Expressions pratiques du droit d’accès
Introduction
L’ère digitale fait son chemin et la pratique juridique n’est pas en reste. Il est aujourd’hui difficile, voire impossible, de parler de dossier procédural ou administratif sans faire référence d’une certaine manière à des données personnelles. Néanmoins, toutes les données personnelles ne sont pas forcément soumises à la législation sur la protection des données (fédérale ou cantonale). Un des critères d’exclusion est l’existence d’une procédure pendante. Le message concernant la révision totale de la Loi fédérale sur la protection des données ne donne plus comme critère essentiel l’existence d’une procédure pendante, mais l’existence d’un point de vue fonctionnel d’un lien immédiat avec une procédure devant un tribunal (FF 2017 6565, p. 6633). À noter que quand bien même il ne s’agirait pas d’un cas d’exclusion du champ d’application de la législation et que celle-ci s’appliquerait, le droit d’accès ne saurait mettre un frein au respect des principes de procédure (notamment dans les cas de procédure administrative de première instance, soumise à la protection des données). Cette prérogative ne saurait contourner les règles en matière d’établissement des faits et appréciation de la preuve (voir notamment l’arrêt du TF 1C_224/2014 du 25 septembre 2014, consid. 3.2 et références citées).
Le droit d’accès est de nos jours une institution incontournable. Il offre la possibilité d’accéder à ses propres données personnelles sous l’égide de la législation sur la protection des données, mais pas seulement. Le droit d’accès comprend notamment le droit d’accès aux documents officiels et le droit d’accès au dossier procédural. Le droit d’accès informationnel garantit l’accès du public aux documents officiels de l’administration fédérale, cantonale et communale. Ce droit ne nécessite aucun intérêt particulier au niveau fédéral et dans le canton de Fribourg. Il est dirigé par le principe « access to one, access to all » qui signifie que lorsque l’accès à un document officiel est accordé à une personne, il doit l’être à toutes. La notion clé est celle de document officiel ; i.e. toute information enregistrée sur quelque support que ce soit détenue par une autorité, qu’elle émane de celle-ci ou qu’elle lui ait été communiquée, dans l’accomplissement d’une tâche publique.
Lorsqu’il est fait référence à la possibilité de consulter un dossier, il est en principe renvoyé au droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), dont un des pendants est « le droit de consulter le dossier de l’autorité ». Les juges de Mon-Repos ont eu l’occasion de préciser la notion de « dossier ». Ce dernier comprend tout élément susceptible de permettre à l’autorité de rendre sa décision (voir notamment ATF 142 II 218, consid. 2.3 ; ATF 132 V 387, consid. 3.1). Quoique la formulation allemande soit quelque peu trompeuse (« Entscheidrelevant », « entscheidwesentlich »), comme le rappel Dubey, ce qui importe est qu’un élément soit pertinent pour la cause, dès lors qu’il pourrait plus tard se révéler décisif (cf. Jacques Dubey, Droits fondamentaux, volume II : Libertés, garanties de l’État de droit, droits sociaux et politiques, Bâle 2017, n. 4063). La terminologie est ainsi très large. Ce nonobstant, le droit d’accès aux documents officiels ne comprend pas l’accès aux documents officiels concernant certaines procédures (art. 3 LTrans ; art. 21 LInf), pour lequel la législation spéciale fait foi.
Pratique fribourgeoise
Dans un arrêt fribourgeois non publié du tribunal d’arrondissement, les différentes manifestations du droit d’accès ont successivement été examinées.
Dans le cadre d’une procédure pénale ouverte contre Y, X a été entendu en qualité de témoin. Après l’acquittement de Y par jugement du 4 juin 2020, X a demandé à consulter le dossier pénal. Le Juge de police a invité Y à se déterminer. Celui-ci s’y est opposé en invoquant son intérêt privé, au vu d’un litige civil ouvert contre X, et a justifié son refus par les articles 27 LInf et 101 al. 3 CPP. En effet, l’article 101 al. 3 CPP permet la consultation des dossiers liés à des procédures pendantes. Ce qui n’est pas le cas du dossier sollicité. En présence d’une procédure pénale close, le traitement, la conservation des données et la procédure sont régis par les dispositions fédérales et cantonales sur la protection des données (art. 99 al. 1 CPP et art. 140 let. a LJ). Partant, le droit d’accès au dossier procédural, i.e. le droit d’être entendu, ne peut être invoqué (dans ce sens TC/FR 502 2020 154 du 12 octobre 2020). Par ailleurs, quoiqu’il s’agisse d’un document officiel conformément à l’article 22 LInf, la procédure préliminaire prévue par le CPP n’étant pas publique (art. 69 al. 3 let. a CPP), la LInf exclut du droit d’accès informationnel les procès-verbaux d’instruction (art. 29 al. 1 let. b LInf).
À défaut de droit d’accès au dossier procédural ou dans ce cas précis à un document officiel, la voie du droit d’accès à ses propres données demeure envisageable. La terminologie parle d’elle-même, des données personnelles doivent être en cause, notamment lorsque l’information soulevée traite d’une personne identifiée ou identifiable. Concernant cette dernière notion, il s’agit du cas où des données permettent indirectement, par corrélation d’informations ou en raison du contexte, de déterminer à qui elles se rapportent. Une possibilité d’identification purement théorique ne suffit pas. Si l’identification nécessite des moyens tels que, selon le cours ordinaire des choses, aucun intéressé ne les mettra en œuvre, la personne concernée n’est pas identifiable au sens de la législation. Par ailleurs, « un procès-verbal de séance contient des informations relatives aux personnes qui se sont exprimées durant la séance, mais également des données personnelles relatives aux personnes au sujet desquelles des affirmations ont été faites ». Bien que le droit d’accès d’une personne à ses données personnelles ne demande pas de faire valoir un quelconque intérêt, il peut toutefois être refusé, restreint, voire différé, si un intérêt public prépondérant l’exige, ou en présence d’un intérêt digne de protection d’un tiers.
Le dossier procédural contient certes les données personnelles de X, mais également de Y. Celui-là a un intérêt vraisemblable à la consultation dès lors que Y fait valoir des prétentions civiles à l’appui de son acquittement pénal. X a ainsi le droit de connaître la motivation pour se déterminer et se défendre efficacement. À la lumière du principe de la proportionnalité, la consultation restreinte a été admise notamment pour les informations déjà connues par X, à l’exclusion des passages relatifs à la situation personnelle, financière et familiale actuelle de Y.
Proposition de citation : Florence Henguely, Expressions pratiques du droit d’accès, 23 novembre 2020 in www.swissprivacy.law/32
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