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Levée du secret médical et infractions pénales : le casse-tête du droit cantonal

Frédéric Erard, le 14 novembre 2020
Le simple cour­rier élec­tro­nique d’un dépar­te­ment canto­nal en réponse à une demande de rensei­gne­ment du minis­tère public ne vaut pas levée du secret profes­sion­nel d’un soignant. Une dispo­si­tion de droit canto­nal auto­ri­sant un soignant à signa­ler les soup­çons d’une infrac­tion pénale contre l’intégrité sexuelle ne consti­tue pas une obli­ga­tion de signa­ler qui impo­se­rait au soignant de témoi­gner en procé­dure pénale.

Arrêt du Tribunal fédé­ral 1B_​545/​2019 du 14 octobre 2020 (destiné à la publication).

En 2018, un méde­cin schaff­hou­sois a signalé au minis­tère public le cas d’un patient qui lui avait confié avoir commis de multiples actes d’ordre sexuel contre sa fille de neuf ans. Peu avant le signa­le­ment, le patient avait été pris en charge dans une clinique psychiatrique.

Souhaitant accé­der au dossier médi­cal en mains de la clinique psychia­trique, le minis­tère public s’est rensei­gné auprès du Département canto­nal de l’intérieur du canton de Schaffhouse pour déter­mi­ner dans quelle mesure ce dossier pouvait être versé à la procé­dure pénale. Le secré­taire adjoint du dépar­te­ment a répondu par cour­riel au minis­tère public qu’il s’agissait d’un cas typique d’application de l’art. 15 al. 2 let. c de la loi canto­nale schaff­hou­soise sur la santé. Selon cette dispo­si­tion, les profes­sion­nels de la santé soumis au secret sont notam­ment libé­rés du secret à l’égard des auto­ri­tés de pour­suites pénales pour les consta­ta­tions en lien avec les crimes ou les menaces de crimes contre l’intégrité sexuelle.

Peu après, le minis­tère public a ordonné à la clinique psychia­trique de lui commu­ni­quer des éléments du dossier médi­cal. Le prévenu a demandé la mise sous scel­lés de ces docu­ments. Sur demande du minis­tère public, le Tribunal des mesures de contraintes du canton de Schaffhouse a ordonné la levée des scel­lés. C’est cette déci­sion qui fait l’objet de l’ar­rêt du Tribunal fédéral.

Selon l’art. 321 CP (secret profes­sion­nel), la révé­la­tion d’un secret n’est pas punis­sable si elle repose sur le consen­te­ment de l’intéressé, si elle a été auto­ri­sée par écrit par l’autorité supé­rieure compé­tente (sur propo­si­tion du déten­teur du secret) ou si elle repose sur une dispo­si­tion de la légis­la­tion fédé­rale ou canto­nale statuant un droit d’aviser une auto­rité de colla­bo­rer, une obli­ga­tion de rensei­gner une auto­rité ou une obli­ga­tion de témoi­gner en justice. En procé­dure pénale, les méde­cins et leurs auxi­liaires peuvent refu­ser de témoi­gner sur les secrets qui leur ont été confiés (art. 171 CPP). Ils sont toute­fois tenus de témoi­gner lorsqu’ils sont soumis à une « obli­ga­tion de dénon­cer », mais égale­ment s’ils ont été déliés du secret par le maître du secret (ici le patient-prévenu) ou, « en la forme écrite », par l’autorité compé­tente. Dans ces cas, le profes­sion­nel peut encore tenter de rendre vrai­sem­blable que l’intérêt du maître du secret l’emporte sur l’intérêt de la mani­fes­ta­tion de la vérité.

Pour déter­mi­ner si la levée des scel­lés est conforme au droit ou non, il faut d’abord déter­mi­ner si les méde­cins concer­nés ont été déliés de leur secret profes­sion­nel par l’autorité compé­tente. En l’occurrence, le Tribunal fédé­ral parvient rapi­de­ment à la conclu­sion que le cour­rier élec­tro­nique infor­mel du secré­taire adjoint du Département de l’intérieur de Schaffhouse n’avait pas rendu une déci­sion formelle de levée du secret profes­sion­nel. En effet, un simple cour­rier élec­tro­nique infor­mel ne remplit pas l’exi­gence du carac­tère écrit de la déci­sion puisqu’il ne remplit pas les condi­tions d’une déci­sion admi­nis­tra­tive ni même d’une déci­sion pénale inci­dente (art. 80 al. 2 CPP et art. 110 al. 1 et 2 CPP). De surcroît, la demande de levée du secret n’a pas été dépo­sée par le soignant concerné (condi­tion néces­saire à la levée du secret), le droit d’être entendu du patient-prévenu ou des soignants n’a pas été garanti et le cour­rier élec­tro­nique n’indiquait aucune voie de recours. Les méde­cins concer­nés n’ont donc pas été vala­ble­ment déliés du secret profes­sion­nel au sens de l’art. 321 ch. 2 CP.

Le Tribunal fédé­ral examine ensuite si une dispo­si­tion légale soumet dans le cas d’espèce les soignants à une « obli­ga­tion de dénon­cer », qui aurait pour effet de les obli­ger à témoi­gner et donc de fonder la levée des scel­lés (art. 171 al. 2 let. a CPP).

Après avoir rappelé l’importance et la protec­tion consti­tu­tion­nelle du secret médi­cal en droit suisse, le Tribunal fédé­ral rappelle que ses excep­tions doivent repo­ser sur une régle­men­ta­tion claire. La procé­dure pénale relève par ailleurs aujourd’hui du droit fédé­ral. Sous peine de violer le prin­cipe de primauté du droit fédé­ral (art. 49 Cst.), le Tribunal fédé­ral juge que l’art. 321 ch. 3 CP (déro­ga­tions légales au secret profes­sion­nel) ne permet pas aux cantons de régle­men­ter l’obligation de témoi­gner en procé­dure pénale en déro­ga­tion à l’art. 171 CPP ou de suppri­mer complè­te­ment le secret médi­cal dans le cadre des affaires pénales graves. Par rapport à l’art. 171 CPP, l’art. 321 ch. 3 CP est en effet moins précis et plus ancien puisqu’il a été adopté à une époque où la procé­dure pénale était réglée à l’échelon cantonal.

Pour le Tribunal fédé­ral, la dispo­si­tion du droit canto­nal schaff­hou­sois qui auto­rise les méde­cins à signa­ler les menaces de crimes en lien contre l’intégrité sexuelle ne consti­tue pas une base légale qui obli­ge­rait de manière géné­rale les méde­cins à four­nir des infor­ma­tions dans une procé­dure pénale sans avoir été préa­la­ble­ment et vala­ble­ment déliés du secret par l’autorité compé­tente. La levée des scel­lés ordon­née par le Tribunal des mesures de contraintes est ainsi contraire au droit fédéral.

Ce nouvel arrêt du Tribunal fédé­ral, qui s’inscrit dans la ligne d’un précé­dent arrêt non publié rendu dans une affaire semblable (arrêt du TF 1B_​96/​2013 du 20 août 2013), doit évidem­ment être salué dans son résul­tat. Toute autre solu­tion aurait ouvert la voie à un affai­blis­se­ment insou­te­nable du secret médi­cal, que ce soit sous l’angle des condi­tions formelles de la levée du secret (simple cour­riel de rensei­gne­ment) ou sous celui de l’assimilation d’une simple « faculté » légale de signa­ler (comme prévu en droit schaff­hou­sois) à une « obli­ga­tion » de signa­ler impo­sant au profes­sion­nel de témoi­gner en procé­dure pénale. Cela dit, on peut regret­ter que le Tribunal fédé­ral n’ait pas fait preuve d’un peu plus d’ambition. L’affaire consti­tuait en effet une bonne occa­sion de prendre à bras le corps le casse-tête plus géné­ral aujourd’hui posé par les dispo­si­tions de droit canto­nal obli­geant ou auto­ri­sant les soignants à signa­ler des soup­çons d’infractions pénales. La grande diver­sité des légis­la­tions canto­nales en la matière, confi­nant parfois au folk­lore, est régu­liè­re­ment dénon­cée par la doctrine et porte atteinte à la sécu­rité juri­dique néces­saire au bon fonc­tion­ne­ment du secret médi­cal. Plus encore, c’est la confor­mité même de telles dispo­si­tions avec le droit fédé­ral qui est en ques­tion. Depuis l’entrée en vigueur du CPP, les cantons ont très certai­ne­ment et tout simple­ment perdu la compé­tence d’adopter des dispo­si­tions impo­sant ou auto­ri­sant les soignants à signa­ler des soup­çons d’infractions pénales aux auto­ri­tés de pour­suite pénale. Ces dispo­si­tions doivent aujourd’hui figu­rer dans le CPP et le légis­la­teur fédé­ral serait bien inspiré d’empoigner la ques­tion. Le Tribunal fédé­ral expose certes que les cantons n’ont pas la compé­tence de régle­men­ter l’obligation de témoi­gner en procé­dure pénale en déro­ga­tion à l’art. 171 CPP ni celle de suppri­mer complè­te­ment le secret médi­cal dans le cadre des affaires pénales graves. Il aurait toute­fois pu faire un pas de plus.



Proposition de citation : Frédéric Erard, Levée du secret médical et infractions pénales : le casse-tête du droit cantonal, 14 novembre 2020 in www.swissprivacy.law/28


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