Une SA investie d’une tâche publique : assujettissement à la LInfo ?

Faits
Le 12 mai 2020, une journaliste demande au syndic de la commune de Prilly le rapport d’audit qu’une société tierce a établi en mai 2020 au sujet d’un centre sportif intercommunal. Le syndic, également membre du conseil d’administration d’un centre sportif intercommunal (ci-après « la Société »), refuse de le communiquer pour des motifs de protection des données personnelles.
En réaction à cela, la journaliste et la société pour laquelle elle travaille recourent contre la décision du 12 mai 2020 rendue par la commune de Prilly devant la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal (CDAP). Les recourantes demandant l’accès au rapport d’audit précité.
Le 11 juin 2020, la CDAP accuse réception du recours et requiert notamment des parties de se déterminer si le courriel du 12 mai 2020 contre lequel le recours est dirigé constitue une décision. La municipalité de Prilly se considère incompétente dans le litige au motif et déclare n’avoir rendu aucune décision en la matière. Le syndic affirme ne pas être soumis à la Loi vaudoise sur l’information (LInfo ; BLV 170.21), que partant, il n’a nullement rendu de décision et conteste la décision de rendre le rapport public. Les recourantes maintiennent quant à elles leur position, arguant que le courriel de refus du syndic du 12 mai 2020 constitue une décision claire et qu’il y a également un intérêt public d’accéder à ce rapport.
Une société anonyme (SA), – soit un organisme privé -, peut-elle être soumise à la LInfo ?
Deux questions litigieuses se posent dans le cas d’espèce. La première est de savoir si une société anonyme peut être considérée comme autorité soumise à la LInfo. En d’autres termes, il s’agit de se demander si un centre sportif intercommunal est investi d’une tâche publique, en vertu de laquelle il serait soumis à la LInfo. La deuxième interrogation concerne l’éventuelle obligation de la Municipalité de rendre une décision et, cas échéant, ce qu’il advient en cas de refus de statuer.
À titre liminaire, la CDAP rappelle que le champ d’application de la LInfo depuis le 1er janvier 2014 s’étend aux personnes physiques et morales privées auxquelles l’Etat a confié des tâches publiques (art. 2 let. f LInfo). Contrairement à l’ancienne LInfo, la liste de l’art. 3 du Règlement d’application de la LInfo (RLInfo ; BLV 170.21.1) n’est désormais plus relevante pour définir les organismes investis d’une tâche publique. Il n’est donc pas d’entrée de jeu exclu qu’une société anonyme se voie appliquer la LInfo.
La médiation est tentée mais n’aboutit pas. À la suite de cela, le juge instructeur de la CDAP se penche sur l’historique de la Société pour déterminer si le centre intercommunal avait à l’époque été chargé de tâches publiques que la Société a par la suite reprises à son compte.
Une tâche publique a‑t-elle été confiée à la Société sur la base du droit cantonal ?
Définition de la tâche publique
Premièrement, une tâche publique est celle qui devrait en principe être confiée à l’État, mais qui peut être déléguée à une entité privée. Ainsi trois conditions doivent être réunies pour retenir une tâche étatique : l’exercice d’une activité durable en principe par l’État, une base légale (soit un intérêt public qualifié) et enfin une obligation d’exécution par l’entité délégataire.
Délégation d’une telle tâche à un privé et soumission du délégataire au principe de transparence
Le fait que la Société soit constituée en la forme d’une SA soulève le point de la collaboration du secteur public avec le secteur privé. En outre, la LInfo vise tant les entités publiques décentralisées que les organismes privés délégataires lorsqu’elle mentionne les personnes morales auxquelles le canton ou une commune confie des tâches publiques.
La LInfo s’applique aux organismes délégataires de tâches publiques, dans l’exécution de ces tâches, même si ceux-ci sont dépourvus du pouvoir d’adopter des règles de droit ou des décisions
Comme le précise la CDAP, le législateur fédéral prévoit l’assujettissement à la LTrans aux seules entités privées qui édictent des actes ou rendent en première instance des décisions au sens du droit administratif. Le choix des législateurs cantonaux, à propos de l’assujettissement des personnes morales et autres institutions de droit public et de droit privé, est plus large. La jurisprudence vaudoise a par ailleurs confirmé, par une interprétation littérale de la LInfo, que celle-ci s’appliquait aux organismes publics et privés délégataires de tâches publiques, dans l’exécution de ces tâches (arrêt GE.2018.0002 du 7 juin 2018, Tridel SA).
Distinction entre simple soutien d’une activité privée par l’État et délégation de tâches publiques
Au demeurant, la CDAP distingue le simple soutien d’une activité privée par l’État de la délégation de tâches publiques en considérant que l’indemnité octroyée signifie une tâche déléguée. À l’inverse, l’aide financière s’apparente à un simple soutien d’une activité privée. L’existence d’une participation de l’État ne constitue pas en soi un critère définissant une tâche déléguée.
Les activités de la Société, sont-elles des tâches publiques cantonales ?
In casu, selon la CDAP, malgré l’intérêt public certain à l’activité de la Société – soit l’exploitation d’un centre sportif – laquelle contribue à la réalisation d’une tâche publique (« encourager l’éducation physique et sportive et la pratique du sport à tous les niveaux et pour l’ensemble de la population », art. 1 al. 1 de la loi vaudoise sur l’éducation physique et le sport du 18 décembre 2012 (LEPS ; BLV 415.01)), son activité spécifique ne découle ni directement de la LEPS, ni n’est imposée par la loi. Par conséquent, même si l’intervention du canton prend la forme d’un soutien, ce n’est pas suffisant pour admettre que le centre sportif s’est vu confier l’exécution d’une tâche publique cantonale.
Les activités de la Société, sont-elles alors des tâches publiques communales ?
En revanche, la CDAP estime qu’au regard des conventions signées par les communes et les comptes communaux, la Société déploie des activités relevant de tâches publiques communales. En effet, les trois communes principales actionnaires ont créé une personne morale avec l’objectif exprès d’exécuter leurs obligations de droit public (art. 3a et 107a de la loi vaudoise du 28 février 1956 sur les communes (LC ; BLV 175.11). L’exigence de base légale étant allégée au niveau communal, l’art. 2 LC semble suffisant. Il s’ensuit que la Société doit être considérée comme chargée de tâches publiques et par ce biais qu’elle est assujettie à la LInfo (art. 2 al. 1 let. f LInfo).
L’audit effectué par un mandataire externe quant au fonctionnement du centre, est-il un document soumis à la LInfo ?
Les documents soumis à la LInfo doivent remplir les conditions suivantes : être achevés, détenus par une autorité soumise à la LInfo, liés à l’accomplissement d’une tâche publique et finalement ne pas être destinés à un usage personnel (art. 9 al. 1 LInfo, pour de plus amples précisions quant à la notion de « documents officiels » dans la LInfo, voir https://swissprivacy.law/7/). En d’autres termes, les documents officiels sont concernés car ils ont un rapport avec une action administrative des autorités. Après avoir examiné la jurisprudence à ce sujet, la CDAP considère que le rapport d’audit litigieux remplit les exigences cumulatives de l’art. 9 al. 1 LInfo et peut ainsi être qualifié de document officiel, soumis à la LInfo.
Le rapport d’audit est-il détenu par une autorité ?
Au vu de la situation particulière du vice-président de la Société qui est également syndic d’une commune, un point délicat est de savoir si le rapport d’audit est détenu par une autorité. Malgré les droits d’information de l’entité délégante envers son représentant, la transmission de l’organe du représentant à la collectivité délégante n’est en revanche pas automatique. Au surplus, le fait que le syndic de la commune de Prilly ait signé le courriel en question avec cette casquette ne suffit pas pour retenir que la commune est en possession du document. Partant, la CDAP rejette le recours dirigé contre la municipalité car en définitive, l’autorité soumise à la LInfo n’a pas à remettre un document qui n’est pas en sa possession.
Conclusion
Finalement, la Société étant une entité soumise à la LInfo, le recours est partiellement retenu contre elle. La Société se voit donc tenue de rendre une décision, en bonne et due forme, après avoir mené une procédure administrative non contentieuse. Pour le surplus, le recours contre la municipalité, quant à lui, est rejeté.
Cette décision de la CDAP confirme la manière dont on peut identifier si une entité exerce une tâche publique ou non. La question de sociétés privées exerçant des tâches publiques est un point revenant régulièrement en pratique et dont la réponse n’est pas aisée. Cette décision est par conséquent intéressante puisqu’elle donne des éléments de réponse sur les éléments à prendre en compte dans cette qualification.
Proposition de citation : Lisa Dubath, Une SA investie d’une tâche publique : assujettissement à la LInfo ?, 31 octobre 2025 in www.swissprivacy.law/380
 
 Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.
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