La collecte et la conservation de données personnelles dans le but d’identifier les utilisateurs de cartes SIM prépayées
Depuis 2004, l’art. 111 Telekommunikationsgesetz allemande (TKG) fait obligation aux opérateurs de télécommunications de collecter et de conserver des données personnelles concernant les utilisateurs de cartes SIM prépayées, dont le numéro de téléphone, le nom et l’adresse de l’usager, ainsi que sa date de naissance (par. 1). Les données doivent être supprimées à la fin de l’année civile suivant celle de la fin de la relation contractuelle entre l’opérateur et l’utilisateur (par. 4). Les art. 112 et 113 TKG mettent en place une procédure automatisée et sur demande permettant aux autorités d’accéder aux données collectées.
Faisant usage d’une carte SIM prépayée, l’élu au Parlement européen Patrick Breyer et son frère Jonas (ci-après : les requérants) contestent en 2005 la conformité au droit au respect de la vie privée de l’art. 111 TKG. Le Bundesverfassungsgericht rejette leur recours constitutionnel en jugeant l’ingérence justifiée et proportionnée (1 BvR 1299/05). Les requérants saisissent alors la Cour européenne des droits de l’homme qui est appelée à déterminer si la collecte et la conservation des données personnelles des utilisateurs de cartes SIM prépayées est compatible avec l’art. 8 CEDH.
La Cour rappelle que la collecte de données personnelles porte atteinte au droit au respect de la vie privée. En l’espèce, l’existence d’une atteinte est avérée et n’est pas contestée. Il s’impose par conséquent d’examiner si pareille ingérence respecte les conditions prévues par l’art. 8 par. 2 CEDH.
L’ingérence est en l’occurrence prévue par une loi satisfaisant aux exigences de clarté et de prévisibilité. Il est également admis qu’elle a pour but de permettre aux autorités de parer à tout danger, exercer la poursuite d’infractions et des activités relatives au renseignement, soit un domaine – la sécurité nationale – dans lequel il est reconnu aux États une certaine marge d’appréciation dans le choix des moyens. C’est pourquoi la Cour concentre son examen sur la condition de la « nécessité dans une société démocratique ».
S’agissant de l’intensité de l’atteinte, les données traitées ne sont pas hautement personnelles, elles ne permettent ni la création de profil de personnalité ni de traçage et aucune donnée relative au flux des communications n’est collectée. S’appuyant sur l’arrêt Ministerio Fiscal (CJUE C‑207/16), la Cour relève de plus que les données en question ne permettent pas de connaître les métadonnées téléphoniques de l’utilisateur ni de le géolocaliser. Ainsi, l’atteinte portée au droit des requérants est jugée comme plutôt limitée, bien que non négligeable.
Relativement aux garanties, la durée de conservation des données n’apparaît pas inappropriée en raison du temps requis par une instruction pénale et du fait que les données conservées apparaissent limitées aux informations nécessaires aux fins de l’identification des abonnés. En outre, l’accès aux données collectées est limité. En effet, les art. 112 et 113 TKG délimitent avec suffisamment de précision les autorités habilitées à requérir ces données, lesquelles sont responsables de la poursuite pénale ou de la sécurité nationale. De plus, les données sont protégées face à des requêtes excessives ou abusives de par le fait que l’autorité requérante doit s’appuyer sur une base légale additionnelle pour les obtenir. La Cour juge enfin qu’il existe des mécanismes de contrôle juridictionnels qui sont suffisants. En définitive, la collecte des données personnelles des requérants était proportionnée et par conséquent « nécessaire dans une société démocratique ».
Partant, la Cour conclut, à une majorité de six contre un, qu’il n’y a pas eu violation de l’art. 8 CEDH.
La présente conclusion dans cet arrêt n’est pas une surprise selon nous. En effet, la solution ici dégagée s’inscrit dans la même logique que celle retenue dans l’arrêt Big Brothers and Watch c. Royaume-Uni. La Cour avait reconnu que les régimes d’interception massive de données relèvent de la marge d’appréciation dont disposent les États dans le choix des moyens de réaliser le but légitime que constitue la sauvegarde de leur sécurité nationale.
Pour autant, cet arrêt n’est pas exempt de critique, notamment sous l’angle du contrôle judiciaire. C’est une des raisons ayant conduit le juge Ranzoni à retenir dans ce cas une violation de l’art. 8 CEDH et à rédiger une opinion dissidente. À raison, il souligne que la personne victime d’une atteinte par une requête d’accès à ses données « has no knowledge [thereof] and cannot seek a review », sauf dans les cas, exceptionnels, dans lesquels les données obtenues conduisent à une surveillance téléphonique ou des mesures d’investigation supplémentaires.
Cet arrêt est définitif depuis le 7 septembre 2020, un panel de cinq juges de la Grande Chambre ayant rejeté une demande de renvoi devant elle. Cela étant, le contentieux judiciaire relatif à l’art. 111 TKG n’est pas encore tout à fait terminé : l’extension en 2016 de la disposition légale, par la création de l’obligation de présenter un document d’identité pour vérifier cette dernière, a aussi été contestée et la procédure devant le Bundesverfassungsgericht est pendante (1 BvR 1713/17).
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, La collecte et la conservation de données personnelles dans le but d’identifier les utilisateurs de cartes SIM prépayées, 23 septembre 2020 in www.swissprivacy.law/4
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