Sujets traités lors d’une séance d’un exécutif communal vaudois : publics ou confidentiels ?
Arrêt CDAP GE.2022.0180 du 11 novembre 2022
Le 6 juin 2022, un administré adresse à la Municipalité de Leysin une demande de transparence sur le fondement de la Loi vaudoise sur l’information (LInfo ; BLV 170.21) en requérant d’être renseigné sur « l’ensemble des sujets / objets traités lors des séances de Municipalité durant le mois de mai 2022 » ou que les documents officiels associés, à l’instar des ordres du jour des séances ou extraits des procès-verbaux, lui soient remis.
Par décision du 16 juin suivant, la Municipalité refuse cette demande au double motif qu’elle porte sur des documents internes au sens de l’art. 9 al. 2 LInfo et qu’elle est insuffisamment précise.
Réitérant sa demande le 8 août, l’administré précise qu’elle ne porte pas sur des documents internes, mais sur les sujets traités en séance par l’exécutif communal, sous forme d’une liste. Se référant le 22 août à la décision précitée, la Municipalité fournit des tableaux des activités et décisions de l’exécutif de janvier à juin 2022 « sous une forme résumée », tout en rejetant la demande pour le surplus. Dès lors que « les décisions » ne font que partiellement droit à sa requête, l’administré les défère le 25 août à la Cour de droit administratif et public (CDAP) du Tribunal cantonal vaudois par la voie du recours.
Dans un premier temps, la CDAP écarte le grief d’irrecevabilité du recours soulevé par l’autorité intimée en raison de son caractère tardif, en retenant que le courrier du 22 août est une reconsidération de sa missive du 16 juin et, ainsi, d’une nouvelle décision contestée en temps utile. Elle analyse ensuite la première des trois exceptions soulevées cette-fois-ci par l’autorité intimée pour justifier sa décision de refus d’accès, à savoir que la demande ne porterait pas sur un document précis. Pour se prononcer, la Cour revient sur les fondements du principe de la transparence dans le canton de Vaud.
L’art. 41 Constitution du canton de Vaud (Cst.-VD ; BLV 101.01) prévoit que « l’État et les communes informent la population de leurs activités selon le principe de la transparence » et la LInfo réglemente ce devoir d’information prévalant tant pour les autorités cantonales que communales (art. 2 LInfo). L’art. 8 al. 1 LInfo dispose que « les renseignements, informations et documents officiels […] sont accessibles au public », sous réserve des exceptions des art. 15 ss LInfo. La notion de « document officiel » est définie à l’art. 9 LInfo et la jurisprudence précise qu’il s’agit de tout document ayant « un rapport avec une action administrative des autorités ». En se référant aux travaux préparatoires, une requête peut porter sur des renseignements ou informations ne figurant pas dans un document officiel. Enfin, une demande d’information n’est soumise à aucune exigence de forme selon l’art. 10 al. 1 LInfo et doit uniquement contenir les indications suffisantes pour permettre l’identification du document officiel recherché.
En l’espèce, la demande porte sur une période précise – mai 2022 – et concerne, en conséquence, un nombre limité de documents et restreint de renseignements, d’autant plus que la Municipalité de Leysin se réunit une fois par semaine. Il y a tout lieu de penser que les ordres du jour ou extraits des procès-verbaux couvrant les sujets traités au cours des séances de l’exécutif existent dès lors qu’il s’agit d’éléments standards du fonctionnement institutionnel d’une Municipalité et que leur existence n’a pas été remise en cause par l’autorité intimée. Les documents ne sont donc pas compliqués à identifier et il est difficile de déterminer en quoi les informations sollicitées ne pourraient l’être.
Deuxièmement, la Municipalité allègue que la demande ne peut être satisfaite en raison de la charge de travail qu’elle serait susceptible d’occasionner. Selon l’art. 16 al. 2 let. c LInfo, le travail « manifestement disproportionné » occasionné par une demande est un intérêt public prépondérant permettant de refuser l’accès. L’art. 24 Règlement d’application de la LInfo (RLInfo ; BLV 170.21.1), applicable par analogie aux autorités communales (art. 2 al. 2 RLinfo), définit le caractère « manifestement disproportionné » par le fait que l’autorité « n’est pas en mesure, avec le personnel et l’infrastructure dont elle dispose ordinairement, de satisfaire à la demande de consultation sans perturber considérablement l’accomplissement de ses tâches ». Procéduralement enfin, l’autorité supporte le fardeau de la preuve en faveur du droit d’accès aux documents officiels.
En l’occurrence, l’autorité intimée considère à tort que le recourant exigerait l’ensemble des documents officiels traités par elle en mai 2022. Au contraire, la demande porte sur un nombre limité d’informations. Rien n’indique que celles-ci figurent dans des documents ne pouvant être retrouvés, cas échéant adaptés, triés, puis mis à disposition dans un laps de temps raisonnable n’impliquant pas de détourner pour une période relativement longue les collaborateurs de l’administration communale de leurs tâches usuelles. L’exception tirée de l’art. 16 al. 2 let. c LInfo ne peut donc être retenue.
Enfin, la Municipalité considère que la demande devrait être refusée dès lors que la liste des sujets traités en séance de municipalité serait un document interne. Cette notion est définie par l’art. 9 al. 2 LInfo, aux termes duquel il s’agit de « notes et courrier échangés entre les membres d’une autorité collégiale, entre ces derniers et leurs collaborateurs ou entre leurs collaborateurs personnels, ainsi que les documents devant permettre la formation de l’opinion et de la décision d’une autorité collégiale ». En font partie selon la jurisprudence les documents dévoilant le processus de formation de la volonté de l’autorité ou comportant une appréciation politique nécessitant une prise de décision.
En l’espèce, la CDAP distingue selon qu’il est question de l’ordre du jour d’une séance ou d’extraits d’un procès-verbal.
S’agissant d’un ordre du jour d’une séance de municipalité, il s’agit d’un document comportant une liste de sujets soumis à la discussion et au vote qui, en principe, ne comprend aucun élément d’appréciation politique, sans que son contenu ne permette d’inférer le processus de formation de la volonté de l’autorité. S’il n’est pas exclu qu’un tel document soit soustrait au principe de la transparence selon son libellé exact, il appartenait à l’autorité intimée de le démontrer, dès lors que repose sur elle le fardeau de la preuve. S’étant contentée d’une appréciation générale selon laquelle un ordre du jour est par définition un document interne, elle ne peut être suivie.
En revanche, les extraits de procès-verbaux des séances d’une municipalité sont exclus du champ d’application de la LInfo en raison de l’art. 64 al. 2 Loi vaudoise sur les communes (LC ; BLV 175.11) interdisant leur communication à des tiers et qui, à ce titre, est une lex specialis au sens de l’art. 15 LInfo. La question de savoir si l’accès à une version caviardée à de tels documents, se limitant à la seule mention des sujets discutés, peut rester ouverte, dès lors que la production des ordres du jour des séances de la municipalité ou d’une liste exhaustive ad hoc des sujets traités en mai 2022 suffit dans le cas présent.
Au vu de ce qui précède, le recours est admis.
Cet arrêt soulève les quatre remarques suivantes.
Tout d’abord, le présent arrêt a des implications pour tous les exécutifs vaudois, communaux comme le Conseil d’État : les sujets qu’ils traitent lors de leurs séances sont des « informations » au sens de l’art. 8 al. 1 LInfo qui sont publiques et doivent être communiqués aux administrés. Il illustre en outre l’étendue du principe de la transparence dans le Canton. En effet, si communiquer un ordre du jour existant peut suffire, il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’un document interne selon les circonstances. Or puisque la LInfo ne porte pas seulement sur les documents officiels, mais aussi les « renseignements » ou « informations », cela ne dispense pas l’autorité en cause d’identifier les documents pertinents pour, cas échéant, établir une liste ad hoc comportant les informations sollicitées.
Ensuite, force est d’admettre que la situation serait appréciée différemment au niveau fédéral. En effet, le Conseil fédéral est soustrait au champ d’application de la LTrans (swissprivacy.law/141/), si bien que les sujets traités par lui lors de ses traditionnelles séances hebdomadaires du mercredi ne peuvent être obtenus au travers d’une demande de transparence.
Troisièmement, l’affirmation de la CDAP selon laquelle l’art. 64 LC interdit la communication à des tiers des séances d’une municipalité semble quelque peu péremptoire. Une contribution à paraître prochainement reviendra sur la distinction à opérer dans ce contexte selon qu’il s’agit ou non d’un procès-verbal décisionnel.
Signalons enfin que cet arrêt précède une décision de la Chambre administrative de la Cour de justice genevoise du 15 novembre 2022 portant cette fois-ci sur les procès-verbaux de séances d’une commission du Conseil municipal de la Commune de Chêne-Bougeries. Si la commune s’est d’abord opposée à leur divulgation, un accord de médiation entre l’autorité et le requérant a permis l’accès à ces documents. Le litige a toutefois éclaté du fait du caviardage des documents par la commune qui s’était pourtant engagée à ne pas les caviarder. La Chambre administrative est parvenue à la conclusion que l’accord de médiation est un contrat de droit administratif mettant fin à la procédure engagée par la demande de transparence, de sorte qu’il est immédiatement exécutoire. Conformément au principe général pacta sunt servanda, un tel accord doit être respecté par l’autorité qui, en caviardant les documents, adopte un comportement contradictoire et contrevenant aux règles de la bonne foi.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Sujets traités lors d’une séance d’un exécutif communal vaudois : publics ou confidentiels ?, 3 janvier 2023 in www.swissprivacy.law/194
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