L’intérêt à mener des recherches sur un aïeul prime le secret médical
Arrêt de la Cour de droit administratif et public (CDAP) du Tribunal cantonal du Canton de Vaud, 30 janvier 2020, GE.2018.0229
Dans le cadre d’un travail de mémoire sur ses ancêtres, la recourante a demandé aux Archives cantonales vaudoises l’accès aux pièces encore existantes en lien avec l’internement subi par son arrière-grand-père dans des établissements hospitaliers entre 1892 et 1936, année de son décès. Le Conseil de santé – autorité compétente de levée du secret professionnel dans le canton de Vaud – a refusé l’accès aux documents. Il a estimé qu’un travail de mémoire ne constituait pas un motif suffisant pour justifier la levée du secret médical.
Selon la législation vaudoise, les documents versés aux archives cantonales qui contiennent des données personnelles sont soumis à un délai de protection spécial. Ce délai est en principe de 10 ans après la date du décès de la personne concernée (art. 12 al. 2 LArch, RS-VD 432.11). Après l’écoulement du délai de protection, la consultation peut encore être restreinte en présence d’un intérêt public ou privé prépondérant, ou si les dispositions d’autres lois prévoient des délais de protection spécifiques pour certains types de documents (art. 12 al. 4 et 4 LArch, RS-VD 432.11).
En l’occurrence, le secret médical, principalement protégé par l’infraction pénale de violation du secret professionnel (art. 321 CP), a pour objet des informations particulièrement sensibles et continue de déployer ses effets après la mort du patient. Les patients doivent en effet pouvoir communiquer librement avec leur médecin sans craindre que les informations confiées ne seront révélées à des tiers après leur mort. Il n’est donc pas possible de fixer un délai légal de protection et il faut toujours procéder à une pesée des intérêts en présence. Lorsqu’elles ont été versées aux archives cantonales, de telles données ne peuvent être consultées qu’avec l’accord de l’autorité qui a versé les documents aux archives (art. 10 al. 1 LArch, RS-VD 432.11), soit le Conseil de santé.
L’autorité compétente doit statuer conformément à la législation sur l’information (LInfo, RS-VD 170.21) et sur la protection des données (LPrD, RS-VD 172.65). Ces deux législations impliquent de procéder à une pesée des intérêts en présence. Seul un intérêt clairement prépondérant permet de justifier la levée du secret.
La CDAP souligne qu’il ne faut pas minimiser l’intérêt de la personne décédée à la protection du secret médical, bien que la nécessité de protéger de telles données s’amenuise avec le temps. Dans le cas d’espèce, les documents concernés se limitent aux dates d’entrées et sorties dans un établissement, aux raisons des internements, à diverses indications générales sur le comportement du patient durant son hospitalisation ainsi qu’à deux certificats médicaux mentionnant la cause générale de l’internement. Il s’agit essentiellement d’observations factuelles qui ne méritent pas d’être tout particulièrement protégées, d’autant plus qu’il s’est écoulé un long laps de temps depuis le décès de la personne concernée (plus de 80 ans). Aucun intérêt privé ou public prépondérant n’empêche donc la recourante d’avoir accès aux documents concernés.
Cet arrêt cantonal apporte des enseignements utiles sur une question jusque-là peu abordée par la jurisprudence et la doctrine, celle des tensions entre la protection du secret médical et l’accès à des archives publiques. Alors que le secret médical garantit par principe une protection sans limite de temps, il paraît toutefois raisonnable d’y apporter des tempéraments, faute de quoi la fonction même de l’archivage public serait entravée. S’il ne fait pas de doute qu’une marge de manœuvre importante doit être laissée à l’autorité pour décider si une archive peut ou non être consultée, les bases légales cantonales sont souvent insuffisantes aujourd’hui. Ce constat vaut aussi en amont pour déterminer à quelles conditions un document couvert par le secret médical peut être versé aux archives cantonales (nécessité du consentement de la personne concernée ?).
Enfin, la question plus large de l’accès aux données couvertes par le secret professionnel en lien avec des personnes décédées fait elle aussi l’objet de lacunes législatives, y compris lorsque les données sont traitées par des personnes privées. Alors que le projet de révision totale de la LPD prévoyait une disposition spécifique sur l’accès à des données de personnes décédées, notamment celles couvertes par le secret professionnel (art. 16 P‑LPD), celle-ci a été biffée au cours des débats parlementaires sur proposition de la commission compétente qui a estimé, de manière surprenante selon nous, que les règles du Code civil relatives au droit des successions étaient suffisantes (BO 2019 N 1805).
Proposition de citation : Frédéric Erard, L’intérêt à mener des recherches sur un aïeul prime le secret médical, 26 septembre 2020 in www.swissprivacy.law/10
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