Prélèvement de l’impôt ecclésiastique, prédication et baptême – protection des données
Arrêt du Tribunal cantonal fribourgeois TC 601 2023 4 du 29 juin 2023 (cet arrêt fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral).
Nota bene : L’Autorité cantonale de la transparence, de la protection des données et de la médiation a rendu un préavis sur l’accès aux données demandées dans le cadre de l’affaire.
Accès aux données personnelles du registre du contrôle des habitants – activités religieuses
Une corporation ecclésiastique (la corporation) du canton de Fribourg bénéficiant d’un statut de droit public a adressé une demande d’accès aux données personnelles contenues dans le registre du contrôle des habitants (FriPers) du canton de Fribourg, et en particulier à certaines données qui s’y trouvent (art. 12 al. 1 de la Loi cantonale du 25 novembre 1994 sur la protection des données [LPrD/FR ; RSF 17.1] et art. 16 ss de la Loi cantonale du 23 mai 1985 sur le contrôle des habitants [LCH ; RSF 114.21.1]). La LCH règle aux art. 16 ss l’accès à FriPers pour les autorités et administrations publiques (art. 16a LCH) et les particuliers et organisations privées chargés de l’exécution d’une tâche publique ou qui sont au bénéfice d’un mandat de prestations et/ou subventionnés par l’Etat (art. 17a LCH).
Cette corporation est autonome par rapport à l’État et bénéficie d’une souveraineté fiscale. Elle a fait une demande d’accès à FriPers pour identifier les membres de sa confession, et accomplir ses prérogatives de droit public, à savoir prélever l’impôt ecclésiastique, la prédication et le baptême.
La Direction de la sécurité, de la justice et du sport (DSJS) du canton de Fribourg a décidé d’octroyer l’accès aux données suivantes à la corporation : identifiant communal de la personne, nom officiel, nom de célibataire, nom d’alliance, nom selon le passeport étranger, prénoms officiels, prénoms selon le passeport étranger, date de naissance, sexe, date de décès, date d’arrivée, date de départ, adresse postale, adresse de domicile, appartenance religieuse, langue de correspondance pour les habitantes et les habitants de la confession de la corporation. Elle a également précisé que l’accès en ligne n’est pas autorisé et qu’il appartient au service compétent de fournir une extraction de listes à l’intéressée. Ce ne sont pas toutes les données contenues dans FriPers qui ont été rendues accessibles, et pas non plus toutes celles qui ont été sollicitées.
Accès nécessaire pour accomplir ses tâches
La corporation a fait valoir que son activité requiert les données pour lesquelles l’accès lui a été dénié. Le Tribunal cantonal a analysé, pour chaque donnée une par une, dans quelle mesure l’accès par FriPers est nécessaire pour que la corporation et ses paroisses puissent accomplir leurs tâches.
Le Tribunal cantonal a décidé que les données suivantes doivent être accessibles à la corporation, en plus de celles pour lesquelles l’accès avait été octroyé par la DSJS, pour les motifs évoqués ci-dessous :
- État civil et date d’évènement de l’état civil : la corporation a besoin de ces données, dans la mesure où le mariage religieux ne peut pas être célébré en l’absence de mariage civil préalable. L’accès à ces deux données doit donc lui être accordé.
- Noms et prénoms actuels du père et de la mère (si même commune) : afin d’organiser des activités pour les enfants mineurs pour lesquelles la corporation est tenue d’obtenir le consentement des représentants légaux, il lui est indispensable de connaître l’identité des parents.
Le Tribunal cantonal a confirmé le refus de la DSJS d’octroyer l’accès aux données suivantes et pour les motifs évoqués ci-dessous :
- Nom alias, autre nom, nom selon déclaration, prénom usuel, prénom selon déclaration : afin d’identifier les personnes de la confession en question la corporation a uniquement besoin du nom et prénom officiel, du nom d’alliance et du nom de célibataire.
- Lieu de naissance : le lieu de naissance n’est pas nécessaire à l’identification des personnes, puisqu’il est peu vraisemblable que des personnes aient le même nom et la même date de naissance.
- Nationalité : la communication à adapter avec les paroissiens en fonction de divers évènements avec des paroissiens d’autres cultures ou nationalités, invoquée par la corporation pour avoir accès à la nationalité, ne fait pas partie de ses tâches. C’est pour cette raison que l’accès à la nationalité doit lui être refusé.
- Lieux d’origine : la corporation ayant déjà accès à l’état civil et à la date de l’évènement de l’état civil, les lieux d’origine ne sont pas nécessaires à la corporation afin de vérifier si une personne désirant se marier ne l’est pas déjà, comme argumenté.
- Commune d’annonce, relation d’annonce et identificateur de bâtiment EGID : l’accès n’est pas nécessaire, puisque la corporation dispose déjà du numéro attribué par l’Office fédéral de la statistique à la commune (art. 6 let. b de la loi fédérale du 23 juin 2006 sur l’harmonisation des registres des habitants et d’autres registres officiels de personnes [LHR ; RS 431.02]). La corporation a d’ailleurs obtenu les adresses de domicile et postale.
- Lieu de provenance et lieu de destination, date de déménagement : afin d’attribuer la personne à une paroisse, il suffit d’obtenir la nouvelle adresse de domicile moyennant l’accès octroyé par la DSJS à FriPers. L’accès à ces données n’est donc pas nécessaire.
- Catégorie de ménage : sur le plan administratif, l’obtention de cette donnée n’est pas pertinente.
- Identificateur de logement, numéro de ménage, nom du conjoint(e)/partenaire enregistré, prénom du conjoint(e)/partenaire enregistré, date de naissance du conjoint(e)/partenaire enregistré, sexe du conjoint(e)/partenaire enregistré : la corporation n’a pas besoin des informations sur le logement pour effectuer ses tâches. L’accès aux données du conjoint(e) ou du partenaire enregistré n’est pas non plus nécessaire, puisque l’accès doit se limiter aux personnes de confession évangélique réformée.
- Noms et prénoms du père et de la mère à la naissance de l’enfant : les noms et prénoms des parents à la naissance de l’enfant ne sont pas nécessaires, et cas échéant, ces données peuvent être sollicitées directement auprès des personnes concernées.
- Nombre d’enfants mineurs : dans la mesure où les paroisses reçoivent les informations pertinentes de la part des autorités fiscales cantonales et communales, elles n’ont pas besoin d’obtenir en sus la possibilité de connaître le nombre d’enfants mineurs faisant ménage commun avec une personne réformée.
- Numéro AVS (NAVS) : afin d’octroyer l’accès au NAVS à la corporation, il faudrait que le droit applicable autorise l’utilisation systématique du NAVS par la corporation. Aucune disposition de droit cantonal, en particulier ni la Loi cantonale du 26 septembre 1990 concernant les rapports entre les Églises et l’État (LEE ; RSF 190.1), ni la loi sur le contrôle des habitants, n’autorise expressément la corporation à utiliser le NAVS. S’il s’agissait d’une réglementation interne à la corporation et non d’une loi cantonale au sens formel, la base légale ne serait pas suffisante. Faute de base légale (4 LPrD/FR), l’accès ne peut pas être accordé.
Conclusion
Le Tribunal cantonal a effectué un examen très poussé et détaillé, et ainsi rendu une décision qui a donné une interprétation stricte de la loi, ce qui se justifie sous l’angle de la proportionnalité. Cet arrêt a fait l’objet d’un recours, qui est pendant au Tribunal fédéral.
Proposition de citation : Martine Stoffel / Arnaud Biasin, Prélèvement de l’impôt ecclésiastique, prédication et baptême – protection des données, 16 octobre 2023 in www.swissprivacy.law/257
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