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Protection des données et archivage : la fin de la quadrature du cercle ?

Michael Montavon, le 2 mars 2023
Tandis que la légis­la­tion sur la protec­tion des données exige la suppres­sion des données person­nelles qui ne sont plus néces­saires au regard des fina­li­tés du trai­te­ment, celle sur l’archivage demande, au contraire, qu’elles soient conser­vées en faveur des géné­ra­tions futures. Comment conci­lier dès lors ces deux principes ?

Arrêt du Tribunal fédé­ral 2C_​1024/​2021 du 2 novembre 2022 (destiné à la publication)

Le pitch

Dans le cadre d’une affaire menée par le Tribunal des mineurs du canton de Bâle-Ville entre 1988 et 1991, le recou­rant est suivi par la Clinique psychia­trique univer­si­taire bâloise pour enfants et adoles­cents. Cette dernière consti­tue un dossier médi­cal compre­nant des docu­ments de trai­te­ment, des exper­tises psychia­triques et des rapports d’évolution. Le dossier judi­ciaire du recou­rant est déposé aux Archives de l’État en 2008 par le Tribunal des mineurs. En 2017, la Clinique trans­met à son tour le dossier médi­cal du recou­rant aux Archives de l’État pour qu’il soit joint à son dossier judiciaire.

Le recou­rant demande aux Archives de l’État de lui remettre son dossier judi­ciaire et son dossier médi­cal ainsi que leurs éven­tuelles copies. Subsidiairement, il demande au moins que l’accès à ces docu­ments soit bloqué. Cette demande est refu­sée devant toutes les instances canto­nales. Bien qu’elles recon­naissent que la conser­va­tion des données person­nelles du recou­rant consti­tue une atteinte grave à son droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle, elles relèvent cepen­dant que cette atteinte repose sur une base légale au sens formel, qu’elle pour­suit un inté­rêt public et qu’elle paraît égale­ment propor­tion­née au regard des fina­li­tés du trai­te­ment des données. Saisi d’un recours, le Tribunal fédé­ral donne raison aux auto­ri­tés cantonales.

Le Tribunal fédé­ral relève qu’il n’est pas contesté que la trans­mis­sion du dossier judi­ciaire et du dossier médi­cal du recou­rant aux Archives de l’État consti­tue une atteinte grave à son droit à la sphère privée et à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle. Cela est même d’autant plus vrai que les données ne sont plus conser­vées confor­mé­ment à leur but initial. Mais les droits fonda­men­taux ne sont pas abso­lus et peuvent subir des restric­tions à condi­tions d’être prévues par la loi, d’être justi­fiées par l’existence d’un inté­rêt public et de satis­faire au prin­cipe de proportionnalité.

La léga­lité du traitement

Le Tribunal fédé­ral débute avec l’examen de la léga­lité de la conser­va­tion des données du recou­rant. Il procède à une analyse détaillée de la légis­la­tion du canton de Bâle-Ville en faisant jouer entre elles plusieurs lois différentes.

Il commence par indi­quer que les données liti­gieuses sont soumises initia­le­ment au délai de conser­va­tion de dix ans prévu dans la loi canto­nale sur la santé (GesG ; RS/​BV 300.100). À l’issue de ce délai, elles tombent sous le coup de l’art. 16 de la loi canto­nale sur l’information et la protec­tion des données (IDG ; RS/​BV 153.260). Selon cette dispo­si­tion, les données qui ne sont plus néces­saires et qui sont jugées comme ne présen­tant aucune valeur archi­vis­tique doivent être suppri­mées. C’est à ce moment qu’intervient la loi canto­nale sur les archives (Archivgesetz ; RS/​BV 153.600). Cette dernière prévoit que les organes publics sont tenus de propo­ser pério­di­que­ment les docu­ments dont ils n’ont plus besoin pour l’ac­com­plis­se­ment de leurs tâches aux Archives de l’État pour qu’elles les prennent en charge (art. 7 al. 1 Archivgesetz). Cette obli­ga­tion vaut pour tous les docu­ments, y compris ceux qui « contiennent des données person­nelles dignes de protec­tion » ou qui « sont soumis à une obli­ga­tion spéci­fique de garder le secret » (art. 7 al. 2 Archivgesetz).

Le Tribunal fédé­ral parvient ainsi à la conclu­sion que, selon la loi canto­nale sur les archives, il revient aux Archives de l’État de déci­der ulti­me­ment du sort des données lorsqu’elles se prononcent sur la valeur archi­vis­tique d’un docu­ment (art. 5 al. 1 let. a Archivgesetz). Même s’il recon­naît que les Archives béné­fi­cient dans ce domaine d’un large pouvoir d’appréciation, il relève cepen­dant que ce pouvoir n’est pas infini. Il est limité par les restric­tions d’ac­cès aux données archi­vées (délais de protec­tion ; art. 10 Archivgesetz) et les possi­bi­li­tés de contrôle (voie de recours ; art. 19 Archivgesetz) prévues par la loi. Le Tribunal fédé­ral propose de redis­cu­ter ce point à l’étape de la pesée des inté­rêts publics et privés à la conser­va­tion des données litigieuses.

L’intérêt public du traitement

La deuxième étape du raison­ne­ment consiste à savoir si la conser­va­tion par les Archives de l’État du dossier judi­ciaire et médi­cal du recou­rant pour­suit un inté­rêt public. Ici, la réponse ne fait pas un pli.

L’archivage – écrit le Tribunal fédé­ral de sa plus belle plume – permet aujourd’­hui de se confron­ter ration­nel­le­ment à hier.

Le retour sur le passé proche ou loin­tain doit servir à la société en tant qu’acte d’af­fir­ma­tion et d’au­to­dé­ter­mi­na­tion. Cela permet de retrans­crire la réalité sociale […] et de rendre l’ac­tion de l’État compré­hen­sibles et contrô­lables. Dans ce but, il faut des infor­ma­tions fiables, une « mémoire collec­tive ». Les archives ont pour fonc­tion de conser­ver à long terme les docu­ments néces­saires à cet effet. Elles repré­sentent une tâche indis­pen­sable – publique en ce qui concerne l’ac­tion de l’État – pour la compré­hen­sion (rétros­pec­tive) et le contrôle de l’ac­tion étatique. Selon le Tribunal fédé­ral, l’in­gé­rence dans la sphère privée et le droit à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion infor­ma­tion­nelle du recou­rant sert donc indis­cu­ta­ble­ment un inté­rêt public.

La propor­tion­na­lité du traitement

C’est donc dans la dernière étape de l’examen de la propor­tion­na­lité et de la pesée des inté­rêts en présence que se dénoue cette affaire.

Le Tribunal fédé­ral rappelle qu’en cas d’in­gé­rence dans le droit à la protec­tion des données, il convient, dans le cadre de l’exa­men de la propor­tion­na­lité, de mettre en balance l’in­té­rêt public à la collecte ou à l’ar­chi­vage des données avec celui de la protec­tion de l’au­to­dé­ter­mi­na­tion infor­ma­tion­nelle de la personne concer­née. Les données médi­cales béné­fi­cient à cet égard d’une protec­tion parti­cu­lière, car il s’agit non seule­ment de préser­ver la vie privée, mais aussi la confiance dans la profes­sion médi­cale et dans le système de santé. Il faut dès lors prévoir des garan­ties suffi­santes contre une éven­tuelle utili­sa­tion abusive de ces données.

Se replon­geant une deuxième fois dans la loi canto­nale sur les archives du canton de Bâle-Ville, le Tribunal fédé­ral relève que les données qui sont archi­vées ne deviennent pas libre­ment acces­sibles. Il existe notam­ment des délais de protec­tion durant lesquels les docu­ments archi­vés sont, en prin­cipe, sous­traits de la consul­ta­tion. Les docu­ments qui, comme ceux du recou­rant, se rapportent à des personnes physiques de par leur desti­na­tion ou leur contenu essen­tiel, ne peuvent être utili­sés que 10 ans après le décès de la personne (ou 100 ans après la nais­sance si la date du décès n’est pas connue). Une consul­ta­tion anti­ci­pée ne peut avoir lieu qu’à des condi­tions très strictes dans des buts prédé­fi­nis et unique­ment par des personnes auto­ri­sées. Le Tribunal fédé­ral arrive ainsi à la conclu­sion que la loi canto­nale sur les archives tient compte de manière appro­priée des inté­rêts dignes de protec­tion du recou­rant et des inté­rêts publics à la conser­va­tion de ses données person­nelles. Selon le Tribunal fédé­ral, ces données pour­ront vrai­sem­bla­ble­ment servir pour l’étude de l’histoire de la psychia­trie ou du droit pénal analy­tique des mineurs.

Dans un dernier grief, le recou­rant invoque une inéga­lité de trai­te­ment entre les patients des cliniques privées et ceux des cliniques publiques en matière d’archivage, car les docu­ments des patients des cliniques privées ne finissent pas dans les Archives de l’État. Le Tribunal fédé­ral rétorque que le but de la loi canto­nale sur les archives est de rendre compré­hen­sible et contrô­lable les acti­vi­tés des organes publics, pas des insti­tu­tions privées.

Sur la base de cet examen, le Tribunal fédé­ral déclare le recours infondé et confirme que c’est à bon droit que le dossier judi­ciaire et le dossier médi­cal du recou­rant ont été dépo­sés aux Archives de l’État.

La critique

L’arrêt a, en quelque sorte, l’avantage de la simpli­cité. Tandis que les ques­tions d’archivage et de protec­tion des données sont géné­ra­le­ment vues comme inso­lubles par les juristes des admi­nis­tra­tions publiques, le Tribunal fédé­ral leur répond qu’ils doivent conser­ver tous leurs docu­ments et les propo­ser le moment venu aux Archives pour que ces dernières fassent le tri. On imagine leur soulagement.

Mais si la ques­tion a jusqu’ici été jugée aussi compli­quée, ce n’est proba­ble­ment pas un hasard. Elle met en évidence la diffi­culté qu’il peut y avoir à conci­lier certaines valeurs et certains inté­rêts que le légis­la­teur a élevés au rang de loi avec ceux qui figurent dans d’autres réseaux norma­tifs, notam­ment la réali­sa­tion des droits fondamentaux.

Le Tribunal fédé­ral souligne à raison le rôle essen­tiel des archives dans une société démo­cra­tique, car elles docu­mentent l’ac­tion de l’État et la rendent véri­fiable par tous. Les archives consti­tuent la mémoire collec­tive de la société. Les histoires et les trajec­toires indi­vi­duelles en font natu­rel­le­ment partie et il existe des raisons objec­tives de vouloir en conser­ver une trace. C’est notam­ment grâce à l’archivage de données person­nelles qu’il a été possible de mettre en évidence des pratiques anti­dé­mo­cra­tiques comme l’affaire des fiches ou celle des enfants placés.

Néanmoins, il semble que l’arrêt arrive au résul­tat que la légis­la­tion sur l’archivage consti­tue­rait en fin de compte une loi spéciale (une lex specia­lis) par rapport à la légis­la­tion sur la protec­tion des données. Au sein des admi­nis­tra­tions publiques, le prin­cipe de la conser­va­tion des infor­ma­tions présen­tant une valeur archi­vis­tique l’emporterait ainsi de manière systé­ma­tique sur celui de la suppres­sion des données person­nelles qui n’ont plus d’utilité (autre qu’archivistique)

Du point de vue de la protec­tion des droits fonda­men­taux, il en résulte un certain malaise. Un prin­cipe cardi­nal du droit de la protec­tion des données se retrouve presque estompé avec un risque d’abus réel, puisqu’il exis­tera toujours un moyen pour les pouvoirs publics ou d’autres personnes privées de retrou­ver de vieilles infor­ma­tions sur un individu.

Malgré tout, le raison­ne­ment du Tribunal fédé­ral paraît diffi­ci­le­ment criti­quable sur le plan de la tech­nique juri­dique. Il peut même trou­ver une justi­fi­ca­tion supplé­men­taire dans le fait que le RGPD prévoit lui-même toute une série d’exceptions concer­nant les trai­te­ments ulté­rieurs de données à des fins archi­vis­tiques dans l’intérêt public (cf. les art. 5 par. 1 let. b et e, 9 par. 2 let. j, 14 par. 5 let. b, 17 par. 3 let. d et 89)Reste qu’on peut se deman­der s’il n’existe pas malgré tout un meilleur moyen de conci­lier les inté­rêts prévus dans la légis­la­tion sur la protec­tion des données avec ceux prévus dans la légis­la­tion sur l’archivage. Plutôt que de tout dépo­ser aux Archives, on pour­rait envi­sa­ger, en tout cas pour les dossiers les plus sensibles, de procé­der au moyen d’un échan­tillon­nage et d’accorder aux personnes concer­nées une possi­bi­lité de s’opposer à l’archivage défi­ni­tif des données les concernant.

Finalement, on n’oubliera pas non plus que certaines données ne doivent pas être archi­vées. Dans ce cas, est-il suffi­sant de prévoir dans une loi (ou une ordon­nance ?) que des données doivent être effa­cées ou suppri­mées à l’issue d’un certain délai pour que cette règle devienne à son tour une lex specia­lis par rapport à la loi sur l’archivage ? Ou, à l’ins­tar de l’art. 34 al. 1 de la loi fédé­rale du 17 juin 2016 sur le casier judi­ciaire (LCJ ; RS 330), sera-t-il néces­saire d’énoncer expres­sé­ment que les données du casier judi­ciaire ne sont pas archi­vées ? Du point de vue du légis­la­teur, il faudra doré­na­vant inté­grer cette nouvelle compo­sante au moment de trai­ter ces questions.



Proposition de citation : Michael Montavon, Protection des données et archivage : la fin de la quadrature du cercle ?, 2 mars 2023 in www.swissprivacy.law/205


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