Interprétation d’une recommandation du PFPDT et suite de la procédure
Arrêt du Tribunal administratif fédéral A‑3215/2020 du 7 décembre 2020
Par communiqué de presse du 13 juin 2016, la Commission de la concurrence (COMCO) annonce autoriser le projet Gateway Basel Nord. Le 18 septembre 2019, une entreprise adresse à la COMCO une demande d’accès au sens de l’art. 10 de la Loi sur la transparence (LTrans) qui porte sur les documents relatifs à la procédure d’examen que cette autorité a menée sur la base de la Loi sur les cartels.
Si la COMCO transmet à la requérante un certain nombre de documents, elle restreint néanmoins son droit d’accès en procédant à un caviardage pour tenir compte de la protection des données personnelles de tiers (cf. art. 9 et 11 LTrans) et du secret d’affaires (cf. art. 7 al. 1 let. g). Contestant l’étendue du caviardage par rapport à ce dernier élément, la requérante dépose une demande en médiation devant le PFPDT. Le 4 mars 2020, ce dernier rend une recommandation aux termes de laquelle l’accès aux documents officiels requis est accordé, étant donné que la COMCO n’a pas justifié sa restriction jusqu’à présent.
Par courrier du 19 mai 2020, la COMCO ne transmet pas les documents sans caviardage, mais motive sa restriction relativement au secret d’affaires et considère ce faisant se conformer à la recommandation. Elle ajoute ne plus être tenue de rendre une décision et que la procédure est donc close. Le 8 juin, la requérante exige que la COMCO rende une décision susceptible de recours. Estimant avoir pleinement satisfait à la recommandation, la COMCO ne fait pas droit à cette requête le 11 juin et considère, faute pour la requérante d’avoir agi dans le délai légal de 10 jours prévu par l’art. 15 al. 1 LTrans, qu’elle n’est plus fondée à exiger une décision. La requérante dépose alors un recours devant le Tribunal administratif fédéral en alléguant divers griefs pour obtenir les documents requis.
Les parties divergent quant à la question de savoir si la COMCO devait rendre une décision dans le cas présent.
Pour la COMCO, tel n’est pas le cas. Premièrement, elle n’aurait pas dérogé à la recommandation du PFPDT, mais, au contraire, elle a motivé la restriction au droit d’accès comme l’aurait exigé ladite recommandation. Compte tenu du fait que la recourante n’a pas demandé une décision dans un délai de 10 jours, la procédure serait donc close. Qui plus est, elle note que l’accès accordé par la recommandation n’est pas formulé de manière absolue et sans restriction, car il est indiqué qu’il doit être octroyé « conformément à la LTrans » (« nach Massgabe des Öffentlichkeitsgesetzes »).
Aux yeux de la recourante en revanche, elle n’avait pas à demander une décision à la COMCO, puisque la recommandation du PFPDT faisait droit à sa demande d’accès sans restriction. Cela contraignait la COMCO à lui remettre les documents ou à rendre une décision si elle entendait s’écarter de la recommandation. Ce n’est que le 19 mai 2020 qu’elle a appris que l’autorité souhaitait déroger à la recommandation.
Le cœur du litige concerne l’interprétation à donner au dispositif de la recommandation du 4 mars 2020 du PFPDT et en particulier le chiffre 23 qui est formulé ainsi :
« Die WEKO gewährt den vollständigen Zugang zu den betroffenen Dokumenten nach Massgabe des Öffentlichkeitsgesetzes, da sie bisher die geltend gemachten Geschäftsgeheimnisse nicht mit der von der Rechtsprechung erforderlichen Begründung aufzeigte. Vorbehalten bleibt die bereits von der Antragstellerin akzeptierte Anonymisierung der Personendaten ».
Le Tribunal administratif fédéral commence par déterminer la méthode d’interprétation d’une recommandation du PFPDT. Le point de départ est son libellé et il se justifie de faire usage des principes interprétatifs concernant les décisions au sens de l’art. 5 PA. Une recommandation n’est certes pas une décision fixant souverainement des droits et des obligations, mais elle constitue une déclaration officielle et unilatérale relative aux droits et obligations de personnes déterminées, si bien qu’une application analogique est appropriée. De ce fait, l’interprétation d’une recommandation nécessite un examen de son libellé, mais aussi de l’ensemble de son contenu. En outre, le principe de la confiance exige qu’une recommandation soit interprétée selon le sens que le destinataire était en droit ou aurait dû de bonne foi y attacher en fonction des circonstances.
Le chiffre 23 ne permet pas de déterminer clairement si le PFPDT a recommandé l’accès aux documents requis de façon absolue ou s’il l’a conditionné à l’impossibilité pour la COMCO de justifier une restriction qui a trait au secret d’affaires.
Selon l’interprétation littérale, le droit d’accès accordé est « complet » (« vollständing ») dans la première partie de la première phrase, ce qui met exergue le fait qu’il est absolu et ne souffre pas d’exception. Sa deuxième partie démontre que, pour le PFPDT, la restriction au droit d’accès n’était pas suffisamment motivée, car elle est formulée comme une justification à la première avec le mot « da » (« étant donné que »). Elle n’a de sens que si la première partie porte sur un accès complet. Quant à la deuxième phrase, elle plaide également pour cette interprétation, car la restriction à l’accès complet qu’elle contient ne concerne pas le secret d’affaires, mais la protection des données personnelles de tiers que la recourante ne conteste pas.
Par rapport au contenu même de la recommandation, le Tribunal administratif fédéral observe que le PFPDT se montre critique vis-à-vis d’une restriction reposant sur le secret d’affaires. En particulier, il emploie le subjonctif (« ersichtlich sein sollten », « hätten sie ») dans sa recommandation pour indiquer qu’une justification à une telle restriction demeure possible, mais qu’elle n’a pas été apportée pour l’heure, ce qui plaide pour interprétation en faveur de l’accès complet.
Quant à l’argument de la COMCO tiré de l’expression « conformément à la LTrans », il est battu en brèche, car s’il fallait l’interpréter comme une restriction, alors cela viderait la recommandation du PFPDT de tout contenu et ne constituerait qu’une déclaration à l’intention de l’autorité lui indiquant qu’elle doit se conformer à la LTrans. Cette mention doit plutôt être comprise comme indiquant de façon générale que l’accès accordé repose sur la Loi sur la transparence.
S’agissant du principe de la confiance dans le cas d’espèce, l’interprétation de la recourante est compréhensible et il ne pouvait être attendu d’elle qu’elle interprète la recommandation à la lumière de recommandations antérieures comme le prétend la COMCO. De surcroît, rien n’indique que la recourante agit de manière abusive. Il y a en outre lieu de prendre en compte les étapes procédurales qui suivent la recommandation du PFPDT et telles que réglementées par l’art. 15 LTrans. Celui-ci prévoit que le requérant a un délai de 10 jours pour demander une décision à l’autorité (al. 1) et que cette dernière a 20 jours si elle entend déroger à la recommandation (al. 2). Ainsi, un requérant doit demander une décision à l’autorité lorsqu’il n’est pas d’accord avec la recommandation, mais lorsque celle-ci fait droit à sa demande d’accès, il peut supposer que l’autorité y donnera la suite qu’elle requiert ou rendra une décision qu’il pourra ensuite contester. Compte tenu de ces délais, il y a un risque que le requérant ne prenne connaissance qu’après l’expiration du délai de 10 jours que l’autorité entend s’écarter de la recommandation.
En raison du déroulement de cette procédure, il se peut, comme dans le cas présent, que l’autorité mette fin à la procédure d’accès aux documents officiels sans notifier de décision et sans que le requérant n’accepte la recommandation ni qu’il ne puisse la contester en justice. Un tel résultat n’est toutefois pas conforme à l’objectif poursuivi par la LTrans. Même si l’autorité est partie à la procédure de médiation (art. 13 LTrans), elle est notamment liée par le principe de bonne foi en sa qualité d’autorité. Ainsi, elle porte la responsabilité du déroulement conforme à l’État de droit de la procédure d’accès aux documents officiels. Elle doit comprendre une recommandation du PFPDT de bonne foi et donc de manière à ce que les droits (procéduraux) des requérants soient sauvegardés dans la mesure du possible.
Dans le cas présent, le contenu de la recommandation du PFPDT n’est pas très clair. En outre, il était clair pour la COMCO, ou il devait l’être en tout cas, que la requérante ne renoncerait pas tout à coup à l’accès complet que lui a octroyé la recommandation. C’est la raison pour laquelle il lui était reconnaissable que la requérant avait une lecture différente de la recommandation.
De ce fait, la COMCO aurait soit dû accorder au requérant le droit d’être entendu par rapport à sa compréhension de la recommandation soit lui notifier directement une décision. En définitive, la recommandation devait être comprise comme recommandant à la COMCO d’octroyer un droit d’accès complet à la requérante et ne contient pas de restriction. Dès lors qu’une restriction au droit d’accès complet accordé en l’espèce déroge à la recommandation, la COMCO était donc tenue de rendre une décision au sens de l’art. 15 al. 2 LTrans si elle souhaitait maintenir cette restriction. Or la COMCO n’en a notifié aucune. Partant, elle a commis un déni de justice et le recours doit être admis.
Le Tribunal administratif fédéral ne se substitue pas à l’autorité inférieure et renvoie la cause à l’instance inférieure pour nouvelle décision avec des instructions impératives (art. 61 al. 1 PA). La COMCO devra accorder à la requérante un accès complet aux documents requis ou rendre une décision limitant ce droit d’accès qui sera susceptible de recours.
Même s’il n’émane pas du Tribunal fédéral, cet arrêt doit être qualifié de principe selon nous, car il détermine pour la première fois les principes interprétatifs d’une recommandation du PFPDT. L’analogie avec la décision administrative avec l’art. 5 PA est adéquate, car la recommandation partage avec cette dernière les mêmes caractéristiques, à l’exception de la nature contraignante dont elle est dépourvue.
En l’occurrence, l’interprétation que la recourante fait de la recommandation du PFPDT est correcte et le Tribunal administratif fédéral la confirme à raison. En revanche, celle de la COMCO, considérant implicitement que le PFPDT a rendu une recommandation conditionnelle, est pour le moins surprenante. En effet, c’est dans le cadre de la procédure de médiation (art. 13 LTrans) que l’autorité peut faire valoir ses arguments pour restreindre un droit d’accès. Une recommandation accordant un droit d’accès à une personne requérante, mais sous réserve d’une justification ultérieure à une restriction pour l’heure pas admise par le PFPDT, n’aurait aucun sens. Le législateur a d’ores et déjà réglementé à l’art. 15 al. 2 LTrans l’hypothèse dans laquelle l’autorité ne partage pas l’avis du PFPDT relativement à la justification de la restriction.
Cela étant et étant donné que le PFPDT termine ses recommandations par un dispositif, il serait avisé de le rédiger de manière aussi concise que possible pour ne pas permettre de telles divergences d’interprétation. Le dispositif n’est pas le lieu de la discussion, mais de ses conséquences, raison pour laquelle le PFPDT devrait éviter d’y répéter les motifs qui l’ont amené à sa conclusion.
Ainsi que le démontre cet arrêt, la clarté des recommandations du PFPDT est un élément d’autant plus important que les autorités peuvent parfois ruser et agir de mauvaise foi pour décourager les personnes requérantes d’agir en faisant valoir leurs droits. La procédure ici commentée a nécessité une avance de frais de CHF 2’000.- et la stratégie en somme « dilatoire » de la COMCO aurait pu être payante si la recourante n’avait pas été décidée à faire reconnaître son bon droit.
De ce point de vue, le Tribunal administratif fédéral souligne de façon bienvenue qu’une autorité partie à une procédure de médiation et aboutissant à une recommandation du PFPDT n’en reste pas moins soumise au principe constitutionnel de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.) dans ses agissements vis-à-vis de tout administré. C’est précisément à la lumière de ce principe que l’autorité judiciaire « sanctionne » l’attitude de la COMCO qui confine à la témérité. En annonçant dans son courrier du 19 mai 2020 vouloir déroger à la recommandation, l’autorité a en même temps jugé que la recourante, alors requérante, était forclose, faute pour elle d’avoir agi dans le délai légal de 10 jours de l’art. 15 al. 1 LTrans. À retenir pareille solution, cela mettrait les personnes requérantes dans une situation désavantageuse même lorsque le PFPDT leur donne gain de cause, car elles devraient toujours demander à l’autorité qu’elle rende une décision, par crainte de voir une voie de droit disparaître. Ce n’est pas satisfaisant et ce sont deux hypothèses qu’il y a lieu de distinguer à l’art. 15 LTrans. Premièrement, lorsque la recommandation du PFPDT est favorable à la personne requérante, alors elle peut de bonne foi attendre de l’autorité qu’elle agisse dans le sens de la recommandation ou qu’elle rende, dans un délai de 20 jours à compter de la date de réception de la recommandation, une décision pour s’en écarter (al. 2 et 3). Si l’autorité ne se manifeste pas dans ce délai, elle doit accorder l’accès requis. Deuxièmement, lorsque la recommandation du PFPDT s’oppose à l’accès de la personne requérante, alors celle-ci doit agir dans un délai de 10 jours pour demander une décision à l’autorité qu’elle pourra ensuite contester (al. 1).
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Interprétation d’une recommandation du PFPDT et suite de la procédure, 29 janvier 2021 in www.swissprivacy.law/52
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