Enregistrement de numéros de téléphone : usage et finalités
Décision 20230.404.421 de l’Autorité de protection des données autrichienne du 16 juin 2023
En fait
Un promoteur commercial d’une entreprise de construction de routes exerce également les fonctions de maire d’une municipalité autrichienne. Dans le cadre de ses activités de représentant liées au développement du système de chauffage urbain, il a pour habitude de collecter les coordonnées des clients intéressés à l’aide d’un formulaire papier lors de visites à leur domicile. Lors d’une visite en janvier 2023, il enregistre les numéros de téléphone de sept clients sur son téléphone portable privé. Par la suite, il leur écrit par SMS pour promouvoir sa campagne politique en qualité de candidat aux élections dans la région autrichienne de Basse-Autriche. Les personnes contactées – en tant que parties concernées – ont déposé une plainte auprès de l’autorité de protection des données autrichienne (Datenschutzbehörde ou DSB), soutenant qu’elles n’avaient jamais consenti au fait d’être destinataires de publicité politique par le biais de leur téléphone.
Champ d’application et autorité compétente
Dans un premier temps, la DSB considère que le critère du champ d’application matériel du RGPD est rempli (art. 2 RGPD). En effet, l’exception à l’application du RGPD n’entre pas en ligne de compte, puisque le traitement est effectué dans le cadre de l’activité professionnelle du responsable.
Circonscription du terme « traitement »
Dans un deuxième temps, la circonscription du terme de « traitement » ainsi que les conditions le légitimant sont abordées. D’abord, le « traitement » se définit par l’art. 4 ch. 2 RGPD qui énumère une série d’opérations possibles, telles que la collecte, la saisie, l’organisation ou encore le classement. Dans le cas concret, le promoteur a bel et bien traité des données à caractère personnel à titre de responsable de traitement au sens de l’art. 4 ch. 2 RGPD en stockant dans son téléphone portable privé les coordonnées des personnes inscrites sur les formulaires physiques. Il souhaitait à cet effet leur transmettre par la suite de la publicité politique.
Principe de limitation des finalités admissibles de traitement
Outre le champ d’application du RGPD, la DSB examine, d’une part, s’il existe une violation de l’un des principes énumérés à l’art. 5 RGPD et, d’autre part, si le responsable du traitement peut s’appuyer sur l’une des bases juridiques de l’art. 6 RGPD. Selon la DSB, l’utilisation des numéros de téléphone initialement collectés dans le cadre d’affaires privées ne peuvent pas être utilisés ultérieurement pour de la publicité politique. Une telle pratique est notamment contraire au principe de limitation des finalités (art. 5 par. 1 RGPD).
Selon la DSB, et en raison de l’absence de consentement des personnes concernées quant à l’enregistrement des coordonnées sur le téléphone portable privé du prévenu, seule la base juridique de l’art. 6 par. 1 let. f RGPD semble envisageable. Celle-ci implique que le traitement soit nécessaire aux fins des intérêts légitimes du responsable de traitement ou d’un tiers, mais également prépondérant aux intérêts ou libertés et droits fondamentaux des personnes concernées.
Pesée d’intérêts légitimes en jeu
Trois conditions cumulatives sont retenues pour que les opérations exécutées soient légitimes : (i) la réalisation d’un intérêt légitime ; (ii) la nécessité du traitement et (iii) la prépondérance des intérêts du responsable de traitement ou d’un tiers par rapport aux droits et libertés des personnes concernées.
Dans le cas présenté, la DSB a jugé que les intérêts des personnes concernées l’emportaient en tout état de cause en raison de leur relation avec le responsable de traitement. En outre, celles-ci ne pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que celui-ci enregistre ultérieurement dans son téléphone portable personnel les coordonnées qu’elles lui avaient communiquées. À cela s’ajoute qu’elles ne pouvaient absolument pas prévoir que les coordonnées qu’elles avaient communiquées seraient utilisées par le responsable du traitement dans un tout autre but, à savoir la prise de contact à des fins politiques.
L’intérêt du responsable de traitement à récolter les données de contact des personnes concernées consistait à « élargir son cercle de connaissances » et, par la suite, à générer davantage de votes préférentiels pour les élections régionales en Basse-Autriche. Le traitement des données effectué semble certes nécessaire pour atteindre cet objectif, cependant les intérêts des personnes concernées l’emportent en tout état de cause en raison de leur relation avec le responsable du traitement. Elles ne pouvaient en effet en aucun cas prévoir que les coordonnées qu’elles avaient communiquées dans un cadre professionnel seraient utilisées par le responsable du traitement dans une tout autre finalité.
Examen du lien entre la finalité de la collecte des données et leur traitement ultérieur
L’étape suivante – en l’absence de base juridique – consiste à déterminer si le traitement pour une finalité différente est compatible avec la finalité pour laquelle les données à caractère personnel ont initialement été collectées (art. 6 par. 4 RGPD).
À cet effet, il convient d’évaluer – à l’aide de critères définis par la CJUE – la nécessité d’un lien concret, cohérent et suffisamment étroit entre la finalité de la collecte des données et leur traitement ultérieur, en permettant à la fois de limiter la réutilisation de données à caractère personnel collectées antérieurement. En d’autres termes, il s’agit d’examiner si un équilibre existe entre, d’une part, l’exigence de prévisibilité et de sécurité juridique quant aux finalités du traitement des données à caractère personnel collectées antérieurement et, d’autre part, la reconnaissance d’une certaine flexibilité en faveur du responsable de traitement dans la gestion de ces données (cf. arrêt CJUE C‑77/21 du 20 octobre 2022).
Dans le cas présent, le lien concret, cohérent ou suffisamment étroit entre la finalité de la collecte des données et leur traitement ultérieur ne peut pas être établi. Les personnes concernées ne peuvent en effet pas prévoir que leurs données puissent être traitées dans un but totalement différent.
En l’espèce, le responsable de traitement paraît avoir procédé intentionnellement au traitement en question au vu de l’enregistrement délibéré des données de contact dans le but de reprendre contact dans le futur pour des élections de nature politique.
Conclusion
Le consentement des personnes concernées n’est que la première étape examinée dans la question de la légitimité du traitement de données personnelles. En effet, d’autres motifs justificatifs sont éventuellement aussi admissibles, à condition d’être justifiés par les intérêts légitimes d’un responsable et pour autant que ne prévalent pas les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée (art. 6 par. 1 let. f RGPD). In casu, les droits fondamentaux des personnes concernées sont prépondérants, donc ce motif n’est pas admissible. De plus, il n’y a pas de lien concret, cohérent ou même suffisamment étroit entre la finalité de la collecte des données et leur traitement ultérieur, lequel aurait constitué une finalité différente admissible (art. 6 par. 4 du RGPD).
Partant, la personne est condamnée à EUR 1’000 d’amende administrative (art. 83 par. 5 du RGPD) pour violation du principe de finalité de traitement (art. 5 par. let. a et b, 6 par. 1 et 4 en lien avec l’art. 83 par. 5 let. a du RGPD).
Proposition de citation : Lisa Dubath, Enregistrement de numéros de téléphone : usage et finalités, 27 mars 2024 in www.swissprivacy.law/290
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