20 ans d’utilisation de la LIPAD par les journalistes
Note bene : Cet article est une version synthétique et adaptée de la contribution intitulée « 20 ans d’utilisation de la LIPAD par les journalistes » tirée de l’ouvrage « 20 ans de transparence à Genève ».
À l’occasion des 20 ans de la LIPAD, cet ouvrage retrace l’historique du texte légal et l’application de ce dernier par la médiatrice, puis le Préposé cantonal ainsi que son utilisation par les journalistes. Il traite des notions tels que la bonne foi, la protection des intérêts privés, l’accès aux archives publiques, l’accès aux examens scolaires, les principes de procédure. Finalement, il détaille l’exemple fribourgeois ainsi que l’avenir de la transparence. Il est disponible en libre accès sur le site suivant : https://suigeneris-verlag.ch/buecher/033.
Les auteurs s’expriment à titre personnel.
20 ans d’utilisation de la LIPAD par les journalistes
L’information publique concernant le fonctionnement des institutions est un fondement de la démocratie. Le but de la Loi genevoise sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles (art. 1 LIPAD) le rappelle : cette information est nécessaire pour « favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique ».
Les journalistes ont un rôle crucial à jouer dans la réalisation de ce but. C’est en mettant le fonctionnement de l’activité des administrations en exergue dans les médias et en favorisant le débat que la démocratie peut rester vivante. Les journalistes font un usage régulier de cet outil et sont traités comme tout autre citoyen-demandeur.
C’est sur cette pratique que nous nous penchons dans cet article. Tout d’abord, nous commenterons et décrirons quelques sujets journalistiques réalisés grâce à la LIPAD ces vingt dernières années, ainsi que les procédures d’accès menées par des médias à Genève. Puis, nous développerons quelques conseils et recommandations pour une utilisation efficace et responsable du principe de transparence par les professionnels des médias.
Vingt-deux demandes d’accès de journalistes analysées
Pour effectuer un inventaire des sujets journalistiques réalisés grâce au droit d’accès aux documents à Genève, nous nous sommes basés sur des articles de presse et des recommandations des préposés à la transparence genevois, qui ont parfois mené à des arrêts au niveau cantonal, voire fédéral, où le demandeur est clairement identifiable en tant que journaliste.
Nous avons identifié au total 22 demandes d’accès de journalistes durant ces vingt premières années de LIPAD. Malgré une analyse minutieuse des publications de 2002 à 2022, nous ne prétendons pas être exhaustifs. Certaines publications journalistiques ont probablement utilisé le principe de transparence sans le mentionner explicitement ou sans que nous l’ayons décelé. De même, une demande journalistique n’est pas toujours reconnaissable lors de l’analyse d’une recommandation ou de la jurisprudence.
Parmi ces 22 demandes, 9 ont donné lieu à des publications journalistiques sans que nous n’ayons identifié de médiation ni de procédure judiciaire en lien avec les articles en question. Sept autres sont arrivées au stade la recommandation, 4 ont fait l’objet d’un arrêt cantonal et 2 ont été jugées par le Tribunal fédéral.
Plusieurs constats ressortent de notre analyse de ces 22 cas.
Tout d’abord, la durée de la procédure est extrêmement variable. Si dans certains cas le document a été rapidement obtenu, le record de notre analyse est détenu par une procédure ayant duré 832 jours entre la demande d’accès et l’arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice (ATA/949/2019 du 28 mai 2019).
Nous nous sommes également intéressés aux exceptions les plus souvent invoquées par l’administration. Il s’agit en premier lieu de celle de la protection de la sphère privée, puis de celle du secret d’affaires. Nous constatons donc que la tension entre transparence et protection des données s’exerce sur une partie importante de ces procédures.
Quant aux thèmes couverts par les demandes d’accès de journalistes, une partie importante concerne les coûts engagés par l’administration pour différentes opérations ou mandats. Nous sommes là au cœur de la raison d’être du principe de transparence : faire la lumière sur les engagements, notamment financiers, réalisés par les collectivités.
Des agendas des conseillers d’Etats à un rapport d’audit sur les frais professionnels
Voici quelques cas où les journalistes ont utilisé le droit d’accès.
En 2007, le magazine Bilan s’intéresse aux montants gagnés par les élus municipaux et publie, après avoir dû les demander avec insistance, tous les chiffres des communes de plus de 2000 habitants.
En 2014, Le Courrier obtient le coût d’un mandat externe dans le cadre d’un projet de nouvelle grille salariale. La même année, la Tribune de Genève demande l’accès aux coûts d’une application développée pour le compte des Services industriels de Genève. Ces informations obtenues permettent d’étayer la recherche journalistique et de nourrir le débat démocratique avec des faits bruts. Il est intéressant de noter que, dans le cas du mandat externe, le journaliste estime que le montant révélé « semble raisonnable ». Un des buts de la transparence, qui est d’améliorer la confiance dans les institutions, semble ici bien illustré.
Parfois, les demandes ont permis l’accès à des documents très précis. Par exemple, en 2018, le média 20 minutes obtient l’accès à une directive spécifique de la police genevoise ayant trait au traitement des données policières des personnes VIP. Depuis, cette directive est activement publiée par la police. En 2019, la chaîne de télévision Léman Bleu a obtenu une semaine d’agenda de chaque conseiller d’Etat et la publication a été assortie d’interviews explicatifs sur leur emploi du temps. C’est un bel exemple de rapprochement entre autorités et citoyens par la transparence : l’accès aux documents permet de dévoiler les coulisses sans nécessairement mettre le doigt sur des dysfonctionnements.
Parmi les cas qui ont dû être tranchés par les tribunaux, l’accès à un rapport d’audit sur les frais professionnels de la Ville de Genève est emblématique. L’obtention de ce rapport a en effet permis d’apprendre que la moitié des dépenses de frais des fonctionnaires est « non conforme ». La Chambre administrative de la Cour de justice cantonale souligne, en ordonnant la remise du rapport, qu’une large diffusion de ce document permettrait d’améliorer la pratique contrairement à ce qu’avait soutenu la ville (ATA/427/2020 du 30 avril 2020). Ce cas permet de montrer que les rapports d’audit font partie des documents accessibles.
Nous renvoyons le lecteur à la publication originale (p. 19 ss) pour prendre connaissance de l’intégralité des 22 demandes analysées.
Conseils et bonnes pratiques pour l’utilisation de la LIPAD par les journalistes au fil des étapes jalonnant la procédure d’accès
Avant la demande en transparence, lors des recherches préliminaires, il convient tout d’abord de vérifier si le document demandé est déjà accessible sur Internet ou si les informations contenues dans le document ont déjà été divulguées dans un autre cadre (communiqué de presse, interpellation parlementaire), (cf. par exemple : PPDT/GE, Recommandation du 28 juin 2017 en l’affaire X journaliste c. Police cantonale genevoise). Ensuite, il est judicieux d’examiner si un document similaire a déjà fait l’objet d’une recommandation ou d’une jurisprudence dans le canton faisant l’objet de la demande, mais également dans d’autres cantons, au niveau fédéral, voire dans d’autres pays.
Lors de la formulation de l’objet de la demande, il est essentiel d’être aussi précis et méticuleux que possible.
En examinant les premières demandes, dès 2002, on constate que les journalistes requièrent parfois de simples informations plutôt que l’accès à des documents précis. Les réponses qu’ils obtiennent sont alors des informations d’ordre général ou un simple chiffre, mais pas forcément de « document » au sens de la LIPAD.
Concrètement, il n’est pas toujours aisé pour les demandeurs d’identifier le document souhaité. Dans la pratique, il est utile d’enquêter et de se renseigner au préalable pour savoir quels sont les documents existants et, si possible, connaître leur titre ou, du moins, les décrire le plus précisément. Si ce n’est pas réalisable, il est parfois nécessaire de formuler la demande de manière large, par exemple en requérant « les documents qui contiennent [l’information souhaitée] ». Pour cibler une demande, il peut être utile de demander à l’administration une table des matières, un index ou alors la liste des divers documents à disposition.
Il est à noter que, parfois, l’information ou le document peuvent être obtenus par un simple appel téléphonique sans lancer de procédure d’accès par écrit.
Enfin, lors de la demande, il est capital de bien séparer la procédure d’accès à un document du reste de l’enquête journalistique.
Au fil de la procédure, il peut être opportun de recalibrer la demande, si cela est pertinent et stratégique par rapport à l’enquête menée ainsi qu’aux exceptions invoquées par l’administration (CACJ ATA/949/2019 du 28 mai 2019).
Les préposés genevois à la transparence (Joséphine Boillat/Stéphane Werly, Le principe de transparence dans les cantons romands, Annuaire ADSPO 2020, p. 31–58, p. 55) relèvent « la liste pléthorique » d’exceptions des réglementations qui, dans la pratique, a comme répercussion qu’il est facile pour une institution publique « d’invoquer un motif de refus de transmission ». Ces exceptions doivent être lues en gardant à l’esprit que c’est à l’administration de prouver qu’elles trouvent à s’appliquer dans le cas concret. (TAF, A‑4500/2013, 27 février 2014, consid. 3.1 ; TAF, A‑6377/2013, 12 janvier 2015, consid. 3.2).
La question des délais est une question récurrente et importante dans l’utilisation journalistique des lois sur la transparence : dans sa pratique quotidienne, un journaliste travaille souvent à flux tendu, en lien avec l’actualité. En cours de procédure, le demandeur se retrouve face à différents délais pour accéder à un document. Il est indispensable d’être irréprochable dans le suivi des délais, d’anticiper, de garder le lien et de relancer les autorités si besoin ainsi que de prendre des mesures d’organisation afin d’anticiper les potentielles absences.
Enfin, au moment de la publication, deux questions doivent se poser : faut-il mettre à disposition le document obtenu et faut-il mentionner le principe de transparence dans l’article ?
Il peut être intéressant de publier le document ou un extrait, d’autant qu’il est accessible à chacun selon l’adage access to one access to all (cf. www.swissprivacy.law/89). Toutefois, la publication doit s’inscrire dans le cadre de la déontologie journalistique d’usage : il ne fait pas toujours sens de publier l’intégralité des documents. Par ailleurs, une attention particulière doit être portée au respect du droit d’auteur (Office fédéral de la Justice, Mise en œuvre du principe de transparence dans l’administration fédérale : questions fréquemment posées, 3.2.3. Transparence et droit d’auteur, p. 15).
Concernant la mention, dans la publication, de l’utilisation de cet outil, l’association Loitransparence.ch préconise que les journalistes ayant accédé à un document en invoquant une loi sur la transparence l’indiquent expressément. Nous partageons cet avis, car la mention des sources est en adéquation avec la déontologie journalistique (Conseil suisse de la Presse, Directive 3.1 relative à la « Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste » du 18 février 2000) et permet également de sensibiliser le public/citoyen aux possibilités qu’offrent les lois sur la transparence.
Nous sommes pour la transparence dans la transparence.
Pour conclure
Après ce tour d’horizon, nous constatons une évolution encourageante à la fois du côté des demandeurs et des administrations qui, de part et d’autre, ont mis en œuvre cette loi. Les enquêtes journalistiques réalisées à Genève en utilisant la loi sur la transparence en sont les témoins. En revanche, nous regrettons de sentir encore une résistance dans certains cas. La longueur de certaines procédures constitue un véritable obstacle pour les journalistes devant suivre le rythme de l’actualité. Nous relevons également qu’une simple demande allant jusqu’au TF peut avoir des coûts qui constituent tout simplement un frein au principe même de transparence.
Pour améliorer encore le principe de transparence et son utilisation journalistique, la LIPAD pourrait évoluer sur quelques points, tels que l’introduction d’un délai de réponse clair, ainsi que le devoir pour l’administration d’assister le demandeur dans sa démarche.
Proposition de citation : Anaïs Fontaine / Bastien von Wyss, 20 ans d’utilisation de la LIPAD par les journalistes, 9 octobre 2023 in www.swissprivacy.law/256
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