Droit d’accès vs secret de fonction
Arrêt de la Cour de justice de la République et du canton de Genève du 10 mai 2022, ATA/488/2022
À Genève, un enfant né en 2016 est retiré de sa famille d’accueil après environ trois ans d’hébergement. Suite à cela, les parents d’accueil font une demande de droit d’accès auprès du service genevois de protection des mineurs (SPMi) sur la base de l’art. 8 LPD. Ceux-ci souhaitent notamment que leur soient communiqués les échanges les concernant entre (i) les tuteurs de l’enfant et le SPMi, (ii) avec la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ), autorité vaudoise homologue au SPMi, et (iii) avec les parents de l’enfant. Le SPMi refuse d’y donner suite, avançant que cela s’oppose à des intérêts privés et publics prépondérants. Des données personnelles sensibles de tiers, en particulier celles de l’enfant, sont « indissolublement liées » aux données personnelles des parents d’accueil.
Le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE), saisi par le SPMi, n’a pas délié les curateurs de leur secret de « protection ». Le Préposé cantonal genevois à la protection des données et à la transparence (PPDT) indique que la pesée des intérêts faite par le TPAE était fondée sur l’art. 413 al. 2 CO. Il appartient donc à ce Tribunal, et non au PPDT, d’effectuer cette pesée, le droit fédéral étant réservé par l’art. 3 al. 5 LIPAD. Le SPMi a donc rendu une décision maintenant son refus à donner suite à la demande d’accès.
La famille d’accueil a recouru auprès de la Cour de justice contre la décision du SPMi. L’arrêt analyse si la décision de refus d’accès était valable.
La Cour de justice rappelle tout d’abord que selon l’art. 39 de la loi genevoise du 1er mars 2018 sur l’enfance et la jeunesse (LEJ, RS/ge J 6 01), le département de l’instruction publique, de la jeunesse et des sports (DIP), auquel est rattaché le SPMi, traite notamment les données relatives à la santé des enfants et des jeunes. Un échange d’information est prévu si cela est utile et nécessaire à la prise en charge de l’enfant (art. 40 LEJ). De plus, la communication de données sensibles entre des institutions publiques est autorisée, mais soumise au respect de certaines conditions (art. 41 LEJ). Elle rappelle ensuite le secret de fonction auquel sont soumis les membres du personnel de la fonction publique, que le Conseil d’État peut lever. En outre, elle ajoute que les curateurs sont soumis au secret en vertu de l’art. 413 al. 2 CC, sauf si des intérêts prépondérants s’y opposent. Comme c’est le cas en l’espèce, les curateurs professionnels employés de la collectivité publique sont également soumis au secret de fonction.
L’autorité de protection de l’adulte et de l’enfant (APAE) est tenue au secret, sauf si des intérêts prépondérants s’y opposent (art. 451 CC). Le secret est important à plusieurs égards. Tout d’abord, la confiance de la personne concernée envers l’autorité est primordiale. De plus, il y a un intérêt à une bonne collaboration des personnes impliquées avec l’autorité afin que les renseignements pertinents puissent être obtenus, dans le but que l’autorité puisse assumer ses tâches. La Cour de justice indique que :
« [l]’obligation du secret vaut à l’égard de tous les tiers, y compris les proches comme les parents. Elle porte sur l’intégralité des données personnelles et est plus large que le secret de fonction. En principe, les obligations légales de garder le secret de fonction l’emportent sur le droit de la protection des données. »
La Cour de justice suit l’avis du SPMi en ce sens que ce dernier ne pouvait pas donner accès aux données à la famille d’accueil, car il n’avait pas été délié du secret de « protection » par le TPAE. Elle rappelle que le dossier du SPMi a pour seul but de décider des mesures de protection de l’enfant et non pas de collecter des données concernant la famille d’accueil. La protection de la personnalité de l’enfant impose que ses données ne soient pas divulguées à des tiers.
Les tuteurs de l’enfant sont soumis au secret de « protection ». Il s’agit d’un secret de fonction, sanctionné en cas de divulgation par l’art. 320 CP. La Cour de justice indique que le secret de « protection » s’apparente au secret médical, qui peut être levé par une autorité. En l’espèce, le TPAE n’avait pas levé le secret et la Cour de justice ne comprend alors pas pourquoi les parents d’accueil pourraient accéder à ces informations. Elle ne conçoit pas comment les informations figurant dans le dossier du SPMi qui se rapportent exclusivement aux parents d’accueil pourraient être dissociées des données personnelles de l’enfant, le dossier étant constitué d’informations se rapportant à l’enfant.
Les parents d’accueil avaient encore indiqué que de fausses informations à leur égard figuraient au dossier. Cependant, la charge de la preuve pesant sur ceux-ci, la Cour de justice indique qu’ils n’ont pas suffisamment produit d’éléments pour emporter sa conviction de la cour, ni suffisamment motivé leur demande.
Les parents d’accueil n’avaient donc pas d’intérêt supérieur à celui de l’enfant à accéder aux données figurant dans le dossier du SPMi. Cette dernière autorité n’ayant pas été déliée du secret, la Cour de justice a jugé que c’était à raison que l’accès a été refusé aux parents d’accueil.
Nous relevons toutefois une erreur dans la demande de droit d’accès, qui n’a pas été discutée dans l’arrêt. La famille d’accueil a fondé sa demande d’accès sur l’art. 8 LPD alors qu’elle aurait dû le faire en vertu des art. 44 ss LIPAD. Il s’agit en effet d’un droit d’accès régi par le droit cantonal, le responsable du traitement étant une institution publique au sens de l’art. 3 al. 1 let. a LIPAD. Cependant, cette erreur des parties n’a pas eu d’impact sur la décision au fond, car la Cour de justice a simplement raisonné sur la base des dispositions cantonales. Cela nous permet néanmoins de rappeler que les champs d’application de la LPD et des lois cantonales de protection des données ne sont pas les mêmes et que les règles applicables peuvent être différentes.
Proposition de citation : Alexandre Barbey, Droit d’accès vs secret de fonction, 22 juillet 2022 in www.swissprivacy.law/159
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