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Le dossier électronique du patient fait parler de lui aux Chambres fédérales

Frédéric Erard, le 23 novembre 2021
Presque une année après l’ouverture du premier dossier élec­tro­nique du patient (DEP) en Suisse, celui-ci fait l’objet de discus­sions nombreuses au sein des Chambres fédé­rales. La présente contri­bu­tion offre un aperçu non exhaus­tif des prin­ci­pales ques­tions soulevées.

La Loi fédé­rale sur le dossier élec­tro­nique du patient (LDEP) est entrée en vigueur le 15 avril 2017, avec un délai de mise en œuvre de trois ans qui devait initia­le­ment conduire au lance­ment effec­tif du DEP au prin­temps 2020. Cependant, pour des ques­tions liées aux procé­dures de certi­fi­ca­tion des commu­nau­tés dont la tâche est de four­nir l’accès aux DEP, le premier DEP n’a été ouvert qu’en décembre 2020. À l’heure où ces lignes sont écrites, six commu­nau­tés sont certi­fiées, parmi lesquelles figurent les commu­nau­tés CARA (GE, VS, VD, FR et JU) et la commu­nauté neuchâ­te­loise « Mon Dossier Santé ».

Parallèlement à sa mise en œuvre, le DEP fait régu­liè­re­ment parler de lui aux Chambres fédé­rales. C’est ici l’occasion de présen­ter un aperçu des discus­sions poli­tiques récentes à ce sujet, sans préten­tion d’exhaustivité. Les personnes inté­res­sées trou­ve­ront dans cet ouvrage une présen­ta­tion juri­dique plus géné­rale du DEP (pp. 51–72).

Caractère facul­ta­tif

Par prin­cipe, le DEP devait initia­le­ment revê­tir un carac­tère double­ment facul­ta­tif, c’est-à-dire qu’il devait être facul­ta­tif aussi bien pour les patients que pour les profes­sion­nels de la santé. Afin d’accélérer la mise en œuvre initiale du DEP, le légis­la­teur fédé­ral avait toute­fois initia­le­ment grevé ce prin­cipe d’une déro­ga­tion impor­tante en impo­sant aux four­nis­seurs de pres­ta­tions visés par les art. 39 et 49a al. 4 LAMal (notam­ment les hôpi­taux, maisons de nais­sance et EMS) de propo­ser le DEP. Alors même que les premiers DEP n’avaient pas encore été ouverts, il a saisi l’occasion de la révi­sion de la LAMal en été 2020 pour élar­gir l’obligation de s’affilier à une commu­nauté à l’ensemble des médecins.

Poursuivant sur sa lancée, le légis­la­teur fédé­ral a ensuite adopté au prin­temps 2021 une motion char­geant le Conseil fédé­ral d’éla­bo­rer les bases légales obli­geant l’ensemble des four­nis­seurs de pres­ta­tions et profes­sion­nels de la santé à s’af­fi­lier à une commu­nauté. Le carac­tère « double­ment facul­ta­tif » du DEP aura ainsi fait long feu, susci­tant au passage certaines inquié­tudes du côté des profes­sion­nels de la santé sous l’angle de la mise en œuvre concrète de cette obli­ga­tion ainsi que des consé­quences finan­cières qui en découlent.

Adoption et déploiement

Le carac­tère facul­ta­tif du DEP pour les patients a rapi­de­ment suscité des craintes sous l’angle de son adop­tion par la popu­la­tion. De telles inquié­tudes paraissent légi­times non seule­ment en raison des coûts élevés et des efforts impor­tants déployés pour la mise en œuvre du DEP, mais aussi à la lumière d’expériences étran­gères plutôt miti­gées par le passé. Faisant suite à un postu­lat adopté par les Chambres fédé­rales en 2019, le Conseil fédé­ral a publié le 11 août 2021 un rapport de 54 pages inti­tulé « Dossier élec­tro­nique du patient. Que faire encore pour qu’il soit plei­ne­ment utilisé ? ».

Ce rapport met en lumière les mesures qui sont d’ores et déjà entre­prises ou plani­fiées, à l’image de la docu­men­ta­tion établie et distri­buée par eHealth Suisse, une campagne natio­nale d’information ou encore des mesures visant à faci­li­ter l’utilisation concrète du DEP. Le rapport préco­nise de surcroît l’adoption d’une dizaine de mesures parmi lesquelles figurent la sensi­bi­li­sa­tion des profes­sion­nels de la santé lors de leur forma­tion, l’accès plus facile à une iden­tité élec­tro­nique ou la possi­bi­lité de stocker des données dyna­miques (p. ex. le plan de médi­ca­tion) de manière centra­li­sée auprès des communautés.

Répartition des tâches entre Confédération et cantons

La LDEP a été conçue comme une loi-cadre, qui devait initia­le­ment offrir une liberté d’organisation impor­tante aux acteurs char­gés de sa mise en œuvre, en parti­cu­lier les commu­nau­tés. L’idée consis­tait notam­ment à éviter que tous les efforts soient four­nis dans un modèle uniforme, qui condam­ne­rait l’ensemble du projet s’il venait à échouer. Dans les faits, les ordon­nances d’exécution fédé­rales de la LDEP sont aujourd’hui parti­cu­liè­re­ment tech­niques et précises et réduisent d’autant la marge de manœuvre effec­tive des commu­nau­tés pour déployer les DEP.

Dans son rapport « Dossier élec­tro­nique du patient. Que faire encore pour qu’il soit plei­ne­ment utilisé ? », le Conseil fédé­ral a en parti­cu­lier constaté l’existence d’un flou impor­tant en lien avec la répar­ti­tion des tâches et des compé­tences entre Confédération et cantons pour la mise en œuvre du DEP, ce qui soulève des incer­ti­tudes sur les pers­pec­tives de finan­ce­ment du DEP à long terme. Ces inter­ro­ga­tions sont d’autant plus marquées que le secteur de la santé relève tradi­tion­nel­le­ment de la compé­tence des cantons.

Le Conseil fédé­ral a par consé­quent annoncé qu’il évalue­rait « en profon­deur » la struc­ture de la LDEP d’ici février 2022 et que cet examen aurait en outre pour ambi­tion « d’évaluer une éven­tuelle centra­li­sa­tion du DEP » (p. 45–46 ; à ce sujet voir aussi la réponse du Conseil fédé­ral à une motion de juin 2021). Eu égard à l’ensemble des efforts déployés pour construire le DEP sur un modèle décen­tra­lisé, la pers­pec­tive d’un éven­tuel projet de centra­li­sa­tion n’a rien d’anodin.

Accès au DEP

Le DEP a été conçu dans l’idée que les profes­sion­nels de la santé ne peuvent accé­der aux données des patients que dans la mesure où ceux-ci leur ont accordé un droit d’accès (art. 9 LDEP). Ce droit d’accès est libre­ment modu­lable par le patient, qui peut aussi attri­buer diffé­rents niveaux de confi­den­tia­lité aux données conte­nues dans le DEP. Par ailleurs et pour rappel, le DEP consti­tue un système « secon­daire » qui ne se confond pas avec le dossier « primaire » du patient. Le DEP ne contient pas toutes les données du patient ou de la patiente, mais seule­ment les données perti­nentes pour le trai­te­ment (art. 2 let. a LDEP ). eHealth Suisse a élaboré un rapport visant à défi­nir les infor­ma­tions perti­nentes pour le trai­te­ment au sens de la LDEP, parmi lesquelles figurent par exemple les rapports de sortie ou d’opération, les infor­ma­tions concer­nant la médi­ca­tion, la liste des diag­nos­tics, les anamnèses, les résul­tats d’évaluation ou encore les prescriptions.

En juin 2021, une Conseillère natio­nale a déposé une motion visant à ce que « le dossier élec­tro­nique du patient soit adapté aux besoins des utili­sa­teurs, réduise les démarches admi­nis­tra­tives et apporte une valeur ajou­tée à toutes les personnes concer­nées ». Dans cette pers­pec­tive, elle deman­dait notam­ment au Conseil fédé­ral d’entreprendre les modi­fi­ca­tions de la LDEP afin que le DEP serve de base centrale pour le stockage des données des patients et que les profes­sion­nels de la santé soient par défaut auto­ri­sés à accé­der aux données du DEP, sauf oppo­si­tion expresse du patient (système d’opt-out).

Si de telles propo­si­tions peuvent paraître louables en vue d’une meilleure effi­ca­cité, elles ébranlent la logique géné­rale sur laquelle a été construit le DEP, qui vise à offrir aux patients une trans­pa­rence et un contrôle quasi­ment total sur les données qui sont trai­tées dans le DEP. Le Conseil fédé­ral a logi­que­ment recom­mandé de reje­ter cette motion, qui n’a pas encore été discu­tée aux Chambres.

Conformément à l’art. 7 LDEP, le DEP a été conçu exclu­si­ve­ment dans l’idée que les données versées dans le DEP sont en prin­cipe unique­ment acces­sibles par les profes­sion­nels de la santé (défi­nis par l’art. 2 let. b LDEP) et les patients, à l’exclusion de tout autre tiers. En mai 2020, deux Conseillers natio­naux ont déposé une motion char­geant le Conseil fédé­ral de prépa­rer une modi­fi­ca­tion de la LDEP qui doit permettre aux four­nis­seurs de pres­ta­tions de dépo­ser direc­te­ment leurs factures élec­tro­niques dans un volet parti­cu­lier du DEP, tout en four­nis­sant des garan­ties en matière de confi­den­tia­lité. Le Conseil fédé­ral a proposé de reje­ter cette motion au motif que le DEP n’était pas tech­ni­que­ment et idéa­le­ment conçu comme un instru­ment pour les assu­reurs-mala­die ou les caisses de méde­cin. La motion a néan­moins été adop­tée par le Conseil natio­nal, le Conseil des États ne s’étant pas encore prononcé.

La ques­tion de savoir si les données conte­nues dans le DEP peuvent être réuti­li­sées à des fins de recherche a elle aussi été soule­vée aux Chambres fédé­rales. Dans son message rela­tif à la LDEP (FF 2013 4747, 4796), le Conseil fédé­ral avait indi­qué que le projet de loi ne visait pas à « créer les bases légales néces­saires pour utili­ser les données médi­cales conte­nues dans le dossier élec­tro­nique du patient en vue de déve­lop­per des registres de mala­dies ou de qualité, à des fins de statis­tiques ou de recherche ou dans le but d’optimiser des proces­sus admi­nis­tra­tifs. Si de telles dispo­si­tions devaient voir le jour, il faudrait les intro­duire dans la légis­la­tion spéciale. »

La ques­tion parti­cu­lière de la réuti­li­sa­tion des données du DEP à des fins de recherche a été direc­te­ment soumise au Conseil fédé­ral par le biais d’une inter­pel­la­tion en septembre 2019. Ce dernier a laissé entendre qu’à défaut de règles spéci­fiques sur ce sujet dans la LDEP, la réuti­li­sa­tion des données versées dans le DEP à des fins de recherche était possible aux condi­tions prévues par Loi fédé­rale rela­tive à la recherche sur l’être humain (LRH), en parti­cu­lier les art. 32 à 34 LRH.

Il a de surcroît précisé que les procé­dures et démarches concrètes permet­tant d’uti­li­ser les données du DEP dans la recherche seraient défi­nies en temps voulu, tout en souli­gnant que les données conte­nues dans le DEP présen­taient des diffi­cul­tés pour la recherche (données non struc­tu­rées dans un premier temps, dossier médi­cal partiel et incom­plet car système secon­daire, etc.). On souli­gnera à ce sujet que l’art. 34 LRH permet à titre excep­tion­nel de réuti­li­ser des données person­nelles en l’absence de consen­te­ment des personnes concer­nées. L’application de cette dispo­si­tion semble néan­moins peu compa­tible avec la logique du DEP qui vise à offrir aux personnes concer­nées un contrôle presque total sur leurs données (via le para­mé­trage des droits d’accès par exemple).

Carnet de vaccination

Les déboires de la plate­forme en ligne « mesvac​cins​.ch » (voir notam­ment les articles publiés sur swiss​pri​vacy​.law ici et ici) n’ont évidem­ment pas manqué de susci­ter des réac­tions au sein des Chambres fédé­rales, notam­ment pour mettre en avant la néces­sité de se doter d’un carnet de vacci­na­tions élec­tro­nique fiable.

La coïn­ci­dence tempo­relle entre le naufrage de la plate­forme « mesvac​cins​.ch » et la florai­son des solu­tions tech­niques déve­lop­pées pour répondre aux défis posés par l’épidémie de COVID ont conduit un Conseiller natio­nal à deman­der au Conseil fédé­ral qu’il péren­nise certaines infra­struc­tures offi­cielles estam­pillées « COVID » (en parti­cu­lier le certi­fi­cat COVID) pour héber­ger les carnets de vacci­na­tion élec­tro­nique sur le long terme.

Toutefois, comme l’a exposé le Conseil fédé­ral, le certi­fi­cat COVID n’est pas tech­ni­que­ment adapté pour répondre aux besoins d’un carnet de vacci­na­tion élec­tro­nique. Revenant à la charge en juin 2021, le même élu a déposé une motion char­geant le Conseil fédé­ral d’in­tro­duire un carnet de vacci­na­tion élec­tro­nique qui soit compa­tible avec le DEP et qui aurait pour objec­tif de rempla­cer la plate­forme « mesvac​cins​.ch », tout en veillant à la protec­tion des données. Le 10 novembre 2021, le Conseil fédé­ral a proposé d’accepter la motion.

Constat

Ce tour d’horizon non exhaus­tif des ques­tions récem­ment soule­vées par le DEP devant les Chambres fédé­rales montre que le DEP est au centre de nombreuses discus­sions poli­tiques, qui s’inscrivent d’ailleurs souvent dans des contextes plus larges en lien avec la numé­ri­sa­tion du système de soins. Outre le défi de son adop­tion par la popu­la­tion, le DEP voit se dres­ser devant lui de nombreux obstacles (partage des compé­tences entre Confédération et cantons, finan­ce­ment). Il est cepen­dant indé­niable qu’il offre aussi de belles oppor­tu­ni­tés pour amélio­rer l’efficacité du système de soins helvé­tique, au profit des patients. Les nombreux débats poli­tiques à venir sur le DEP devront faire l’objet d’une atten­tion toute particulière.



Proposition de citation : Frédéric Erard, Le dossier électronique du patient fait parler de lui aux Chambres fédérales, 23 novembre 2021 in www.swissprivacy.law/106


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