Rapport concernant l’amélioration de la gestion des données dans le domaine de la santé
Le début de la pandémie liée au COVID-19 avait rapidement mis en lumière des lacunes en matière de numérisation et de gestion des données de santé. Le Conseil fédéral avait alors confié au Département fédéral de l’intérieur (DFI), auquel est rattaché l’OFSP, la tâche d’améliorer la gestion des données dans le domaine de la santé. Le rapport du 12 janvier 2022 présente les mesures effectivement mises en œuvre pour améliorer la gestion des données dans le système de santé et dresse un bilan de celles-ci. Il présente ensuite une approche globale de la gestion des données dans le système de santé et propose une série de mesures concrètes à développer pour le futur. Les départements concernés devront présenter d’ici juillet 2022 les prochaines étapes. Cette contribution met un accent particulier sur les informations pertinentes d’un point de vue juridique et ne prétend pas à l’exhaustivité.
Les mesures mises en œuvre depuis le début de la pandémie ont principalement porté sur la numérisation étendue des processus de collecte, ainsi que sur l’évaluation et la représentation des données. Malgré des améliorations réalisées en matière d’annonces en cours de pandémie, des lacunes considérables continuent d’exister. Parmi celles-ci figure par exemple l’identification des personnes malades concernées et l’identification des acteurs procédant aux déclarations. Le rapport constate qu’ « en raison des dispositions légales en vigueur, les informations sont mises en commun au moyen de noms et d’adresses saisis plusieurs fois et souvent de manière incorrecte par les centres de test, les médecins et les laboratoires soumis à l’obligation de déclarer ». Outre l’absence des problèmes d’uniformité (p. ex. systèmes de traçages différents selon les cantons), le rapport déplore par exemple l’absence d’interfaces normalisées sécurisées, rendant l’échange de données entre différentes autorités difficile.
En dépit des progrès réalisés en cours de pandémie, l’OFSP constate que de nombreuses lacunes doivent être comblées pour parvenir à une gestion durable et fiable des données dans le système de santé. Les solutions doivent impérativement reposer sur une approche globale, qui prend en compte le système de santé dans son ensemble et qui ne se focalise pas seulement sur les acteurs liés à la pandémie. Les tâches liées au système de santé sont cependant vastes et mettent en jeu des procédures et des données particulièrement hétérogènes.
Le rapport dresse la liste des principaux projets actuels en termes de gestion des données dans le système de santé tout en pointant leurs lacunes respectives. De manière générale, le rapport parvient à la conclusion qu’une stratégie globale, aujourd’hui absente, est nécessaire. Selon les conclusions d’un précédent rapport de 2019 sur la stratégie de transparence dans le domaine des coûts et prestations de santé rendu par le Prof. Christian Lovis, cette situation serait essentiellement due à un environnement réglementaire disparate, reposant sur l’idée que la collecte de données est fondée sur les principes de finalité et de proportionnalité. Les exigences posées par ces principes auraient pour conséquence une multiplication des processus de collecte et de traitement.
L’OFSP identifie ensuite les différentes composantes d’une gestion des données globales, qui doivent être soumis à un examen plus approfondi. De manière intéressante, la première de ces composantes se rapporte aux bases légales applicables. Le rapport constate ainsi que les bases légales qui fondent les traitements de données en matière de santé ont été adoptées pour répondre à des problèmes sectoriels. Par conséquent, une utilisation multiple des données dans le domaine de la santé – c’est-à-dire pour des finalités multiples – est souvent restreinte, voire impossible. Cette situation a conduit à la mise en place de processus redondants en matière de collecte, de conservation et d’évaluation des données.
Parmi les autres composantes d’une gestion des données globales figure en particulier la gestion commune du consentement. Sur ce point, l’OFSP relève que le consentement des personnes concernées est dans de nombreux cas nécessaire pour la transmission et la réutilisation de données par d’autres services. De manière intéressante, il relève qu’une « gestion du consentement » a récemment été conçue dans le cadre du projet « Données pour les chercheurs » qui fait suite au postulat Humbel 15.4225 et que davantage de résultats seront disponibles au printemps 2022.
Pour conclure, l’OFSP a identifié trois champs d’action, accompagnés de plusieurs mesures à mettre en œuvre pour le futur. Les deux premiers champs d’action ont pour objet la transparence nécessaires sur tous les acteurs du système de santé ainsi que l’établissement d’une gestion commune des données entre les acteurs du système de santé et les autorités. Le troisième et dernier champ d’action est plus intéressant du point de vue du droit. Il vise en effet à définir des conditions-cadre sur le plan des processus, de l’organisation et de la législation. Pour répondre à cette demande, l’OFSP travaille actuellement avec l’Office fédéral de la statistiques (OFS) et la Conférence suisse des directeurs de la santé (CDS) pour constituer un groupe spécialisé sur la gestion globale des données dans le système de santé. L’objectif de ce groupe consiste à définir conjointement des normes homogènes sur la gestion des données dans le domaine de la santé, en particulier sous l’angle des normes techniques et sémantiques. Dans les limites de leurs compétences, la Confédération et les cantons devraient œuvrer de concert pour que de telles normes soient déclarées obligatoires par des actes législatifs.
Il faut évidemment saluer les efforts qui sont menés aujourd’hui pour améliorer la gouvernance des données dans le domaine de la santé. En Suisse, cette initiative a été déclenchée par l’épidémie de COVID-19, qui a mis à jour l’état peu glorieux de la gestion des données de santé en Suisse (on se souvient notamment du jour où la Suisse a appris que le torrent de déclarations de cas COVID était communiqué aux autorités fédérales… par fax). En dépit des mesures intéressantes qu’il propose, le rapport de l’OFSP suscite toutefois quelques interrogations sous l’angle juridique. En effet, même si le rapport mentionne en préambule les difficultés posées par le caractère « extrêmement sensible » des données dans le domaine de la santé ou encore la « très grande complexité » du paysage des données liée au grand nombre d’acteurs et à la gestion assurée à tous les niveaux de l’État fédéral, le rapport s’étend finalement assez peu sur les obstacles juridiques posés.
La dernière des mesures proposées prévoit certes la création d’un groupe spécialisé sur la gestion des données de santé qui est entre autres chargé des questions liées à la législation, mais cela reste plutôt vague. On pense notamment aux questions délicates suscitées par le double partage des compétences législatives en matière de santé (compétence historiquement dévolue aux cantons) et en matière de protection des données personnelles (législations fédérales ou cantonales selon le type de responsable du traitement). Dans un autre registre, le rapport évoque de manière assez floue l’idée de favoriser la réutilisation des données tout en rapportant les conclusions critiques du Prof. Lovis sur les obstacles posés par les principes de finalité et de proportionnalité en matière de collecte et de conservation de données. Or, ces principes sont fondamentaux en matière de protection des données personnelles, et à plus forte raison lorsque les données sont sensibles à l’instar des données relatives à la santé. On peut certes rétorquer à cela que la gestion globale des données de santé ne se rapporte pas uniquement aux données « personnelles », mais plus largement à toutes les données permettant d’analyser et d’évaluer le système de santé helvétique. Personne ne conteste l’idée d’améliorer le système de santé en collectant et en analysant les données disponibles, mais les interrogations soulevées vont forcément émerger tôt ou tard. Il semble par conséquent judicieux d’identifier rapidement et précisément les questions juridiques en présence de telle manière à initier au plus tôt un débat et parvenir à parvenir à des solutions qui soient socialement acceptables.
Proposition de citation : Frédéric Erard, Rapport concernant l’amélioration de la gestion des données dans le domaine de la santé, 30 janvier 2022 in www.swissprivacy.law/119
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