L’accès du public aux documents officiels de l’Autorité fédérale de surveillance en matière de révision est régi par la LTrans
Arrêt du Tribunal fédéral 1C_93/2021 du 6 mai 2022
La présente affaire a pour toile de fond le scandale qui a éclaboussé CarPostal SA (CarPostal) en février 2018 : entre 2007 et 2015, CarPostal avait violé la législation sur les subventions lors de l’établissement de ses comptes et perçu des indemnités trop élevées pour la prestation de services de transport public.
Dans un communiqué de presse du 4 décembre 2018, l’Autorité fédérale de surveillance en matière de révision (ASR) a spontanément informé le public de ce que, à la suite de l’éclatement de ce scandale, elle avait mené un contrôle ad hoc à l’égard de l’organe de révision de CarPostal. Ce contrôle avait mis en lumière plusieurs lacunes, graves pour certaines, concernant les travaux de révision effectués auprès de CarPostal et de La Poste Suisse SA (La Poste).
Le 15 juillet 2019, La Poste et CarPostal ont requis de l’ASR qu’elle leur donne accès au rapport de contrôle précité et ses annexes. L’ASR a rejeté la demande d’accès, décision confirmée par le TAF, dont l’arrêt B‑6115/2019 du 16 décembre 2020 a été attaqué par CarPostal et La Poste par la voie du recours de droit public.
En premier lieu, le TF examine la question de savoir si la demande d’accès des recourantes doit être examinée au regard de la LTrans ou de l’art. 19 al. 2 de la Loi fédérale sur la surveillance de la révision (LSR) en tant disposition spéciale dérogeant au régime de la LTrans. À cet égard, le TF rappelle que la coordination entre l’obligation générale de transparence prévue par la LTrans et les autres lois fédérales – qu’il s’agisse d’obligations de conserver certaines informations secrètes (art. 4 let. a LTrans) ou de normes d’accès spéciales (art. 4 let. b LTrans) – ne peut pas être fixée de manière générale, mais doit être déterminée au cas par cas, en interprétant les normes concernées. Par ailleurs, les obligations d’information active prévues par d’autres lois fédérales peuvent, dans certains cas, constituer des normes d’accès spéciales au sens de l’art. 4 let. b LTrans. Par analogie avec les règles de confidentialité d’autres lois fédérales, il convient d’interpréter les normes concernées pour déterminer si une obligation d’information active impose éventuellement des règles plus souples ou plus strictes pour accéder aux documents officiels dans un cas particulier.
En l’espèce, l’art. 19 al. 2 LSR prévoit que l’ASR n’informe le public des procédures closes ou en cours que si des intérêts prépondérants publics ou privés l’exigent. Le TF juge qu’a priori cette disposition ne règle que le pouvoir de l’ASR d’informer activement le public et ne lui interdit pas de fournir au public une information passive plus étendue, telle celle de la LTrans (interprétation littérale). Le TF poursuit son raisonnement en recourant aux autres méthodes d’interprétation – historique, téléologique et systématique – afin de dégager le sens de la norme. Il en conclut que l’art. 19 al. 2 LSR ne constitue pas une disposition spéciale au sens de l’art. 4 LTrans et, partant, que la demande d’accès des recourantes est régie par la LTrans, en particulier ses art. 6 ss.
En second lieu, le TF juge que la pesée des intérêts effectuée par le TAF doit être corrigée et complétée sur plusieurs points. Le TF admet le recours, annule l’arrêt entrepris et renvoie l’affaire au TAF pour nouvelle décision.
La présente contribution se concentre sur la première question tranchée par le TF, soit celle de savoir si l’art. 19 al. 2 LSR constitue une disposition spéciale dérogeant au régime de la LTrans. La seconde question, la pesée des intérêts en présence, fera l’objet d’une contribution séparée.
Cette décision est importante, car elle précise le champ d’application de la LTrans par rapport à celui de la LSR. Elle appelle toutefois deux critiques.
Premièrement, le TF se fonde, à tort selon nous, sur l’arrêt publié aux ATF 146 II 265 (cf. LawInside.ch/933/) pour retenir que l’absence d’indication dans le Message de la LSR sur la coordination entre cette loi et la LTrans doit être interprétée comme un indice que le législateur n’aurait pas voulu restreindre le champ d’application de la LTrans. Or en l’occurrence, la LSR a été débattue devant les chambres en 2005, alors que la LTrans avait été adoptée à peine quelques mois plus tôt et qu’elle n’était pas encore entrée en vigueur. De plus, la coordination entre les deux lois n’a été discutée ni lors de l’adoption de la LTrans ni lors de celle de la LSR. A cela s’ajoute qu’au cours des travaux préparatoires, il avait été envisagé que l’ASR fasse partie de la FINMA (FF 2004 3745, 3764, 3779 et 3877). Or cette dernière est exclue du champ d’application personnel de la LTrans (art. 2 al. 2 LTrans). Dans ces circonstances, l’absence de réflexion quant à la coordination entre la LSR et la LTrans semble s’expliquer davantage par un oubli que par une réelle volonté de faire primer la LTrans sur la LSR.
Secondement, dans son interprétation systématique, le TF ne revient que de manière très limitée sur l’analyse approfondie du TAF sur le rapport existant entre le secret de l’organe de révision (art. 730b CO), le secret de fonction des employés de l’ASR (art. 34 LSR), la protection des deux secrets précités en droit pénal (art. 320 et 321 CP) et l’obligation réglementaire des réviseurs assujettis à la LSR d’informer l’ASR (art. 15a LSR). Pour l’essentiel, le TF se limite à contester sommairement que les art. 730b CO et 34 LSR soient pertinents pour l’interprétation systématique de l’art. 19 al. 2 LSR. Ce faisant, il ne considère pas le fait que les assujettis ont l’obligation réglementaire d’informer l’ASR (art. 15a LSR) ni que, de ce fait, ils peuvent légitimement s’attendre à ce que l’ASR ne divulgue pas à des tiers les informations confidentielles ainsi communiquées. De manière plus générale, on relève que, dans une précédente affaire (ATF 141 I 201 c. 4.2 ; cf. LawInside.ch/81/), le TF avait énuméré les motifs justifiant l’exclusion de la FINMA du champ d’application de la LTrans (p. ex. traitement régulier de données confidentielles, secret de fonction, dispositions encadrant l’entraide administrative et la collaboration avec les autorités étrangères). Or la majorité de ces motifs sont transposables à la situation de la LSR et apparaissent pertinents pour interpréter l’art. 19 al. 2 LSR.
En définitive, la décision du TF semble avoir été motivée dans une large mesure par les particularités du cas d’espèce, ce qui est regrettable au vu de la portée générale de l’arrêt.
Ces considérations illustrent les difficultés que la délimitation du champ d’application de la LTrans pose aux praticiens. Pour résoudre l’insécurité juridique découlant de l’art. 4 LTrans, une auteure a d’ailleurs suggéré que le Conseil fédéral établisse une liste exhaustive des normes qui soustraient des documents et informations au champ d’application de la LTrans (Dominique Hänni, Vers un principe d’intégrité de l’administration publique, Zurich 2020, n. 808). Cette suggestion a le mérite de ne pas faire dépendre la solution retenue des particularités d’une procédure déterminée et met en lumière le fait que la coordination de la LTrans avec les autres lois fédérales est une question éminemment politique.
Proposition de citation : Grégoire Chappuis, L’accès du public aux documents officiels de l’Autorité fédérale de surveillance en matière de révision est régi par la LTrans, 9 septembre 2022 in www.swissprivacy.law/170
Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.