L’Europe serre la vis : sanction contre WhatsApp Irlande alourdie
L’Autorité de protection des données irlandaise (DPC) avait communiqué son projet de décision aux autorités de contrôle européennes concernées par les traitements transfrontaliers de données personnelles effectués par WhatApp Irlande (WhatsApp IE), comme le prévoit l’art. 60 par. 3 RGPD. Les autres autorités de contrôle ayant formulé des objections à l’égard du projet de décision, l’affaire a été portée devant le Comité européen de la protection des données (EDPB) conformément à l’art. 65 RGPD pour que ce dernier règle le litige. Bien que la DPC ait rendu sa décision finale le 20 août 2021, le présent commentaire s’attardera sur la décision contraignante rendue par l’EDPB, que l’Autorité irlandaise a dû appliquer et intégrer dans sa décision finale.
Les objections (art. 4 ch. 24 RGPD ; art. 65 par. 1 let. a RGPD) formulées par les autorités de contrôle quant au projet de décision que la DPC leur avait communiqué fin 2020 selon l’art. 60 par. 3 RGPD visaient principalement à :
- la constatation de la violation de l’ 13 par. 1 let. d RGPD, à savoir de l’information de la personne concernée sur les intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par le tiers lorsque le traitement est nécessaire à la poursuite de ces intérêts (art. 6 par. 1 let. f RGPD) ;
- la constatation de la violation de l’ 13 par. 2 let. e RGPD, soit de l’obligation d’informer les personnes concernées sur la question de savoir si l’exigence de la fourniture de données personnelles est règlementaire ou contractuelle, si elle conditionne la conclusion d’un contrat, si la personne concernée est tenue de procéder à cette fourniture et quelles sont les conséquences en cas de refus de fournir les données ;
- la constatation de la violation du principe de transparence (5 par. 1 RGPD) ;
- la qualification des données personnelles concernant les données de non-utilisateurs de l’application traités par l’entreprise ;
- l’amende proposée par l’autorité chef de file.
Dans sa décision, l’EDPB a estimé que certaines objections n’étaient pas suffisamment motivées ou qu’elles ne justifiaient pas de modifications du projet de décision de la DPC (art. 4 par. 24 RGPD). Néanmoins, d’autres objections ont donné lieu à plusieurs rectifications du projet de décision irlandais.
Premièrement, l’EDPB a considéré qu’une violation de l’art. 13 par. 1 let. d RGPD avait été commise par WhatsApp IE. Il a estimé, contrairement à l’avis de la DPC, que l’information fournie par l’entreprise ne renseignait pas suffisamment les personnes concernées sur les traitements effectués sur la base des intérêts légitimes de WhatApp IE ou de tiers. En effet, des formulations telles que « other business services » ou encore « shares information with the Facebook Companies to promote safety and security » ne fournissent pas suffisamment d’informations aux personnes concernées pour leur permettre d’exercer correctement leurs droits à propos des traitements spécifiques.
Deuxièmement, l’EDPB s’est basé sur l’art. 4 par. 1 RGPD et sur le considérant 26 RGPD pour considérer que les données des personnes ne possédant pas de compte WhatsApp, passant par une « lossy hashing procedure », devaient être qualifiées de données personnelles. Malgré les arguments avancés par WhatsApp IE, l’EDPB a estimé que, dans la mesure où ce processus pouvait compter moins de 16 numéros de téléphone par « pool », il était possible de rendre les personnes concernées identifiables sans efforts disproportionnés après le processus, surtout compte tenu des ressources de WhatsApp IE et des tiers. Partant, les données des personnes ne possédant pas de compte WhatsApp revêtiraient pour l’EDPB un caractère personnel au sens du RGPD et ne devraient pas être considérées comme des données anonymes. Cette qualification entraîne la nécessité pour la DPC de reconnaître une violation de l’art. 14 RGPD dans le cas d’espèce.
Troisièmement, l’EDPB a requis de la DPC la constatation de la violation du principe de transparence (art. 5 par. 1 let. a RGPD) en plus des violations des autres obligations, dans la mesure où des violations tant du principe de la transparence que des obligations en découlant peuvent être commises dans un même cas de figure, comme en l’espèce, au vu de la gravité et de l’impact des infractions du cas d’espèce.
Quatrièmement, l’EDPB a requis de la DPC qu’elle utilise ses pouvoirs correctifs en constatant une infraction concernant l’art. 13 par. 2 let. e RGPD et en prononçant l’une des mesures de l’art. 58 par. 2 RGPD au lieu de se limiter à émettre une simple recommandation. En effet, si la DPC se limitait à émettre une recommandation, les droits des personnes concernées ne seraient pas pleinement assurés car elles ne pourraient pas être conscientes du traitement de leurs données. En outre, WhatsApp IE pourrait s’éloigner de ladite recommandation.
En dernier lieu, la fixation de l’amende a été revue par l’EDPB. Il a d’abord estimé que, lorsqu’il en va de l’interprétation de l’art. 83 par. 3 RGPD et en cas de multiples violations entraînées par des traitements liés, le contrevenant devait être reconnu coupable d’avoir violé plusieurs dispositions et que l’amende devait, pour être effective, dissuasive et proportionnelle, être fixée dans le respect du maximum prévu de manière abstraite pour l’infraction la plus grave et non de manière concrète.
Ensuite, le chiffre d’affaires pris en considération n’importe pas uniquement dans la fixation anticipée du montant maximum de l’amende, mais consiste aussi en un élément à prendre en considération dans la fixation du montant concret de l’amende, pour qu’elle réponde aux buts qui lui sont assignés (art. 83 par. 1 RGPD). Bien que l’art. 83 par. 1 ou 2 RGPD ne prévoie pas expressément la prise en compte du chiffre d’affaires, la formulation de la loi ne semble pas se limiter aux autres éléments prévus expressément par la disposition.
Finalement, lorsqu’une société mère et sa filiale forment une unité économique au sens des art. 101 s. TFUE, le chiffre d’affaires à considérer correspond au montant total ou consolidé des sociétés formant l’unité économique (G29, Lignes directrices sur la fixation des amendes administratives, p. 6) portant sur l’année précédant la décision finale.
Au vu de ce qui précède, l’EDPB a conclu que la DPC devait constater plusieurs violations supplémentaires, augmenter par conséquent le montant de l’amende infligée à WhatsApp IE et lui accorder un délai de trois mois et non de six pour se mettre en conformité.
En droit suisse, la LPD ne prévoit pas, dans sa teneur actuelle, de sanction pour la violation du principe de transparence ou de reconnaissabilité par un responsable du traitement privé (art. 4 al. 4 LPD), à moins qu’il traite des données sensibles ou profils de la personnalité (art. 14 et 34 al. 1 LPD). Selon la nLPD, le devoir d’information est étendu (art. 19 nLPD ; FF 2020 7405) et sa violation est susceptible d’entraîner une sanction pénale (art. 60 al. 1 nLPD ; FF 2020 7423). Néanmoins, le droit suisse va moins loin que le droit européen, surtout concernant l’effet dissuasif attaché aux sanctions qui sera, selon nous, toujours moins garanti en droit suisse que d’après le RGPD.
De retour en Irlande, WhatsApp IE a annoncé faire appel contre la décision. Affaire à suivre…
Proposition de citation : Pauline Meyer, L’Europe serre la vis : sanction contre WhatsApp Irlande alourdie, 18 octobre 2021 in www.swissprivacy.law/95
Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.