Création d’un Espace européen commun des données relatives à la santé – Opinion préliminaire du CEPD
European Data Protection Supervisor, Preliminary Opinion 08/2020 on the European Health Data Space
Dans sa communication du 19 février 2020 établissant une stratégie européenne pour les données, la Commission européenne avait annoncé qu’elle entreprendrait la construction d’un espace européen des données relatives à la santé (p. 27 et 35–36). La création de cet espace doit renforcer et étendre l’utilisation et la réutilisation des données de santé pour, notamment, permettre aux autorités de prendre des décisions fondées sur des données probantes, améliorer l’accessibilité et l’efficacité des systèmes de soins (p. ex. : réduction des coûts), maximiser les capacités de recherche ou encore contribuer à renforcer la compétitivité de l’industrie de l’Union européenne. Parmi les mesures annoncées figuraient l’établissement d’un cadre législatif sectoriel des données de santé ou le déploiement d’infrastructures et de ressources devant, à terme, faciliter l’échange de données de santé (p. ex.: dossiers médicaux électroniques ou données génomiques) au sein de l’Union européenne et dans le respect du RGPD.
Le 17 novembre 2020, le CEPD a rendu une opinion préliminaire sur la mise en œuvre d’un Espace européen commun des données relatives à la santé (EHDS). À titre liminaire, le CEPD reconnaît l’importance que revêt la mise en œuvre de l’EHDS et des échanges de données au sein de l’Union européenne pour la promotion de la santé publique et la recherche médicale. Il rappelle toutefois l’impérieuse nécessité d’intégrer dès le départ de sérieux garde-fous en matière de protection des données.
Les traitements de données amenés à être effectués dans le contexte de l’EHDS devront reposer sur une base légale robuste. Ainsi, les traitements devront au moins être fondés sur l’une des bases légales exhaustivement énoncées à l’art. 6 par. 1 RGPD. Comme les données seront amenées à être utilisées pour les décisions de politique sanitaire reposant sur des données probantes, le consentement (art. 6 par. 1 let. a RGPD) ne constitue probablement pas la base légale la plus appropriée. L’art. 6 par. 1 let. e RGPD, selon lequel un traitement est licite si « le traitement est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement », est certainement plus à même de justifier ce traitement.
En raison du caractère « particulier » ou sensible des données de santé qui seront traitées dans le cadre de l’EHDS, leur traitement ne sera de surcroît autorisé que si l’une des conditions posées par l’art. 9 par. 2 RGPD est remplie. Les traitements de données effectués en vue de la prise de décisions par les autorités en matière sanitaire pourraient possiblement reposer sur l’art. 9 par. 2 let. i RGPD (intérêt public). L’art. 9 par. 2 let. j RGPD (recherche scientifique) pourrait, quant à lui, constituer une base légale pour le traitement des données dans le cadre de la recherche.
En vertu du principe de finalité (art. 5 par. 1 let. b RGPD), la mise en œuvre de l’EHDS impliquera de déterminer clairement (crystal-clear) à l’avance les limites de ce qui constitue un traitement licite des données. La législation qui sera adoptée devra au surplus déterminer les conditions spécifiques auxquelles les données pourront faire l’objet d’utilisations secondaires et assurer que ces données ne seront pas utilisées pour des buts qui ne sont pas initialement prévisibles. Le CEPD souligne la nécessité d’adopter une législation qui offre aux personnes concernées un important contrôle sur leurs données, ainsi qu’une grande transparence. Ce dernier point implique d’identifier les acteurs amenés à traiter des données et leur statut (controller, processor ou joint-controller).
Pour le CEPD le seul fait qu’un traitement soit licite, notamment parce que les données auraient été valablement anonymisées, ne résout pas à lui seul toutes les questions éthiques qui pourraient se poser. Il faudra par exemple tenir compte des objections émises par les personnes qui ne souhaitent pas que leurs données soient utilisées pour certaines activités privées (secteurs des assurances ou des pharmas). La législation future devrait également intégrer l’existence et le rôle des commissions d’éthique nationales existantes.
En vertu des principes de proportionnalité et de nécessité, le CDEP estime que les données qui intégreront l’EHDS devraient en général être fournies par les États membres sous forme anonymisée et agrégée. Si cela n’est pas possible, les données devront au moins être pseudonymisées.
Au-delà du cadre purement législatif, l’EHDS devra reposer sur des mécanismes solides de gouvernance qui garantiront que les traitements de données sont effectués de manière licite, responsable et éthique. Cela impliquera de déterminer avec précision le rôle de tous les acteurs impliqués, qu’il s’agisse des entités qui collectent et mettent à disposition les données, des utilisateurs de l’EHDS (p. ex.: chercheurs) ou des autorités qui feront office de points de contact nationaux.
De manière intéressante, le CDEP explique que s’il ne soutient pas la création de frontières géographiques artificielles, il émet cependant une préférence à ce que les données soient traitées par des entités qui partagent les valeurs européennes, y compris sous l’angle de la vie privée et de la protection des données. À cet égard, les responsables de traitements qui exporteront des données dans le contexte de l’EHDS devront le faire de manière conforme au RGPD, en particulier à la lumière des considérations de la CJUE dans l’affaire Schrems II.
Enfin, le CDEP salue la volonté expresse de la Commission européenne de garantir aux personnes concernées le droit à la portabilité de leurs données de santé dans le contexte de l’EHDS, qui passera notamment par la mise en œuvre d’un système de dossier électronique médical transfrontière.
La mise sur pied d’un Espace européen commun des données relatives à la santé est un projet pour le moins ambitieux, dont les avantages escomptés n’ont certainement pas besoin d’être démontrés. Aujourd’hui, la crise sanitaire du coronavirus montre bien la nécessité de disposer d’un accès élargi aux données de santé pour prendre les décisions les plus adaptées en matière de politique sanitaire. Il en va de même pour le secteur de la recherche biomédicale. Un tel projet comporte toutefois des risques importants pour la sécurité de données qui se rapportent au bien le plus précieux de chacun : la santé. Un système d’échange de données de santé qui serait mal pensé ou lacunaire verrait non seulement son efficacité réduite, mais saperait surtout la confiance du public à l’égard des autorités sanitaires. Le CDEP ne se trompe donc pas lorsqu’il insiste sur la nécessité d’adopter dès la conception des bases légales robustes, une transparence accrue et un système de gouvernance étendue. La prise en compte de telles exigences prendra du temps (certainement bien plus qu’envisagé par la Commission européenne), mais c’est une étape cruciale pour la réussite du projet. L’affaire du Health Data Hub français, aujourd’hui retardé par ses problèmes de sous-traitance avec Microsoft, est là pour nous le rappeler.
Proposition de citation : Frédéric Erard, Création d’un Espace européen commun des données relatives à la santé – Opinion préliminaire du CEPD, 20 novembre 2020 in www.swissprivacy.law/31
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