Google : sanction et compétence de la CNIL confirmées par le Conseil d’État
Décision du Conseil d’État de la République française n°449212 du 4 mars 2021
Le 7 décembre 2020, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) avait prononcé une sanction de 60 millions d’euros à l’encontre de Google LLC et de 40 millions d’euros à l’encontre de Google Ireland Limited pour divers manquements à l’art. 82 de la loi Informatiques et Libertés (voir notre commentaire publié sur swissprivacy.law : Google condamnée à une amende de 100 millions d’euros par la CNIL).
Le 29 janvier 2021, Google LLC et Google Ireland Limited (ci-après : Google) ont déposé une requête auprès du juge des référés du Conseil d’État afin de suspendre l’exécution de la sanction prévue dans la délibération de la formation restreinte de la CNIL du 7 décembre 2020.
Dans sa requête, Google conteste principalement la compétence de la CNIL, dans la mesure où elle estime que le mécanisme du « guichet unique » prévu par la RGPD (art. 56) est applicable, c’est-à-dire que la compétence pour prononcer une injonction appartient à l’autorité de contrôle de l’établissement principal du traitement, soit en l’espèce l’autorité irlandaise de protection des données (Google Ireland Limited étant l’établissement principal de Google en Europe).
Par décision du 4 mars 2021, le Juge des référés du Conseil d’État de la République française a rejeté la requête dirigée contre la délibération de la formation restreinte de la CNIL du 7 décembre 2020 et a confirmé la compétence de la CNIL ainsi que l’inapplicabilité du mécanisme du « guichet unique ».
Dans sa décision, le Juge des référés du Conseil d’État (le Juge) commence par rappeler que conformément à l’art. 8 de la loi Informatiques et Libertés, la CNIL est l’autorité de contrôle nationale au sens et pour l’application du RGPD. La CNIL veille à ce que les traitements de données à caractère personnel soient mis en œuvre conformément aux dispositions de la loi Informatiques et Libertés.
L’art. 16 de la loi Informatiques et Libertés prévoit que la formation restreinte de la CNIL prend les mesures et prononce les sanctions à l’encontre des responsables de traitements ou des sous-traitants qui ne respectent pas les obligations découlant du RGPD. Le président de la CNIL peut saisir la formation restreinte en vue du prononcé d’une injonction de mettre en conformité le traitement avec les obligations résultant du RGPD (art. 20 de la loi Informatiques et Libertés).
Le Juge précise que la CNIL :
« est chargée de veiller à la conformité de tout traitement de données relevant de son champ d’application, qu’il concerne ou non des données à caractère personnel, à ses dispositions ainsi qu’aux obligations résultant du règlement du 27 avril 2016 [RGPD]. Elle dispose, pour l’accomplissement de ses missions, du pouvoir de mettre en œuvre ses prérogatives selon les modalités qu’elle juge les plus appropriées, y compris en recourant au prononcé d’une injonction de mettre en conformité un traitement qui ne respecte pas les obligations applicables aux « cookies » et autres traceurs de connexion découlant de l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 [Directive ePrivacy]. »
Le Juge rappelle également que l’art. 82 de la loi Informatique et Libertés, qui prévoit notamment que les accès ou inscriptions de cookies dans le terminal d’un utilisateur ne peuvent avoir lieu qu’à la condition que ce dernier y ait consenti après avoir reçu une information claire et complète relative aux finalités des cookies déposés et des moyens dont il dispose pour s’y opposer, est la transposition interne en droit français des dispositions de la Directive ePrivacy concernant l’utilisation des cookies.
Le Juge rappelle ensuite que conformément à l’arrêt de la CJUE, C‑673/17 du 1er octobre 2019 (arrêt « Planet49 »), les conditions de recueil du consentement de l’utilisateur prévues dans le RGPD sont applicables aux opérations de lecture et d’écriture dans le terminal de l’utilisateur lorsqu’il s’agit de données personnelles (voir : David Rosenthal, Cookies : comment la CJUE lutte-t-elle contre la mentalité du « cliquer et fermer sans regarder », in : www.lawinside.ch/883/).
Toutefois, le Juge estime que :
« ces dispositions ne prévoient pas, en revanche, l’application du mécanisme dit du guichet unique prévu à l’article 56 de ce règlement [RGPD] aux mesures de mise en œuvre et de contrôle de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 [Directive ePrivacy] qui relèvent de la compétence des États membres en application des dispositions de l’article 15 bis de cette directive. L’existence de ces dispositions spécifiques fait obstacle à ce que les dispositions du règlement du 27 avril 2016 [RGPD] sur le mécanisme du guichet unique puissent s’appliquer. »
Le Juge des référés du Conseil d’État conclut au rejet de la requête de Google et ne se prononce pas sur les autres arguments relatifs au caractère urgent de la demande invoqués par Google.
Cette décision confirme la délibération de la commission restreinte de la CNIL du 7 décembre 2020, mais aussi l’articulation et la complémentarité du RGPD et de la Directive ePrivacy lors de l’utilisation de cookies, ainsi que l’étendue de la compétence de la CNIL.
En parallèle, Google a annoncé dans son Ads and Commerce Blog le 3 mars 2021 qu’elle cesserait d’utiliser les third-party cookies lors de la navigation des utilisateurs sur le web pour vendre de la publicité d’ici à deux ans. Il sera intéressant de suivre ces modifications, notamment afin d’analyser les alternatives qui seront utilisées par Google et proposées aux utilisateurs.
Proposition de citation : Eva Cellina, Google : sanction et compétence de la CNIL confirmées par le Conseil d’État, 12 avril 2021 in www.swissprivacy.law/69
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