Principe de transparence et relations internationales

TF 1C_346/2023 du 16 décembre 2024
Un particulier s’est adressé à l’Administration fédérale des contributions (AFC) dans le but d’obtenir l’accès à une note interne en matière d’entraide administrative fiscale entre la Suisse et l’Inde. Cette note, datant du 19 août 2016, comportait des éléments de consolidation des travaux des autorités compétentes, dont le contenu d’une première réunion avait été consigné et rendu public dans une déclaration conjointe. L’AFC a refusé l’accès à la note au motif que la transmission de cette dernière représenterait un risque pour les intérêts de la Suisse en matière de politique extérieure et affecterait ses relations internationales.
Suite à l’échec de la procédure de médiation auprès du PFPDT, le recourant ouvre action auprès du Tribunal administratif fédéral, qui rejette la demande. Le Tribunal fédéral s’est alors prononcé sur la question dans une décision du 16 décembre 2024.
Le demandeur concluait, subsidiairement à l’accès plein et entier au document, à une possibilité de le consulter sur place, sous menace de sanctions pénales au sens de l’art. 292 CP. Cette approche doit être vivement critiquée, dans la mesure où elle s’oppose au principe access to one access to all. En effet, face à l’insistance de certaines demandes, les autorités octroient parfois l’accès à un document à consulter sur place, étant entendu qu’elles entameront des démarches pénales à l’égard du particulier s’il venait à divulguer les informations dont il a pris connaissance. Il convient d’écarter d’office cette pratique car elle contrevient à l’essence même du principe de transparence des autorités, qui prévoit un accès égalitaire aux documents officiels.
L’analyse du TF se fonde dans un premier temps sur la question de la base légale applicable. L’instance précédente avait déduit l’existence d’un devoir de confidentialité de la Convention entre la Confédération suisse et la République de l’Inde en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu du 2 novembre 1994, en arguant que cette dernière s’inspirait de l’art. 26 al. 2 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE, servant alors de base à l’interprétation.
Le Tribunal administratif fédéral avait cependant laissé ouverte la question de savoir si, en l’espèce, cette disposition était suffisante pour admettre que le cas était régi par une lex specialis, entraînant alors un refus d’accès au sens de l’art. 4 let. a de la LTrans. Celui-ci estimait en effet qu’à défaut d’être couvert par l’art. 4 let. a LTrans, le refus d’accès était quoi qu’il en soit couvert par l’exception au principe de transparence étatique de l’art. 7 al. 1 let. d LTrans. Cette vision a été suivie par le Tribunal fédéral, qui n’a pas tranché la question de la confidentialité de l’accès aux notes internes en vertu du modèle de convention fiscale de l’OCDE.
Notre Haute Cour rappelle alors que le régime de transparence étatique a été modifié par l’entrée en vigueur de la LTrans le 1er juillet 2006 et que le principe du secret de l’administration étatique a été renversé au profit du principe de transparence, dans les limites posées par la loi. La LTrans établit dès lors une présomption de libre accès aux documents officiels, dont il incombe à l’autorité de démontrer l’inapplicabilité en vertu des exceptions légales justifiant un refus d’accès.
Une autorité peut donc refuser, limiter ou différer l’accès à un document officiel notamment lorsque sa publication est susceptible de nuire aux intérêts de la Suisse en matière de politique extérieure et relations internationales, au sens de l’art. 7 al. 1 let. d LTrans. La menace de préjudice en cas de divulgation doit toutefois être substantielle et le risque de survenance de ce préjudice doit être élevé, ce qui suppose, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, qu’il ne soit pas simplement hypothétique et qu’il n’entraîne pas que des conséquences mineures ou incommodantes (Urteil 1C_222/2018 vom 21. März 2019 E. 3.4).
L’AFC a clarifié la nature de la note dans sa prise de position, spécifiant qu’elle était le fruit de la collaboration des autorités fiscales compétentes des deux États et qu’elle ne reflétait ainsi pas exclusivement le point de vue de l’AFC. Celle-ci s’appuie au surplus sur le Joint OECD/Global Forum Guide on the Protection of Confidentiality of Information Exchanged for Tax Purposes de 2012 pour affirmer que la confidentialité est capitale à l’élaboration d’une coopération efficace en matière d’entraide administrative.
Se basant sur de précédentes expériences avec des États partenaires, l’AFC a démontré que l’Inde considère la confidentialité de la note comme un acquis et s’opposerait dès lors à sa publication. L’AFC relève également que les violations de normes internationales, y compris les règles de confidentialité, sont susceptibles d’avoir un impact sur l’évaluation par les pairs (peer review) pratiqué par Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (Forum mondial) et d’ainsi affecter négativement les relations internationales de la Suisse.
Le recourant allègue alors que l’Inde est également dépendante d’une bonne collaboration avec la Suisse, eu regard à l’évaluation par les pairs du Forum mondial, mais cet argument est rejeté par le Tribunal fédéral, n’étant pas propre à contredire les faits avancés par l’AFC.
Il ressort de cet arrêt que le droit d’accès aux documents officiels est susceptible d’être limité dès lors qu’une composante transnationale intervient. En effet, en matière de politique extérieure, la Suisse doit composer avec ses propres intérêts mais également avec ceux des États partenaires, sous peine de sacrifier sa note au Forum mondial.
Proposition de citation : Samia Moura, Principe de transparence et relations internationales, 4 juin 2025 in www.swissprivacy.law/356

