tif fédé­ral n’ont violé le droit d’être entendu des recou­rantes. 

Au regard de ce qui précède, le Tribunal fédé­ral rejette le recours. 

Appréciation 

Cet arrêt illustre la tension struc­tu­relle entre trans­pa­rence admi­nis­tra­tive et protec­tion des secrets d’affaires. Le Tribunal fédé­ral confirme, d’une part, une concep­tion claire et cohé­rente de la notion de secret d’affaires, en garan­tis­sant aux entre­prises la protec­tion de données stra­té­giques dont la divul­ga­tion pour­rait faus­ser la concur­rence. Cette protec­tion contri­bue à la sécu­rité juri­dique et à la prévi­si­bi­lité pour les acteurs écono­miques. En revanche, la déci­sion témoigne aussi d’une concep­tion restric­tive du droit d’accès garanti par la LTrans, dans la mesure où l’absence de mise en balance concrète des inté­rêts limite la portée de la trans­pa­rence et peut donner l’impression d’un privi­lège accordé aux entre­prises impli­quées dans de grands projets d’infrastructure. L’arrêt met ainsi en lumière l’enjeu déli­cat d’un équi­libre entre l’intérêt public à la trans­pa­rence et la néces­sité de préser­ver la compé­ti­ti­vité des entre­prises, équi­libre qui penche ici nette­ment en faveur de la confi­den­tia­lité. 

Cette orien­ta­tion découle toute­fois du cadre légal lui-même : l’art. 7 LTrans prévoit des motifs d’exclusion conçus comme abso­lus, ce qui ne laisse guère de place à une mise en balance casuis­tique par le juge. La limite tient donc moins à la juris­pru­dence qu’à la struc­ture de la loi, qui pour­rait, le cas échéant, être repen­sée pour inté­grer un méca­nisme plus souple de pondé­ra­tion des inté­rêts. 



Proposition de citation : Samia Moura, Gateway Basel Nord – navigation en eaux troubles, 15 septembre 2025 in www.swissprivacy.law/371


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