Les appels à la Centrale d’appels de la police genevoise : répondez, vous êtes enregistrés !

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_270/2024 du 29 août 2025
En fait
Une association de membres des forces de police genevoise ainsi que des policiers sollicitent de la Commandante de la police cantonale des renseignements sur les enregistrements de la Centrale d’engagement et de communication de la police genevoise (CECAL) et sur les communications transitant par Polycom, notamment leur base légale, leur durée de conservation et les modalités d’accès. La CECAL est une centrale d’appels par laquelle transitent les communications avec les agents de police et qui gère notamment le réseau radio Polycom. Elle a pour mission principale d’assurer le trafic permanent des réseaux radio et de transmettre aux forces de police les demandes ou réquisitions reçues, notamment via les numéros d’urgence 117 et 112. Les données de la CECAL sont conservées 36 mois contre 12 mois pour celles du Polycom.
L’association et les policiers demandent à la responsable LIPAD du Département des institutions et du numérique de mettre fin à la conservation et au traitement illicite de données personnelles et concluent à une conservation limitée au strict nécessaire. Ils sollicitent la transmission de leur requête au Préposé cantonal à la protection des données. Celui-ci recommande une conservation de trois mois, sauf pour les procédures pénales exigeant un délai plus long.
Le Département refuse d’appliquer cette limite. La Cour de justice rejette le recours interjetté par l’association et les policiers contre la décision du Département.
Les recourants saisissent le Tribunal fédéral et sollicitent la limitation de la conservation des données à trois mois.
En droit
Les recourants soutiennent que la conservation des enregistrements litigieux pendant plus trois mois violerait leur droit à la protection de la sphère privée (art. 13 Cst., art. 21 Cst./GE et art. 8 CEDH). Ils invoquent principalement à ce titre une violation du principe de proportionnalité.
En premier lieu, l’enregistrement des communications sert à documenter les interventions et à fournir des preuves pour les enquêtes des autorités de poursuite pénale. Leur conservation permet ainsi de favoriser l’élucidation des infractions. Partant, la mesure est apte à atteindre les buts d’intérêt public.
Ensuite, l’efficacité de la poursuite pénale dépend de la durée de conservation des enregistrements. Une certaine durée est donc nécessaire pour garantir cette efficacité. La Cour de justice a retenu qu’un délai trop court crée un risque de perte de preuves si l’infraction ou la plainte apparaît plus tard, en particulier pour les infractions liées aux violences conjugales. Les enregistrements offrent d’autres indices (notamment en rapport aux bruits de fond) plus précis qu’une main-courante. La Cour de justice relève également que, selon des constats empiriques, la destruction des données après une année compromet l’efficacité de l’action policière.
Les recourants, quant à eux, soutiennent qu’un délai de conservation de trois mois suffit pour les infractions poursuivies sur plainte. Pour les infractions poursuivies d’office, ils estiment qu’en raison de la gravité des faits, une procédure est ouverte rapidement ou que d’autres moyens de preuve permettent de refléter les conversations enregistrées par la CECAL. Les recourants relèvent enfin qu’aucun exemple concret ne démontre qu’un délai de trois mois serait insuffisant. Ils ne démontrent toutefois pas qu’un délai de trois mois permettrait d’éviter la perte de preuves utiles si une infraction venait à être découverte ou une plainte déposée ultérieurement. Le Tribunal fédéral conclut à ce titre que la condition de nécessité est respectée.
Finalement, le rapport entre le but visé et les intérêts compromis doit être raisonnable (proportionnalité au sens étroit). Notre Haute Cour retient que les recourants sont informés de l’enregistrement des appels. Ils sont enregistrés dans le cadre de leur fonction et les données traitées ne se rapportent pas directement aux recourants. Le traitement de l’information n’a en outre aucune incidence sur leur sphère privée. De plus, les fonctionnaires visés disposent de garanties procédurales destinées à leur protection contre tout traitement de données inappropriés (art. 44–49 LIPAD). L’atteinte à la protection de la sphère privée est donc faible. Le Tribunal fédéral considère également qu’une durée d’enregistrement moins longue dans d’autres cantons n’est pas non plus pertinente et relève que plusieurs cantons prévoient une durée de conservation supérieure à trois mois.
Partant, la conservation des enregistrements au-delà de trois mois ne viole pas le principe de proportionnalité.
Appréciation
Le Tribunal fédéral a récemment confirmé qu’une durée de conservation de six mois des données de géolocalisation des VTC respectait le principe de proportionnalité (swissprivacy.law/324). Il a également jugé qu’il n’y avait pas de violation de ce principe dans l’enregistrement systématique, pour la même durée, des données secondaires de communication (lawinside.ch/600). Le présent arrêt s’inscrit donc dans une pratique généreuse qui permet de garantir l’efficacité des procédures pénales et de préserver les droits des victimes.
Cet arrêt nous permet de revenir sur l’arrêt ATA/422/2024 de la Cour de justice du canton de Genève, rendu le 25 mars 2024 avec un œil critique (swissprivacy.law/307). Dans cette affaire, la Cour avait estimé que, bien que l’utilisation d’un logiciel de géolocalisation ne portait qu’une atteinte limitée à la personnalité des agents, la conservation des données au-delà de 24 heures violait le principe de nécessité. Pourtant, les parties à la procédure ne faisaient référence à aucune alternative permettant d’atteindre l’objectif visé par les autorités, reproche que le Tribunal fédéral adresse justement, à notre avis, aux recourants dans son arrêt. Il nous apparaît ainsi peu probable que les juges du Tribunal fédéral fassent leur le raisonnement de leurs homologues genevois.
Proposition de citation : Mallorie Ashton-Lomax, Les appels à la Centrale d’appels de la police genevoise : répondez, vous êtes enregistrés !, 23 octobre 2025 in www.swissprivacy.law/378

