L’accès à la prise de position interne du SEM relative à une décision du Comité contre la torture
Un requérant d’asile érythréen débouté fait l’objet d’une décision de renvoi vers son pays d’origine. Saisi d’une requête, le Comité des Nations Unies contre la torture conclut que le renvoi de l’intéressé constituerait une violation de l’art. 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT, C/65/D/811/2017).
Le 26 janvier 2020, un requérant dépose une demande d’accès au sens de l’art. 10 de la Loi sur la transparence à l’adresse du Secrétariat d’État aux Migrations (SEM) portant notamment sur la prise de position interne de cette autorité concernant la décision précitée. Le SEM n’y donne que partiellement suite le 21 février qui suit, en transmettant certes le document intitulé « Eritrea : Stellungnahme betreffend Eingaben im Zusammenhang mit dem CAT-Urteil C/65/0/811/2017 vom 7. Dezember 2018 », mais en caviardant cinq passages.
Le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) est saisi le 4 mars 2020 par le requérant d’une demande en médiation (art. 13 LTrans) portant sur les passages caviardés. Intégralement écrite en raison des mesures sanitaires édictées par le Conseil fédéral en vue de contrer la pandémie de COVID-19, la procédure de médiation aboutit le 2 avril 2020 à une recommandation du PFPDT (art. 14 LTrans).
L’art 6 al. 1 LTrans institue le principe du droit d’accès aux documents officiels, auquel répondent les exceptions prévues par l’art. 7 LTrans. Aux termes de l’art. 7 al. 1 let. b LTrans, « le droit d’accès est limité, différé ou refusé, lorsque l’accès à un document officiel […] entrave l’exécution de mesures concrètes prises par une autorité conformément à ses objectifs ». En l’occurrence, le SEM considère que les passages litigieux « contiennent des déclarations sur les procédures internes de la procédure d’asile » et assimile leur publication au fait de fournir « une sorte de guide de la procédure d’asile en Suisse » qui saperait le travail des autorités juridictionnelles en matière d’asile. C’est pourquoi lesdits passages tomberaient dans l’exception prévue par l’art. 7 al. 1 let. b LTrans selon le SEM. Le requérant ne souscrit pas à une telle interprétation, jugeant non-pertinents les arguments invoqués par l’autorité fédérale.
Le PFPDT indique d’emblée qu’il s’impose de s’écarter de la lettre de l’art. 7 al. 1 let. b LTrans pour rendre justice à son véritable esprit, en retenant une interprétation restrictive de la norme. À défaut en effet, une application à la lettre permettrait à l’administration de refuser l’accès à un grand nombre d’informations, ce qui éloignerait la LTrans du but qui lui a été assigné par le législateur. Ainsi, ce n’est que lorsque l’information divulguée compromet sérieusement une mesure concrète ou que le secret de cette dernière est « la clé de son succès » que l’accès à ladite information peut être refusé (TAF, A‑683/2016, c. 5.4.1).
De l’aveu même du SEM, les passages caviardés n’ont trait qu’à une méthode générale de traitement des demandes d’asiles des requérants originaires d’Érythrée. Le PFPDT retient de ce fait qu’ils ne contiennent pas d’indications servant une « mesure concrète », si bien que de telles informations sont constitutives d’observations « d’ordre général ». Le fait que les requérants d’asile risquent de s’inspirer des informations caviardées plutôt que présenter objectivement les motifs les ayant amenés à trouver refuge en Suisse ne saurait rien y changer.
Il n’appert donc pas que la divulgation des passages caviardés entrave avec une forte probabilité l’exécution d’une quelconque mesure concrète et que le maintien du secret à leur égard est nécessaire au succès de la mesure. Il s’ensuit que la présomption de liberté d’accès aux documents officiels au sens de l’art. 6 al. 1 LTrans n’a pas été renversée par l’autorité fédérale.
Partant, le PFPDT conclut que le document requis doit être remis au requérant dans son intégralité.
La présente affaire s’est arrêtée à ce stade. En effet, le SEM a accepté cette recommandation et transmis le document au requérant sans caviardage.
Notons que l’art. 7 al. 1 let. b LTrans fait l’objet à juste titre selon nous d’une critique sévère de la part de la doctrine, laquelle souligne, d’une part, qu’il n’existe pas d’équivalent à l’étranger et dans les lois cantonales sur la transparence et, d’autre part, mais surtout, que la disposition légale en question confère aux autorités ni plus ni moins qu’un chèque en blanc (Blankocheck) (cf. Bertil Cottier, in : S. Brunner/L. Mader (édit.), Stämpflis Handkommentar zum BGÖ, Berne 2008, Art. 7 N 24). Une interprétation exclusivement littérale couvrirait l’activité de l’État d’une certaine opacité qui est fondamentalement étrangère au but de transparence devant guider l’application de la loi.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, L’accès à la prise de position interne du SEM relative à une décision du Comité contre la torture, 13 septembre 2020 in www.swissprivacy.law/2
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