L’accès aux données personnelles, et c’est tout ?
Tribunal administratif fédéral, arrêt A‑4873/2021 du 11 avril 2024
Introduction
Pour atteindre son but statutaire, une association organise divers événements d’envergure, y compris des manifestations. Entre 2020 et 2021, elle demande plusieurs fois au Service de renseignement de la Confédération (le « SRC ») d’accéder à ses données personnelles. Le SRC extrait alors les données contenues dans ses documents et les compile dans un tableau qu’elle transmet ensuite à l’association. À titre illustratif, le SRC lui remet également quelques documents anonymisés.
Non satisfaite de ce procédé et de l’absence de transmission de la copie des documents contenant ses données, l’association recourt auprès du Tribunal administratif fédéral. Elle demande aussi l’effacement de ses données.
À titre liminaire, il convient de relever que le Tribunal administratif fédéral juge ici sous l’angle de la aLPD car la nLPD n’est pas applicable aux recours pendants contre les décisions de première instance rendues avant le 1er septembre 2023, date d’entrée en vigueur de la la nLPD (art. 70 nLPD). Il n’en demeure pas moins que les enseignements tirés de cet arrêt sont toujours valables.
Le traitement de données personnelles par le SRC
L’une des tâches du SRC est de rechercher et de traiter des informations dans le but de déceler à temps et prévenir les menaces pour la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (art. 6 al. 1 let. a LRens). À cet effet, le SRC peut traiter des données personnelles (art. 44 al. 1 LRens) et les verser dans les systèmes d’information qu’il exploite (art. 44 al. 3 cum 47 ss LRens).
En l’espèce, le SRC considère ne pas traiter de données personnelles de l’association dans la mesure où celle-ci ne présente, en tant que telle, aucun intérêt du point de vue du renseignement. En effet, le traitement de ses données ne sert qu’à décrire des événements susceptibles de présenter un risque pour la sûreté de la Suisse.
Cet argument ne convainc pas le Tribunal administratif fédéral. Indépendamment du but poursuivi par le traitement, les données de l’association figurant dans les systèmes d’information du SRC (cf. art. 47 LRens) sont bien des données personnelles au sens de l’art. 3 let. a aLPD. En présence d’un traitement effectué par un organe fédéral (art. 2 al. 1 let. b aLPD), l’association peut donc exercer ses droits consacrés par le droit de la protection des données, en particulier le droit d’accès à ses données personnelles (art. 63 al. 1 LRens cum art. 8 aLPD) – qui peut toutefois être sujet à des restrictions (art. 9 aLPD cum art. 63 al. 2 LRens) – et le droit à l’effacement (art. 25 al. 1 aLPD).
L’accès aux documents
L’association demande l’accès à certains documents dans lesquels sont contenues ses données personnelles. Afin d’évaluer le bien-fondé de cette conclusion, le Tribunal administratif fédéral interprète l’art. 8 al. 5 aLPD (art. 25 al. 6 nLPD) et procède également à une comparaison avec le RGPD. Il arrive à la conclusion que l’association n’est pas titulaire d’un droit général à obtenir des copies des documents dans lesquels ses données personnelles sont contenues.
Une transmission de documents est néanmoins exceptionnellement envisageable si elle est nécessaire à la transparence du traitement et à l’exercice, par la personne concernée, de droits consacrés par le droit de la protection des données. Cette exception ne s’applique toutefois pas au cas d’espèce car le tableau établi par le SRC contient des explications claires, complètes et transparentes relatives à chaque document.
À cet égard, le Tribunal administratif fédéral que le législateur a, lors de la révision de la LPD, expressément analysé la question de l’accès aux documents et a adopté un art. 25 al. 2 let. b nLPD dont la teneur est la suivante :
« La personne concernée reçoit les informations nécessaires pour qu’elle puisse faire valoir ses droits selon la [nLPD] et pour que la transparence du traitement soit garantie. Dans tous les cas, elle reçoit les informations suivantes :
a. […] ;
b. les données personnelles traitées en tant que telles ;
c‑g. […] ».
Ainsi, la nLPD ne confère pas non plus de droit général à l’obtention des documents dans lesquels les données personnelles sont contenues. La transmission de documents doit demeurer exceptionnelle.
Le contenu du droit d’accès
L’art. 8 al. 2 aLPD (art. 25 al. 2 nLPD) liste les informations que le responsable de traitement doit transmettre à la personne concernée exerçant son droit d’accès. Doivent notamment être communiquées les informations disponibles sur l’origine des données personnelles (art. 8 al. 2 let. a aLPD ; art. 25 al. 2 let. e nLPD) et la finalité du traitement (art. 8 al. 2 let. b aLPD ; art. 25 al. 2 let. c nLPD).
En l’espèce, l’association considère que le SRC l’a insuffisamment renseignée sur ces deux aspects. Le Tribunal administratif fédéral lui donne partiellement raison.
Premièrement, les informations relatives à l’origine doivent permettre à la personne concernée de s’adresser à la source pour exercer ses droits, notamment son droit à la rectification (art. 25 al. 3 let. a aLPD ; art. 41 al. 2 let. a nLPD) ou à l’effacement des données personnelles (art. 25 al. 1 let. a aLPD ; art. 41 al. 1 let. a nLPD). Partant, la mention « autre autorité » constitue une information insuffisante.
Secondement, l’indication de la finalité du traitement (cf. art. 4 al. 3 aLPD, art. 6 al. 3 nLPD) et, le cas échéant, celle de la base légale sur laquelle il repose, doivent permettre à la personne concernée d’apprécier la licéité du traitement. Le SRC n’aurait pas dû se limiter à mentionner que la finalité découle de l’art. 6 LRens, mais aurait dû préciser sur quelle hypothèse de l’art. 6 LRens se fonde chaque traitement.
De l’illicéité du traitement à l’effacement des données
Avant de saisir des données personnelles dans un système d’information (cf. art. 47 LRens), le SRC doit évaluer leur pertinence et leur exactitude (art. 45 al. 1 LRens). Ce n’est que si le traitement est nécessaire à l’accomplissement des tâches du SRC (art. 6 LRens) que les données personnelles peuvent être saisies (art. 45 al. 2 LRens). Si les données personnelles ne peuvent être saisies, elles doivent être détruites ou renvoyées à l’expéditeur (art. 45 al. 3 LRens).
Le Tribunal administratif fédéral se penche ensuite sur le régime particulier applicable aux informations relatives aux activités politiques ou à l’exercice de la liberté d’opinion (art. 16 Cst.), de réunion (art. 22 Cst.) ou d’association (art. 23 Cst.) en Suisse. En principe, le traitement de ces données est interdit (art. 5 al. 5 LRens), à moins que le SRC dispose d’indices concrets selon lesquels la personne concernée exerce des droits fondamentaux pour préparer ou exécuter des activités terroristes, d’espionnage ou d’extrémisme violent (art.5 al. 6 LRens). En revanche, dès que ce risque est exclu, l’art. 5 al. 7 LRens impose l’effacement de ces données au plus tard dans un délai d’un an.
In casu, l’association conclut à l’effacement de ses données personnelles (art. 25 al. 1 let. a aLPD, art. 41 al. 1 let. a nLPD) car la saisie de données relatives aux événements qu’elle organise serait contraire à l’art. 5 al. 5 à 7 LRens.
Pour trancher la question, le Tribunal administratif fédéral interprète l’art. 5 al. 5 et 6 LRens et arrive à la conclusion qu’une interdiction absolue de traiter les données de l’association au seul motif qu’elle organise des événements n’entre pas en ligne de compte. Même lorsque l’association ne présente aucun intérêt du point de vue du renseignement, le SRC doit pouvoir décrire précisément la menace. À cet effet, il peut être nécessaire de traiter les données de l’association si d’autres personnes sont susceptibles d’utiliser ses événements pour mettre en danger la sûreté de la Suisse.
En outre, le Tribunal administratif fédéral retient que le SRC n’a pas nécessairement à effacer les données de l’association dans le délai maximal d’un an prévu par l’art. 5 al. 7 LRens. En effet, l’interprétation a mis en évidence que ce délai maximal d’un an vise uniquement l’hypothèse de la « fiche » au sujet d’une personne déterminée, et non la situation où la personne concernée, en l’occurrence l’association, n’est d’aucun intérêt du point de vue du renseignement. La loi est lacunaire sur le délai d’effacement applicable à cette dernière situation. Le Tribunal administratif fédéral comble cette lacune en appliquant, par analogie, le délai maximal d’un an (art. 5 al. 7 LRens) aux données d’un tiers, sauf si le SRC démontre qu’une conservation plus longue est nécessaire. En tout état, si les données ne sont plus utiles, le SRC les propose aux Archives fédérales (art. 68 al. 1 LRens).
Une appréciation
Cet arrêt répond à plusieurs questions qui se posent dans le contexte du traitement de données personnelles par le SRC. En particulier, il confirme que la personne concernée n’a pas de droit général à obtenir les documents dans lesquels figurent ses données personnelles.
Il est néanmoins intéressant de relever que pour arriver à ce résultat, le Tribunal administratif fédéral procède non seulement à une interprétation de l’art. 8 al. 5 aLPD, mais aussi à une analyse de droit comparée avec l’art. 15 RGPD. Cette démarche s’explique vraisemblablement par l’argumentaire du SRC, selon lequel le législateur fédéral n’a pas voulu s’écarter de la solution consacrée par le droit européen. Cette comparaison avec le RGPD n’a certes pas impacté le résultat de l’interprétation, mais elle n’était pas justifiée en l’espèce, étant donné que l’art. 15 RGPD n’a pas servi de référence pour la rédaction de l’art. 8 al. 5 aLPD.
Il sera donc utile d’observer si, à l’avenir, ces comparaisons avec le RGPD viennent à se généraliser. Le cas échéant, il siéra également d’examiner si elles sont fondées.
Proposition de citation : Nathan Philémon Matantu, L’accès aux données personnelles, et c’est tout ?, 9 septembre 2024 in www.swissprivacy.law/315
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