Transparence confirmée pour les rapports d’incidents d’une prothèse
Arrêt du Tribunal fédéral 1C_692/2020 du 9 décembre 2021
Après le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, le Tribunal administratif fédéral a donné accès (art. 6 LTrans) à une journaliste à des documents officiels en possession de Swissmedic concernant la prothèse à la hanche MaxiMOM de la fabricante Symbios Orthopédie SA. Il s’agissait plus particulièrement des rapports d’incidents de fabricants (rapport fabricant) et d’utilisateurs professionnels (rapport utilisateur), ainsi que des rapports annexes, en relation aux cas de métallose, c’est-à-dire l’usure anormale d’un implant (arrêt TAF A‑3334 du 2.11.2020, cf. : www.swissprivacy.law/36).
Symbios Orthopédie SA recourt au Tribunal fédéral contre l’octroi de l’accès aux rapports utilisateur et conteste en outre la divulgation des pays d’incidents et de distribution, ainsi que des rapports annexes.
En matière de dispositifs médicaux, l’obligation légale de déclarer les incidents prévue dans la Loi sur les produits thérapeutiques (LPTh) (art. 59) est selon la recourante la pierre angulaire du système de matériovigilance. Toutefois, les indications figurant dans les rapports d’incidents pourraient être utilisées dans le cadre de procédures civiles et pénales contre les utilisateurs. En cas d’accès à ceux-ci, l’institution serait alors détournée de son but pour rechercher des coupables et la divulgation des rapports conduirait à une diminution drastique des annonces des utilisateurs. La recourante fait donc valoir que l’art. 7 al. 1 let. b LTrans trouverait application en l’espèce, précisément car l’accès « entrave l’exécution de mesures concrètes prises par une autorité conformément à ses objectifs » comme le prévoit cette disposition. À défaut, il existerait un « chilling effect » ainsi que l’a retenu Swissmedic pouvant dissuader utilisateurs et fabricants de rapporter des incidents par crainte d’actions en justice et sans que le caviardage ne puisse prévenir ce risque.
Le Tribunal administratif fédéral a considéré que l’application de l’art. 7 al. 1 let. b LTrans dans le cas d’espèce pourrait avoir l’incompatible et indésirable effet de soustraire un pan entier de la LPTh à la transparence en l’absence de dérogation expresse à la Loi sur la transparence. À cet égard, le Tribunal fédéral explique (c. 2.3) :
« s’interroger sur la pertinence de cette objection de principe, dès lors que l’application de l’art. 7 LTrans peut précisément avoir pour conséquence de soustraire le cas échéant différents secteurs de l’activité étatique au principe de transparence sans que le législateur ne l’ait expressément prévu au sens de l’art. 4 LTrans ».
Cela étant, le Tribunal fédéral laisse la question ouverte, car il rejette le premier grief de la recourante tiré de l’art. 7 al. 1 let. b LTrans en concluant que ses craintes que les utilisateurs puissent être dissuadés d’effectuer les annonces d’incidents en raison de l’accès aux rapports ne sont pas objectivement justifiées sur la base de quatre éléments. En premier lieu, les données personnelles relatives aux patients, à l’établissement médical, aux praticiens et à toute autre personne seront caviardées dans les rapports puisque la journaliste requérante y a renoncé. En outre, les rapports ne contiennent qu’une description de l’incident (dates d’implantation et d’explantation de la prothèse) et de l’état du patient. Or ces indications, au demeurant déjà connues du patient lui-même, ne sont pas de nature à fonder des prétentions en justice. Troisièmement, l’anonymisation imparfaite alléguée au sujet du nom d’un médecin est infondée, hormis l’indication « Prof » qui devra être supprimée, mais elle n’est pas propre à restreindre l’accès aux rapports. Enfin, la possibilité d’identifier l’établissement ou le médecin par recoupement n’apparaît pas suffisamment vraisemblable compte tenu du peu d’informations à disposition.
C’est en outre en vain que Symbios Orthopédie SA fait valoir que les fabricants pourraient renoncer à déclarer un incident qui, par hypothèse, ne serait pas annoncé par un utilisateur, alors même que la majorité des rapports reçus par Swissmedic seraient des rapports fabricant. Même si l’accès aux rapports d’incidents est accordé, il y a lieu de présumer que les fabricants respecteront leur obligation légale d’annoncer tout incident comme le leur impose la loi qui prévoit également des sanctions en cas de manquement. La solution est ici la même que celle retenue s’agissant des rapports d’incidents des entreprises de transport (ATF 144 II 77).
En définitive, la divulgation des rapports d’incidents n’a pas d’effet dissuasif selon le Tribunal fédéral qui rejette les exceptions de l’art. 7 al. 1 let. b et c LTrans.
Examinant ensuite l’exception de l’art. 7 al. 2 LTrans invoquée par la recourante et nécessitant une pesée des intérêts, le Tribunal fédéral souligne que la recourante n’a pas à redouter que le public tire des conclusions erronées au sujet de sa réputation sur la base des rapports d’incidents. L’intérêt public à la divulgation des rapports est « manifeste » aussi bien pour les consommateurs desdits produits médicaux que le public (c. 3.3) :
« il s’agit d’une part de l’intérêt des consommateurs à prendre connaissance des éventuels problèmes liés à l’utilisation d’un produit particulier dans le domaine de la santé, en l’occurrence une prothèse de hanche. Mais surtout, il s’agit de l’intérêt, à la base de la LTrans, à pouvoir vérifier la manière dont Swissmedic s’acquitte de sa mission de contrôle, et de manière plus générale à pouvoir évaluer l’efficience du système de matériovigilance. Il s’agit là d’un intérêt public important et évident ».
Ainsi, l’intérêt public prévaut et ce deuxième grief est donc écarté.
Enfin, le Tribunal fédéral rejette l’exception du secret commercial (art. 7 al. 1 let. g LTrans) s’agissant de la « tolérance de fabrication », soit les déformations après une certaine période d’implantation, puisque la prothèse en cause n’est plus produite depuis 2008 et l’existence d’un secret, non démontré, est laissée ouverte.
Le recours est donc rejeté.
Cet arrêt confirme presque intégralement le raisonnement du Tribunal administratif fédéral, en particulier quant à la pesée des intérêts en présence, mais aussi et surtout sur l’absence de « chilling effect » que causerait la divulgation des rapports d’incidents.
Néanmoins, le Tribunal fédéral se distancie de l’autorité inférieure sur un élément fondamental relevant de la portée pratique de l’art. 7 LTrans et du mécanisme même de la transparence. Sans aller jusqu’à contredire l’appréciation du Tribunal administratif fédéral en faisant souffrir la question de rester ouverte, notre Haute Cour souligne que l’absence d’exception au sens de l’art. 4 LTrans n’est pas décisive, mais que, en fonction des circonstances de l’espèce, l’entrée en jeu d’une exception au principe de la transparence n’a pas d’autre effet que de maintenir le voile sur l’activité étatique. Selon nous, le fait que la transparence soit la règle et le secret l’exception ne saurait avoir pour effet d’annihiler le rôle dévolu à l’art. 7 LTrans. La précision du Tribunal fédéral est donc la bienvenue en ce qu’elle rend justice à la portée de la disposition indépendamment de son application dans le cas d’espèce.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Transparence confirmée pour les rapports d’incidents d’une prothèse, 24 janvier 2022 in www.swissprivacy.law/116
Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.