Information préalable aux tiers dont les données sont transmises dans une procédure d’assistance administrative ?
Arrêt TF 2C_825/2019 du 21 décembre 2021*
Le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) ouvre une procédure (art. 27 LPD) après avoir appris que l’Administration fédérale des contributions (AFC) prévoit de transmettre le nom d’une centaine de personnes à l’Internal Revenue Service des États-Unis d’Amérique (IRS) dans le contexte de l’assistance administrative internationale en matière fiscale alors même qu’il ne s’agit pas automatiquement de personnes directement concernées par ces demandes d’assistance, soit des tiers. Il rend une Recommandation tendant à ce que l’AFC informe ces tiers avant toute transmission conformément à la Loi fédérale sur l’assistance administrative fiscale (LAAF) pour leur permettre d’exercer leur droit de recours. L’AFC d’abord, puis le Département fédéral des finances (DFF) la rejettent, mais le Tribunal administratif fédéral (TAF), par arrêt A‑5715/2018 du 9 septembre 2018, donne raison au PFPDT en admettant son recours. L’AFC forme alors recours au Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral rappelle que la présente procédure a été suspendue jusqu’à droit connu en relation à une autre procédure (ATF 146 I 172, commenté sur LawInside.ch/949/) et commence par présenter l’issue de cette dernière. Dans ce dernier arrêt, il a retenu que l’AFC n’a l’obligation d’informer des tiers préalablement à l’octroi de l’assistance administrative de l’existence d’une telle procédure (art. 14 al. 2 LAAF) que dans la seule hypothèse où leur qualité pour recourir selon l’art. 19 al. 2 LAAF est évidente. Le seul fait pour ces tiers d’invoquer que leur nom n’est pas un renseignement véritablement pertinent (art. 4 al. 3 LAAF) dans ce contexte n’est pas suffisant. Ces tiers peuvent toutefois prétendre à la protection de la législation sur la protection des données.
Ainsi, c’est précisément sous l’angle de la protection des données que le Tribunal fédéral examine en l’espèce si l’absence d’information préalable à ces tiers, toutefois des personnes concernées au sens de la Loi sur la protection des données, est conforme au droit. Il débute donc par un rappel du but de la LPD et ses principes. Il souligne en outre le fait qu’une base légale est nécessaire pour le traitement de données par un organe fédéral tel que l’AFC et évoque par la suite la concrétisation de la protection des données qui exige la connaissance par les personnes concernées d’un traitement de leurs données. Deux instruments permettent de mettre en œuvre cette protection : le droit d’accès (art. 8 ; cf. à ce sujet di Tria/Lubishtani, Étude empirique du droit d’accès à ses données personnelles, in : S. Métille (éd.), Le droit d’accès, 2021, 29 ss) et le principe de transparence (art. 4 al. 4).
L’art. 18a LPD concrétise cette dernière disposition en prévoyant qu’un organe fédéral est dans l’obligation d’informer les personnes concernées d’un traitement de leurs données au plus tard lors de la collecte et sinon, lorsque ces données sont collectées auprès de tiers, au moment de l’enregistrement ou de la communication à des tiers. Toutefois, l’art. 18a al. 4 LPD prévoit une exception déliant l’organe fédéral de son obligation d’informer « si l’enregistrement ou la communication sont expressément prévus par la loi ». Se pose donc la question de savoir si l’art. 18a al. 4 LPD trouve application en l’espèce, ce que le Tribunal fédéral analyse en reprenant l’art. 4 al. 3 LAAF :
« La transmission de renseignements concernant des personnes qui ne sont pas des personnes concernées est exclue lorsque ces renseignements ne sont pas vraisemblablement pertinents pour l’évaluation de la situation fiscale de la personne concernée ou lorsque les intérêts légitimes de personnes qui ne sont pas des personnes concernées prévalent sur l’intérêt de la partie requérante à la transmission des renseignements ».
Les juges fédéraux observent que cette disposition interdit uniquement la transmission de renseignements – et donc le traitement de données personnelles – qui ne sont pas vraisemblablement pertinents, mais l’autorise dans le cas contraire. À cet égard, la jurisprudence a déjà eu l’occasion de souligner que les données de tiers à la procédure d’assistance administrative sont toujours vraisemblablement importantes pour garantir l’échange efficace d’informations entre États. Qui plus est, la loi traite de l’obligation (limitée) d’informer les tiers. Les conditions de l’art. 18a al. 4 let. a LPD apparaissent donc réunies a priori.
Avant de conclure, le Tribunal fédéral examine si l’art. 4 al. 3 LAAF constitue une base légale suffisamment précise autorisant l’ingérence – soit la transmission des données personnelles sans information préalable – au droit fondamental à l’autodétermination informationnelle (art. 13 Cst. et 8 CEDH). Il concentre cet examen sur l’exigence de prévisibilité, en ce sens que la base légale doit permettre à la personne dont les données sont concernées de savoir qu’elles peuvent effectivement faire l’objet d’un traitement. Savoir si une norme prévoyant une ingérence est suffisante à cet égard se mesure à l’aune de la gravité de cette ingérence, laquelle est notamment fonction des données en cause. Selon la jurisprudence, les données relatives aux relations commerciales ou bancaires ne sont pas sensibles au sens de l’art. 3 let. c LPD et leur traitement par un organe fédéral n’exige pas de base légale formelle (ATF 143 I 253, c. 4.9, résumé in LawInside.ch/444/).
En l’espèce, l’ingérence est expressément prévue par une loi spéciale et son intensité n’est pas particulièrement grave, de sorte que les exigences relatives à la base légale ne sont pas élevées. Les juges fédéraux considèrent en outre que l’art. 4 al. 3 LAAF est suffisamment précis pour permettre aux tiers à une procédure d’assistance administrative de savoir que leurs données personnelles peuvent être collectées et transmises. Ainsi, l’art. 4 al. 3 LAAF est une base légale suffisante et cette disposition est une loi spéciale au sens de l’art. 18a al. 4 let. a LPD déliant l’organe fédérale d’informer préalablement les personnes dont les données sont transmises.
En définitive, le recours de l’AFC est admis, l’arrêt du TAF annulé et la décision du DFF confirmée.
Si l’ATF 146 I 172 laissait entrevoir une protection accrue et de meilleures chances de succès pour le tiers invoquant la protection des données, le présent arrêt met toutefois fins à ces espoirs et adopte une approche restrictive en la matière.
Cela étant, le raisonnement du Tribunal fédéral, et en particulier son interprétation de l’art. 4 al. 3 LAAF à la lumière de l’art. 18a al. 4 let. a LPD, ne prête pas le flanc à la critique et cet arrêt doit être confirmé. L’art. 4 al. 3 LAAF est certes formulé de manière telle qu’il ne fait qu’exclure la transmission dans certains cas de figure (« lorsque ces renseignements ne sont pas vraisemblablement pertinents »). Toutefois, cela ne peut que signifier que dite transmission est autorisée dans l’hypothèse inverse. Partant, cette disposition ne souffre pas d’imprécision et tombe en effet sous le coup de l’art. 18a al. 4 let. a LPD.
Compte tenu du présent arrêt destiné à publication et de l’ATF 146 I 172, la protection du tiers au travers de son information préalable peut être résumée comme il suit. Cette information dépend de la reconnaissance de sa qualité pour recourir selon l’art. 19 al. 2 LAAF comme étant « évidente » par l’AFC. Dans un tel cas de figure, cette autorité doit donc informer le tiers avant de transmettre ces renseignements (ATF 146 I 172) et il a ainsi la possibilité de s’opposer à la transmission. Toutefois, cette reconnaissance dépend de l’AFC et son appréciation ne fait pas l’objet d’un contrôle qu’un tiers peut remettre en question. C’est pourquoi, si l’AFC conclut à l’absence d’une telle qualité pour recourir, alors le tiers n’est pas informé et il n’est pas en mesure de faire établir que sa qualité pour recourir est « évidente » pour, in fine, s’opposer à la transmission de données le concernant. Comme Hirsch le relève à juste titre, la seule solution possible est donc le dépôt d’une procédure civile tendant à faire interdire au détenteur des données leur transmission pour, en définitive, opposer le jugement obtenu à l’AFC.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Information préalable aux tiers dont les données sont transmises dans une procédure d’assistance administrative ?, 12 octobre 2022 in www.swissprivacy.law/178
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