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Autodétermination informationnelle d’une société dans une procédure d’assistance administrative en matière fiscale ? Oui, mais non

Nathan Philémon Matantu, le 27 novembre 2025
Compte tenu de l’inapplicabilité de la LPD aux personnes morales, et de l’adoption de l’art. 57t LOGA, le droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle est régi, pour cette caté­go­rie de personnes, par les règles de procé­dure. L’exercice de ces droits dans les procé­dures d’assistance admi­nis­tra­tive en matière fiscale se complique, d’autant plus que l’AFC n’a pas l’obligation d’admettre leur qualité de partie. 

TAF, arrêt A‑5608/​2023 du 24 juillet 2025

Introduction

Par l’intermédiaire de sa banque, une société apprend que sa raison sociale appa­raît sur la docu­men­ta­tion bancaire que l’Administration fédé­rale des contri­bu­tions (AFC) s’apprête à trans­mettre à l’autorité compé­tente fran­çaise dans le cadre d’une procé­dure d’assistance admi­nis­tra­tive en matière fiscale. La société demande alors à l’AFC d’être consi­dé­rée comme une partie à la procé­dure. Par cour­rier du 12 septembre 2023, l’AFC refuse, au motif que la société n’est pas une personne concer­née au sens de l’art. 3 let. a de la Loi fédé­rale sur l’assistance admi­nis­tra­tive fiscale (LAAF), et ne dispose pas non plus d’un inté­rêt digne de protec­tion (art. 14 et 19 LAAF cum art. 48 al. 1 let. c PA).

Bien que ce cour­rier ne soit pas dési­gné comme une déci­sion, et qu’il ne contienne aucune mention des voies de droit, la société décide de tout de même recou­rir contre celui-ci auprès du Tribunal admi­nis­tra­tif fédé­ral (TAF) pour faire consta­ter sa nullité, subsi­diai­re­ment pour obte­nir son annu­la­tion. Dans le cadre de ses conclu­sions subsi­diaires, elle solli­cite égale­ment la recon­nais­sance de sa qualité de partie, et demande qu’il soit ordonné à l’AFC de caviar­der toutes les infor­ma­tions la concernant.

La qualité de partie du tiers et l’intérêt digne de protection

En l’absence de dispo­si­tion spéciale dans la Convention contre les doubles impo­si­tions entre la Suisse et la France (CDI CH-FR), la LAAF (cf. art. 1 al. 2 LAAF) et la PA (cf. art. 5 al. 1 et 19 al. 5 LAAF) s’appliquent. Selon leurs dispo­si­tions, quiconque a la qualité pour recou­rir a la qualité de partie (art. 15 al. 1 LAAF, cf. ég. art. 111 al. 1 LTF). Ainsi, en plus de la personne concer­née, les autres personnes qui remplissent les condi­tions prévues à l’art. 48 PA ont la qualité pour recou­rir (art. 19 al. 2 LAAF).

En l’espèce, la société a été privée de la possi­bi­lité de prendre part à la procé­dure devant l’AFC (art. 48 al. 1 let. a PA), et est la desti­na­taire du cour­rier (art. 48 al. 1 let. b PA), lequel consti­tue bien une déci­sion car il met un terme à la procé­dure à l’égard de la société (art. 5 al. 1 et 19 al. 5 LAAF cum art. 5 al. 1 PA). Il reste à déter­mi­ner si la société a un inté­rêt digne de protec­tion à obte­nir son annu­la­tion ou sa modi­fi­ca­tion (art. 48 al. 1 let. c PA).

Dans les procé­dures d’assistance admi­nis­tra­tive en matière fiscale, le TAF souligne que la qualité pour recou­rir ne saurait être éten­due de manière incom­pa­tible avec les impé­ra­tifs de célé­rité (cf. ch. XI al. 5 du Protocole addi­tion­nel CDI CH-FR, art. 4 al. 2 LAAF). En effet, dans ce contexte, les tiers sont déjà proté­gés par le prin­cipe de spécia­lité (art. 28 par. 2 CDI CH-FR). Par consé­quent, les tiers souhai­tant obte­nir un caviar­dage des infor­ma­tions les concer­nant doivent démon­trer que la situa­tion est parti­cu­lière, notam­ment qu’il y a un risque concret que l’État requé­rant ne respecte pas le prin­cipe de spécia­lité, ou que la recon­nais­sance de la qualité de partie est néces­saire pour qu’une personne physique puisse faire valoir ses droits décou­lant de la LPD (ATF 146 I 172, consid. 7.1.3, et réf. citée). En revanche, selon la juris­pru­dence du TF préci­tée, le simple fait que les infor­ma­tions à trans­mettre ne soient vrai­sem­bla­ble­ment pas perti­nentes (cf. art. 4 al 3 LAAF) ne suffit pas. La société doit donc se préva­loir d’éléments supplé­men­taires pour se voir recon­naître la qualité de partie.

Un inté­rêt digne de protec­tion déduit du droit à l’autodétermination informationnelle ?

Tout comme les personnes physiques, les personnes morales sont titu­laires du droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle (art. 8 par. 1 CEDH, art. 13 al. 2 Cst.). Bien que la nLPD ne s’applique plus aux personnes morales, ces dernières restent proté­gées par l’art. 13 Cst., les art. 28 ss et 53 CC ainsi que d’autres lois spéci­fiques (LCD, LDA, règles sur les secrets profes­sion­nels, d’affaires et de fabrication).

En outre, le trai­te­ment des données des personnes morales par des organes fédé­raux est désor­mais réglé aux art. 57r ss LOGA. En parti­cu­lier, l’art. 57t LOGA prévoit que les droits des personnes morales sont régis par les règles de procé­dure. Dans le message rela­tif à la révi­sion de la LPD, le Conseil fédé­ral expli­quait renon­cer à l’introduction d’un droit d’accès ou de recti­fi­ca­tion dans la LOGA, car les règles de procé­dure, notam­ment le droit de consul­ter le dossier (art. 26 ss PA), le droit d’être entendu (art. 29 ss PA) et le droit à une déci­sion rela­tive aux actes maté­riels (art. 25a PA), protègent suffi­sam­ment les droits décou­lant de l’art. 13 al. 2 Cst. (Message LPD, FF 2017 p. 6734). Le TAF relève que l’absence de droit d’accès prévu par la loi pour les personnes morales soulève des ques­tions en matière de consti­tu­tio­na­lité, mais y voit l’expression de la volonté du légis­la­teur (silence quali­fié), qui le lie (art. 190 Cst.).

Partant, le TAF constate ici que la raison sociale de la société appa­rait unique­ment sur les rele­vés de compte de la personne concer­née, avec laquelle la société a effec­tué plusieurs tran­sac­tions. Par ailleurs, en dépit de l’argumentation fondée partiel­le­ment sur le droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle, et des conclu­sions rela­tives à l’accès au dossier et au caviar­dage des infor­ma­tions la concer­nant, le TAF juge que la société n’a fait valoir aucun élément lui permet­tant de justi­fier d’un inté­rêt digne de protec­tion. Sous cet angle, l’AFC n’a pas violé l’art. 19 al. 2 LAAF.

Un inté­rêt digne de protec­tion déduit de l’inégalité de trai­te­ment face à la pratique de l’AFC ?

Le TAF rappelle que les pratiques d’autorités admi­nis­tra­tives ne sont pas une source de droit liant le juge, mais peuvent déployer des effets juri­diques en raison du prin­cipe de la confiance ou de l’égalité de trai­te­ment. Il revient ensuite sur l’ATF 146 I 172, dans lequel le Tribunal fédé­ral (TF) semble recon­naître qu’en pratique, l’AFC admet la qualité de partie des personnes dont la qualité pour recou­rir ne ressort pas du dossier (cpr. art. 14 al. 2 LAAF), mais qui s’annoncent auprès d’elle pour deman­der un caviar­dage de leurs données (ATF 146 I 172, consid. 7.3.3). Le TF approuve expres­sé­ment cette pratique, qui permet de garan­tir le droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle (art. 8 par. 1 CEDH, art. 13 al. 2 Cst.).

Dans le même temps, le TF consi­dère qu’il n’est pas obli­ga­toire de recon­naître la qualité pour recou­rir à toutes les personnes dont le droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle est atteint par la trans­mis­sion de docu­ments à l’État requis (ATF 146 I 172, consid. 7.2). Il est certes recom­mandé d’accorder la qualité de partie aux personnes qui le demandent, mais il est en réalité suffi­sant que leurs droits soient proté­gés par une autre voie de droit, notam­ment en matière de protec­tion des données.

Fort de ces éléments, le TAF souligne d’abord que l’AFC n’est pas constante dans sa pratique. Toutefois, il relève que le droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle est préservé à plusieurs égards. Premièrement, la société peut toujours initier une procé­dure fondée sur la protec­tion des données – étant ici relevé que le TAF ne précise pas la base légale sur laquelle doit repo­ser une telle procé­dure initiée par une personne morale. Deuxièmement, la société peut inter­ve­nir auprès de l’AFC pour deman­der que la Suisse n’autorise aucune utili­sa­tion des rensei­gne­ments qui soit contraire au prin­cipe de spécia­lité (cf. art. 28 par. 2 CDI CH-FR). Troisièmement, la société peut inter­ve­nir auprès de l’État requis pour se préva­loir du prin­cipe de spécia­lité (cf. art. 28 par. 2 CDI CH-FR).

Le TAF ajoute que l’AFC ne peut pas, par prin­cipe, recon­naître la qualité de partie à quiconque le demande. Compte tenu des nombreuses constel­la­tions envi­sa­geables, une analyse indi­vi­duelle de chaque cas s’impose. L’exercice de ce pouvoir d’appréciation doit toute­fois rester compa­tible avec le droit à l’égalité de trai­te­ment (art. 8 Cst.), qui impose de trai­ter de manière égale les situa­tions semblables, et de faire les distinc­tions impo­sées par les circons­tances. Or, le TAF n’a pas connais­sance de précé­dents dans lesquels la qualité de partie a été admise, alors que le nom du deman­deur n’apparaît que sur des rele­vés de comptes dont il n’est ni titu­laire, ni l’ayant-droit économique.

En tout état, le TAF retient que, dans la mesure où la société ne s’est pas préva­lue de son droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle auprès de l’AFC (mais unique­ment dans son recours), ce point peut rester ouvert. Sous cet angle égale­ment, la société n’a pas d’intérêt digne de protec­tion, et n’a donc pas la qualité de partie.

Droit de consul­ter le dossier

Dans son recours, la société fait valoir une viola­tion de son droit d’être enten­due, résul­tant notam­ment de l’impossibilité de consul­ter le dossier. Elle demande donc l’accès au dossier à titre de mesure d’instruction.

L’absence de qualité de partie impacte néces­sai­re­ment la faculté d’exercer les droits en matière de protec­tion des données. Comme exposé supra, le TAF consi­dère que le droit d’accès de la société peut unique­ment être fondé sur les art. 26 ss PA et l’art. 29 al. 2 Cst. (cf. art. 57t LOGA), bien qu’il doute de la consti­tu­tion­na­lité de cette solu­tion. Or, dans la mesure où l’exercice du droit d’être entendu suppose une recon­nais­sance préa­lable de la qualité de partie, il se justi­fie de refu­ser l’accès au dossier.

Cet arrêt a fait l’objet d’un recours auprès du TF, lequel n’est pas entré en matière sur celui-ci (TF, arrêt 2C_​424/​2025 du 26 août 2025) faute de ques­tion juri­dique de prin­cipe ou de cas parti­cu­liè­re­ment impor­tant (art. 84a cum art. 84 al. 2 LTF).

Une appré­cia­tion

La solu­tion consa­crée dans cet arrêt n’est ni satis­fai­sante, ni convain­cante. Selon les faits rete­nus, la société a demandé à être partie à la procé­dure car sa raison sociale appa­raît sur la docu­men­ta­tion bancaire à trans­mettre. De ce seul fait, l’AFC et le TAF ne pouvaient pas rete­nir sans autre que la société n’a pas déclaré vouloir exer­cer son droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle déduit de l’art. 13 Cst. Il y avait à tout le moins doute sur la question.

En outre, sur le plan juri­dique, cet arrêt complique l’exercice du droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle par les sociétés.

Avec la solu­tion consa­crée, et tant que l’AP-LOGA ne se maté­ria­lise pas dans une loi (cpr. Nathan Philémon Matantu, in : https://​swiss​pri​vacy​.law/​3​61/), une société qui n’est pas une personne concer­née au sens de l’art. 3 let. a LAAF n’a pas la qualité de partie si elle ne se prévaut pas de son droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle. Dans le même temps, si la société se prévaut de ce droit consti­tu­tion­nel, l’AFC peut lui refu­ser le béné­fice de ce droit, au motif que le légis­la­teur aurait, par son silence quali­fié, choisi de ne pas ancrer son exis­tence dans la loi. Là égale­ment, la qualité de partie de la société pour­rait être niée, ce qui pour­rait avoir pour consé­quence l’impossibilité de se préva­loir de l’art. 57t LOGA.

Certes, il est vrai que les personnes morales ne peuvent plus se préva­loir de la nLPD (art. 1 LPD). Pour autant, cela ne signi­fie pas que le légis­la­teur a voulu leur reti­rer le béné­fice des droits prévus dans l’aLPD. Sans vouloir affai­blir le niveau de protec­tion qui préva­lait, cette limi­ta­tion aux personnes physiques vise notam­ment à faci­li­ter la commu­ni­ca­tion des données à l’étranger (Message LPD, FF 2017 p. 6595 et 6632). Ainsi, le silence quali­fié de la LPD rela­tif aux droits des personnes morales doit être replacé dans ce contexte, et ne saurait être inter­prété comme une volonté du légis­la­teur de restreindre les droits des personnes morales décou­lant de l’art. 13 Cst. Cela vaut à plus forte raison que le TF a rappelé récem­ment que l’interdiction de corri­ger un silence quali­fié ne s’applique pas lorsque la solu­tion voulue par le légis­la­teur viole la Cst. (ATF 147 V 242, consid. 7.2).

Les droits prévus aux art. 57r ss LOGA, tout comme ceux prévus par la LPD, découlent tous de l’art. 13 Cst. (Message LPD, FF 2017 p. 6734 et 6797 ; Rapport expli­ca­tif AP-LOGA, p. 2). Puisque cette dispo­si­tion est d’application directe, les socié­tés peuvent y fonder leur droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle (cf. Verwaltungsgericht ZH, arrêt VB.2020.00648 du 16 décembre 2021, consid. 4.1 ; PC LPD-Francey, art. 2 N 20 ; SGK BV-Schweizer/Striegel, art. 13 Cst. N 84 ; cpr. ég. art. 35 al. 2 Cst.). Par consé­quent, l’on ne saurait dénier aux personnes morales l’existence d’un inté­rêt digne de protec­tion, et donc la qualité de partie, du seul fait que la LPD ne leur est plus applicable.



Proposition de citation : Nathan Philémon Matantu, Autodétermination informationnelle d’une société dans une procédure d’assistance administrative en matière fiscale ? Oui, mais non, 27 novembre 2025 in www.swissprivacy.law/383


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