La CJUE serre la vis au traitement des données par les sociétés de fourniture de renseignements commerciaux
Introduction
SCHUFA Holding AG, une société privée allemande, est active dans l’évaluation de la solvabilité. Elle fournit à ses clients des informations sur la fiabilité financière des individus et des entreprises. SCHUFA utilise des méthodes mathématiques et statistiques avancées pour générer un « score » qui prédit la probabilité d’un comportement futur d’une personne, comme le remboursement d’un prêt. Ce processus, connu sous le nom de « scoring », repose sur la théorie selon laquelle on peut anticiper les actions d’un individu en l’associant à un groupe ayant des caractéristiques similaires et un historique de comportement comparable. Cette méthode vise à évaluer les risques de manière plus précise et à aider les clients de SCHUFA à prendre des décisions éclairées en matière de crédit.
Dans la première affaire, deux individus bénéficient de décisions judiciaires de libération anticipée de reliquat de dette. Selon le droit allemand, la publication officielle sur Internet de ces décisions est supprimée six mois après leur prononcé. Mais ces renseignements restent disponibles auprès de SCHUFA. En application du code de conduite élaboré par l’association des sociétés allemandes de fourniture de renseignements commerciaux, SCHUFA conserve ces données et les communique à ses clients pendant trois ans. Les deux individus saisissent le Hessischer Beauftragter für Datenschutz und Informationsfreiheit (Commissaire à la protection des données et à la liberté de l’information pour le Land de Hesse) (ci-après le « HBDI ») d’une plainte au sens de l’art. 77 RGPD afin qu’il ordonne à SCHUFA de supprimer ces données. Le HBDI refuse, affirmant que cette pratique est licite.
Dans la deuxième affaire, un particulier se plaint de s’être vu refuser un prêt après avoir fait l’objet d’un score négatif établi par SCHUFA. Le particulier demande à SCHUFA de lui communiquer des informations sur les données le concernant et d’effacer celles qui seraient erronées. Dans sa réponse, SCHUFA l’informe du niveau de son score et lui expose, dans les grandes lignes, les modalités de son calcul. Invoquant le secret des affaires, elle refuse néanmoins de divulguer les différentes informations prises en compte ainsi que leur pondération. De plus, SCHUFA décline toute responsabilité par rapport à la décision de refus de crédit. Son activité se limite à fournir des renseignements commerciaux à ses clients, mais ce sont ces derniers qui prennent les décisions contractuelles proprement dites. À son tour, le particulier saisit le HBDI pour qu’il ordonne à SCHUFA de lui transmettre les informations demandées et d’effacer les données erronées le concernant. Mais, à nouveau, le HBDI refuse au motif qu’il ne serait pas établi que SCHUFA ne respecterait pas le RGPD.
Droit à un contrôle judiciaire complet vis-à-vis des décisions des autorités de protection des données
Avant d’examiner les activités de SCHUFA sur le fond, la CJUE est amenée à traiter en lien avec la première affaire un problème de forme. Insatisfaits de la réponse du HBDI qu’ils jugent incomplète, les deux individus décident de recourir auprès du Tribunal administratif de Wiesbaden.
Invité à se prononcer, le HBDI conclut au rejet du recours. Selon lui, le droit d’introduire une réclamation, prévu à l’art. 77 par. 1 RGPD, est conçu seulement comme « un droit de pétition » (sic). Le contrôle juridictionnel se limiterait à vérifier que l’autorité de contrôle a traité la réclamation et a informé son auteur de son état d’avancement et de son issue. En revanche, il n’appartiendrait pas au juge de contrôler l’exactitude sur le fond de la décision de l’autorité de contrôle.
La CJUE balaie cette argumentation. La procédure de réclamation ne s’apparente pas à une pétition. Elle est conçue comme un mécanisme apte à sauvegarder de manière efficace les droits et les intérêts des individus. Eu égard aux pouvoirs étendus dont les autorités de contrôle sont investies, la CJUE insiste sur la nécessité d’une protection juridictionnelle complète et efficace. Saisi d’un recours contre une décision d’une autorité de protection des données, le juge dispose d’un plein pouvoir de cognition en fait et en droit. Si les décisions rendues par ces autorités étaient uniquement soumises à un contrôle juridictionnel restreint, cela ne répondrait pas à l’impératif d’une protection effective.
Pareille interprétation, poursuit la CJUE, ne remet pas en cause la garantie d’indépendance des autorités de protection des données. Le RGPD exige qu’elles traitent toute réclamation avec diligence, mais il leur reconnaît une marge d’appréciation quant aux choix des moyens appropriés et nécessaires. Même si le juge dispose d’un plein pouvoir de cognition sur les décisions des autorités de protection des données, il ne peut pas purement et simplement substituer sa propre appréciation à la leur.
Licéité de la fourniture de renseignements commerciaux et délai de conservation
L’activité de SCHUFA consiste à réunir et à établir des renseignements commerciaux servant à l’évaluation de la solvabilité de personnes ou d’entreprises, afin de mettre ces informations à disposition de ses clients. Pour SCHUFA, cette activité protège les intérêts économiques des entreprises qui souhaitent notamment conclure des contrats liés à un crédit et facilite la procédure d’octroi de crédit pour les consommateurs en leur faisant gagner du temps.
Selon les termes de l’art. 5 par. 1 let. a RGPD les données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente. En vertu de l’art. 6 par. 1 let. f RGPD, un traitement peut être licite lorsqu’il est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée.
La CJUE reconnaît que la fourniture de renseignements commerciaux, en plus de servir les intérêts économiques de SCHUFA, sert aussi les intérêts du secteur du crédit sur un plan socio-économique. L’examen de la solvabilité du consommateur est, en outre, expressément exigé par plusieurs directives européennes (art. 8 directive 2008/48 concernant les contrats de crédits aux consommateurs ; art. 18 par. 1 directive 2014/17 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiels). Ces textes visent non seulement à garantir le bon fonctionnement du système de crédit dans son ensemble, mais aussi à protéger le demandeur de crédit.
Néanmoins, la CJUE relève que la poursuite de ces intérêts entre en contradiction avec le droit fondamental à la protection des données des personnes concernées. Les traitements de données nécessaires à la fourniture de renseignements commerciaux doivent dès lors faire l’objet d’une pondération avec les intérêts des personnes concernées et ne pas excéder ce qui est strictement nécessaire en vue d’atteindre le but fixé.
En l’occurrence, il est reproché essentiellement deux choses à SCHUFA : i) le fait qu’elle collecte et conserve un grand nombre des données personnelles provenant de registres publics dans ses propres bases de données et qu’elle le fasse non pas à l’occasion d’un cas concret, mais au cas où elle serait saisie d’une demande d’information et ii) le fait qu’elle conserve ces données plus longtemps que leur durée de publication officielle.
La CJUE ne répond pas à la question de savoir si c’est à bon droit que SCHUFA collecte des données provenant de sources officielles et les conserve, en parallèle, dans une base de données privées en vue d’une éventuelle utilisation commerciale future. Sur ce point, elle renvoie l’affaire au Tribunal administratif de Wiesbaden pour qu’il vérifie si un tel traitement est limité au strict nécessaire s’agissant de la réalisation de l’intérêt légitimement poursuivi et s’il respecte notamment le principe de minimisation des données. Si tel n’est pas le cas, précise la CJUE, le traitement en parallèle de ces données par SCHUFA ne pourrait pas être considéré comme nécessaire pendant la période où ces données sont disponibles auprès des registres officiels.
Concernant le délai de conservation des données, la CJUE note que, selon le droit allemand, la publication de données relatives à l’octroi d’une libération de reliquat de dette est limitée à six mois. Or les sociétés allemandes de fourniture de renseignements commerciaux se sont dotées d’un code de conduite prévoyant un délai de conservation de trois ans. Le traitement de ces données au-delà du délai de six mois représente une ingérence grave dans les droits fondamentaux des personnes concernées. La libération de reliquat de dette doit permettre à la personne de participer à nouveau à la vie économique. Selon la CJUE, cet objectif serait compromis si ces données continuaient d’être traitées aux fins d’évaluer la solvabilité d’une personne après leur délai de conservation officiel. La personne concernée a le droit de demander que ses données soient effacées.
Peu importe que le délai de trois ans soit prévu dans un code de conduite au sens de l’art. 40 RGPD et qu’il ait été approuvé par l’autorité compétente. Les codes de conduite sont destinés à contribuer à la bonne application du RGPD en tenant compte des spécificités et des besoins spécifiques propres à certains secteurs. Les conditions de licéité d’un traitement de données fixées par un tel code ne sauraient cependant différer des conditions de traitement usuelles prévues par le RGPD, en particulier celles énoncées à l’art. 6 RGPD. Un code de conduite qui aboutit à une appréciation différente de celle qui est obtenue en application du RGPD ne saurait être pris en considération dans la mise en balance effectuée en vertu de cette disposition.
Les conclusions que l’avocat général avait rendues dans cette affaire avaient fait l’objet d’une précédente contribution critique (cf. www.swissprivacy.law/224).
Activité de scoring
La deuxième affaire traitée par la CJUE consiste à savoir si l’établissement d’une valeur de probabilité concernant la capacité d’une personne à honorer un prêt constitue (déjà) une décision individuelle automatisée au sens de l’art. 22 RGPD.
Selon cette disposition, toute personne a le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, produisant des effets juridiques la concernant ou l’affectant de manière significative de façon similiaire. L’applicabilité de cette norme est soumise à trois conditions : i) il doit exister une « décision » ; ii) cette décision doit être « fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage » ; et iii) elle doit produire « des effets juridiques [concernant l’intéressé] » ou l’affecter « de manière significative de façon similaire ».
Citant le considérant 71 du RGPD et les conclusions de l’avocat général, la CJUE relève que la notion de décision au sens du RGPD est large. Elle englobe plusieurs actes pouvant affecter une personne de multiples manières. Cette notion est suffisamment large pour inclure le résultat du calcul de la solvabilité d’une personne sous la forme d’un score. Il ne fait pas non plus de doute que l’établissement de ce score correspond à un profilage au sens de l’art. 4 par. 4 RGPD. Quant aux effets d’un tel score, la CJUE note que son destinataire est guidé par celui-ci « de manière déterminante ». En cas de demande de prêt, un score insuffisant entraîne, dans presque tous les cas, le refus du prêt. Cela affecte la personne de manière significative de façon similaire à une décision.
Dans des circonstances où trois acteurs sont impliqués, poursuit la CJUE, il existerait un risque de contournement de l’art. 22 RGPD, si on devait retenir que le score représente uniquement un acte préparatoire à une décision. L’établissement du score échapperait aux exigences spécifiques prévues à l’art. 22 RGPD, alors même qu’il résulte d’un traitement automatisé de données et qu’il produit des effets similaire à une décision. De plus, la personne serait privée de la possibilité d’exercer son droit d’accès aux informations énoncées à l’art. 15 par. 1 let. h RGPD auprès de la société qui a établi le score, car cette dernière n’aurait pas rendu de décision. Quant à l’auteur de la décision proprement dite, il ne serait pas non plus capable de donner suite à une telle demande, car il ne dispose pas des informations pour ça, les informations en question étant protégées par le secret d’affaire de l’organisation ayant établi le score.
Selon la CJUE, l’art. 22 par 1 RGPD fixe une interdiction de principe de soumettre une personne à une décision individuelle automatisée. Pareille interdiction n’a pas besoin d’être invoquée par la personne. Elle ne peut être levée qu’à condition de satisfaire à un des motifs prévus à l’art. 22 par. 2 let. a à c RGPD. Seul entre en ligne de compte ici l’existence d’une base légale dans le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement est soumis. Dans ce cas, la loi doit, en plus, prévoir des mesures pour protéger les personnes concernées, comme l’obligation d’appliquer des procédures mathématiques ou statistiques adéquates, de limiter les risques d’erreur, de sécuriser les données, de prévenir les risques de discrimination, de permettre une intervention humaine et de garantir à la personne la faculté d’exprimer son point de vue et de contester la décision.
En l’espèce, le Tribunal administratif de Wiesbaden indique que seul l’art. 31 BDSG (loi fédérale allemande relative à la protection des données) pourrait constituer une base juridique nationale, au sens de l’art. 22 par. 2 let b RGPD. Il émet cependant des doutes sur sa compatibilité avec le droit de l’Union. Comme dans l’affaire précédente, la CJUE ne répond toutefois pas à la question, mais indique qu’il incombe au Tribunal administratif de Wiesbaden de le faire à la lumière de l’ensemble des exigences du droit de l’Union. Elle précise seulement qu’en cas d’incompatibilité, SCHUFA agirait non seulement sans base légale, mais méconnaîtrait ipso iure l’interdiction édictée à l’art. 22 par. 1 RGPD.
Appréciation
La Suisse n’est pas tenue de s’aligner sur la jurisprudence de la CJUE. Les tribunaux procèdent généralement à une sorte de « cherry picking ». Dans certains cas, ils s’y réfèrent expressément (ATF 136 II 508, consid. 6) ; dans d’autres cas, non, arguant que la Suisse n’est pas liée par la législation et la jurisprudence européennes dans ce domaine (ATF 144 I 126, consid. 8.2.2). Il est toujours difficile de prédire les conséquences pour les responsables du traitement en Suisse d’un arrêt de la CJUE.
a) Droit à un contrôle complet des décisions des autorités de protection des données
S’agissant du droit à un contrôle judiciaire effectif et complet vis-à-vis des décisions des autorités de protection des données, tant le Conseil fédéral que le PFPDT ont toujours soutenu une position analogue à celle du HBDI. Se fondant sur les art. 49 al. 4 LPD et 52 al. 2 LPD a contrario, ils estiment que l’auteur d’une dénonciation a uniquement le droit d’être informé des suites données à sa dénonciation, mais qu’il n’a pas la qualité de partie à la procédure (cf. FF 2017 6565, p. 6705). Sauf à considérer que la LPD serait une loi spéciale sur ce point par rapport aux autres lois prévoyant la possibilité d’une dénonciation ou d’une plainte, il est vrai toutefois que cette position s’écarte de la jurisprudence du Tribunal fédéral dans ce domaine. En matière de dénonciation et de plainte, le Tribunal fédéral reconnaît que l’auteur d’un tel acte peut avoir la qualité de partie à deux conditions. Il doit se trouver dans un rapport étroit et spécial avec la situation litigieuse qu’il dénonce et il doit démontrer qu’il a un intérêt digne de protection à ce que l’autorité saisie intervienne (arrêt du TF 2C_98/2023 du 14 juin 2023, consid. 6.4). Une interprétation de la LPD dans le sens de cette jurisprudence serait certainement plus conforme avec le droit européen tel que l’a interprété la CJUE.
b) Licéité de la fourniture de renseignements commerciaux
Bien qu’elle relève que la fourniture de renseignements commerciaux est prévue par le droit de l’Union et qu’elle poursuit plusieurs intérêts publics (l’économie en général, la protection des consommateurs, le secteur d’activité du prêt), la CJUE indique que le traitement et la conservation de données sur la solvabilité dans plusieurs registres distincts (publics ou privés) pourrait être contraire aux droits fondamentaux des personnes concernées, car elle excéderait ce qui est strictement nécessaire à la réalisation des intérêts poursuivis. Elle suggère qu’il pourrait être possible de procéder à l’examen de la solvabilité d’une personne sur demande, dans un cas concret, plutôt que toutes ces données soient disponibles en permanence auprès des organisations concernées. La CJUE n’apporte toutefois pas de réponse à cette question, mais renvoie l’affaire au Tribunal administratif de Wiesbaden.
On peut se demander dans quelle mesure ce début d’interprétation tient réellement compte du droit de l’UE dans son ensemble. Tant la directive 2008/48 concernant les contrats de crédit aux consommateurs (art. 9) que la directive 2014/17 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel (art. 21) énoncent expressément que les États membres veillent à ce que les organisations qui prêtent de l’argent disposent d’un accès aux bases de données utilisées pour l’évaluation de la solvabilité des consommateurs. L’art. 21 par. 2 directive 2014/17 ajoute que l’accès dont il est question s’applique tant aux bases de données qui sont gérées par des bureaux de crédit privés ou par des sociétés d’information financière sur le crédit qu’aux registres publics en matière de crédit. Or il semble aller de soi que puisqu’il est question d’un accès à des bases de données, ces bases de données doivent nécessairement être préconstituées. Il ne semblerait pas conforme avec les règles citées que chaque demande d’information occasionne le lancement d’une nouvelle enquête individuelle visant à établir la solvabilité de la personne au cas par cas.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’interroger sur le contenu de ces bases de données. Dans l’arrêt Moneyhouse rendu en 2017, le TAF avait signalé que des données fournies par Moneyhouse pour évaluer la solvabilité n’étaient en réalité pas pertinentes pour cette la finalité (consid. 5.2.5.1). Pareille constatation rejoint celles de la CJUE selon lesquelles les organisations fournissant des renseignements commerciaux doivent appliquer le principe de minimisation des données.
c) Délai de conservation
Dans l’hypothèse où le traitement passé sous revue est licite, la CJUE se pose alors la question de la durée de conservation des données. Elle relève qu’il existe une différence entre les registres officiels dont la durée de conservation est déterminée par la loi et les registres privés servant à la fourniture de renseignements commerciaux. Conformément à un code de conduite, ces derniers appliquent une durée de conservation supérieure à celle prévue par la loi. De l’avis de la CJUE, cela expose les personnes concernées à un risque d’atteinte non justifiée à leurs droits.
À juste titre, la CJUE relève que les codes de conduite adoptés conformément à l’art. 40 RGPD ne sont pas contraignants pour les tribunaux. Il n’empêche que la seule différence de durée de conservation des données entre deux registres distincts ne saurait à elle seule constituer une violation du RGPD. La durée de conservation des données dépend de la finalité du traitement. Or il est tout à fait possible que plusieurs traitements a priori semblables puissent poursuivre des finalités différentes.
En l’espèce, la publication dans un registre public de données relatives à la situation financière actuelle d’une personne n’est pas comparable et ne poursuit pas les mêmes objectifs que leur conservation et leur utilisation restreinte dans un contexte spécifique, tel que l’octroi d’un prêt. Une personne revenue à meilleure fortune (p. ex. suite à un héritage) qui s’empresse de resolliciter un nouveau prêt ne présente logiquement pas le même potentiel de risque qu’une personne qui n’a jamais connu de difficultés financières. Il peut se justifier dans un tel cas de procéder à un examen et à un suivi plus attentif de la personne. Pour être valable, une durée de conservation différente doit néanmoins reposer sur des critères objectivement vérifiables et répondre à des règles fixées en conséquence. De ce point de vue, il peut se justifier de procéder à un examen plus approfondi des pratiques du secteur.
d) Activités de scoring
La CJUE qualifie l’attribution d’un score concernant la capacité d’une personne à honorer un prêt en tant que décision individuelle automatisée. Peu importe que ce score soit uniquement attribué par l’organisation qui fournit des renseignements commerciaux et non par l’établissement financier saisi d’une demande de crédit. Ce qui est déterminant, c’est l’influence prépondérante que ce score exerce sur la décision d’octroyer ou non le crédit. Il s’ensuit que l’organisation qui fournit le score est soumise aux conditions prévues à l’art. 22 RGPD concernant les décisions individuelles automatisées. Mais aussi que la personne qui fait l’objet d’un tel score est habilitée à exercer ses droits directement auprès de l’organisation qui l’a établi, notamment son droit d’en avoir connaissance et d’obtenir des informations utiles concernant sa logique et ses conséquences (art. 15 par. 1 let. h RGPD).
Une telle conclusion nous semble difficilement contestable. Comme le relève la CJUE, toute interprétation contraire conduirait à une lacune. Elle priverait la personne de la possibilité de connaître l’existence d’un score la concernant et de demander des informations sur les critères et la logique de ce score, alors que celui-ci l’affecte de manière significative. Le problème vient du fait que l’établissement qui reçoit le score ne sait pas comment il est calculé. Les organisations qui émettent le score ne veulent pas non plus partager cette information, car elles estiment que cela fait partie de leur secret d’affaires. Le seul moyen pour la personne d’exercer ses droits et d’obtenir des informations sur le score qui lui a été attribué est donc de s’adresser directement à l’organisation qui l’a établi. Certes, le processus n’est pas optimal sous l’angle pratique, car la personne se retrouve ballottée entre deux organisations. Mais la seule alternative consisterait à contraindre l’organisation qui a établi le score à fournir l’ensemble des informations relatives à celui-ci à chaque destinataire. Or cela poserait effectivement un problème de protection de son secret d’affaires.
Quant au contenu exact de l’information à fournir, il reste encore assez flou à ce jour. Néanmoins, la CJUE sera amenée à se pencher plus en détails sur cette question dans l’affaire C‑203/22. Le degré de précision de la question préjudicielle laisse d’ores et déjà entrevoir un arrêt d’une importance majeure avec des conséquences qu’il semble difficile d’évaluer à ce stade.
e) Bref regard sur le droit suisse
En Suisse, toutes les organisations qui fournissent des renseignements commerciaux ne sont pas soumises au même régime.
Selon l’art. 23 de la loi fédérale sur le crédit à la consommation (LCC), il existe un centre de renseignements commun à tous les prêteurs agissant par métier et les courtiers en crédit participatifs. L’Association pour la gestion d’une centrale d’information de crédit (Verein zur Führung einer Zentralstelle für Kreditinformation – ZEK) est considérée comme un organe fédéral au sens de l’art. 5 let. i LPD et seules les organisations autorisées ont accès aux données récoltées. L’art. 3 de l’ordonnance relative à la loi fédérale sur le crédit à la consommation (OLCC) précise que seules peuvent être mises à disposition les données personnelles dont les prêteurs et les courtiers ont besoin pour examiner la capacité de contracter un crédit. Une annexe fixe la liste de ces données avec les droits d’accès pour chaque catégorie d’utilisateurs. Il n’y est pas fait mention d’un score. La durée de conservation des données n’est pas fixée directement dans la loi ou l’ordonnance, mais dans un règlement adopté par la ZEK et qui est approuvé par le Département fédéral de justice et police (art. 23 al. 2 LCC). Il fixe des durées de conservation différente pour chaque catégorie de données. De prime abord, les arrêts rendus par la CJUE ne devraient pas avoir un impact très grand sur ce système.
Plus délicate est la situation des organisations privées actives dans la fourniture de renseignements commerciaux. Les activités de ces dernières font l’objet de quelques règles à l’art. 31 al. 2 let. c LPD. Mais elles n’ont pas la même densité que celles adoptées en vertu de la LCC, ni même que celles adoptées par le législateur allemand à l’art. 31 BDSG et au sujet desquelles le Tribunal administratif de Wiesbaden a déjà exprimé des doutes. Cela pourrait nécessiter un examen plus attentif de ces règles.
Proposition de citation : Michael Montavon, La CJUE serre la vis au traitement des données par les sociétés de fourniture de renseignements commerciaux , 18 décembre 2023 in www.swissprivacy.law/274
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