Transparence de la documentation relative à une substance active
I. En fait
En décembre 2020, l’Association Droit dans le sol requiert de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) l’accès à des documents officiels relatifs à deux substances actives, soit le sulfoxaflor et le thiacloprid, figurant à l’Annexe 1 de l’Ordonnance sur les produits phytosanitaires (OPPh), au produit phytosanitaire alanto, ainsi qu’au(x) rapport(s) d’évaluation de l’OFAG et autres autorités fédérales impliquées dans le processus d’homologation dudit produit et des substances précitées. Plutôt que d’invoquer l’art. 6 LTrans, la requérante fonde sa demande sur l’art. 4 de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement.
Après plusieurs échanges entre parties, il apparaît que les documents ne se rapportant pas au sulfoxaflor sont confidentiels en vertu de l’art. 52 OPPh. De ce fait, les entreprises concernées par lesdits documents doivent être consultées en vertu du droit d’être entendu consacré par l’art. 11 LTrans avant que l’autorité ne puisse se prononcer sur la demande d’accès. La demande d’accès est donc divisée et porte singulièrement dans ce contexte sur les documents officiels relatifs au sulfoxaflor.
L’OFAG refuse l’accès aux documents officiels concernant le sulfoxaflor sur la base des art. 3 al. 1 let. b cum 8 al. 2 LTrans en invoquant le fait que l’inscription de cette substance active dans l’OPPh n’est qu’une « décision intermédiaire » par rapport à la « décision finale » qui autorisera la mise sur le marché du futur produit phytosanitaire (procédure en deux temps). Les documents requis feraient partie de la procédure concernant l’autorisation de mise sur le marché et les rendre accessibles pourrait entraver le processus de la libre formation de l’opinion et de la volonté de l’autorité d’homologation (art. 7 al. 1 let. a LTrans).
Contestant l’interprétation de l’OFAG, la requérante agit par la voie de la médiation (art. 13 LTrans) devant le PFPDT qui rend la recommandation commentée le 16 juin 2021.
II. En droit
En dépit du fait que la requérante fonde sa demande d’accès sur la Convention d’Aarhus, le PFPDT souligne que la LTrans garantit un droit d’accès étendu englobant également l’accès aux informations sur l’environnement. Il rappelle que le Tribunal administratif fédéral a déjà jugé que le droit suisse est conforme au droit conventionnel à cet égard (arrêt TAF A‑6755/2016 du 23 janvier 2017, consid. 3.1.4).
Le PFPDT examine ensuite les trois moyens soulevés par l’OFAG pour refuser l’accès.
Tout d’abord, alors que l’art. 3 al. 1 let. b LTrans s’applique à l’accès au dossier par les parties à la procédure au sens de l’art. 6 PA, l’accès par un tiers est réglementé par l’art. 8 al. 2 LTrans. Ces dispositions ont pour effet que la LTrans ne permet en principe pas l’accès à un document tant qu’une procédure est en cours. Le PFPDT souligne cependant que presque tout document constitue la base d’une décision, si bien que le risque que l’art. 8 al. 2 LTrans soit interprété de manière trop large ne peut être écarté. C’est pourquoi trois conditions doivent être données pour que cette disposition s’applique : (i) il doit exister un lien direct et étroit entre le document requis et la décision à prendre concrètement ; (ii) le document doit matériellement avoir « une importance non négligeable » pour la décision ; et (iii) il doit exister une certaine connexité temporelle entre la décision à prendre par l’autorité et la demande d’accès.
Un produit phytosanitaire peut être mis en circulation en Suisse s’il est homologué par l’OFAG. Tel ne peut être le cas en vertu de l’art. 17 OPPh que si les substances actives qu’il contient sont approuvées. Lorsqu’il contient une substance active ne figurant pas encore à l’Annexe 1 OPPh, celle-ci doit être approuvée dans le cadre d’une procédure d’approbation spécifique régie par l’art. 4 OPPh. La demande du producteur adressée à l’OFAG en tant que service d’homologation contient un dossier récapitulatif avec les rapports d’essais et d’études (art. 6 et 7 OPPh).
En l’espèce, il apparaît qu’un lien étroit et direct existe entre la première procédure d’approbation de la substance active menant à son inscription dans l’Annexe 1 OPPh et la procédure de mise en circulation d’un produit phytosanitaire, la première dépendant de la seconde. Ce lien n’existe toutefois que pour la première procédure conduisant à l’inscription de la substance active dans l’OPPh. Or le sulfoxaflor y figure depuis le 1er juillet 2018. Faute pour l’OFAG d’avoir démontré que son inscription a un rapport étroit et direct avec la procédure pendante, il apparaît qu’une procédure d’approbation ayant conduit à l’inscription du sulfoxaflor a déjà eu lieu. Qui plus est, l’inscription de cette substance dans l’OPPh a nécessairement dû faire l’objet d’une décision comme le révèle l’analyse systématique de l’Annexe 2 OPPh. Partant, l’art. 8 al. 2 LTrans est inapplicable.
Deuxièmement, le PFPDT examine l’exception soulevée de l’art. 7 al. 1 let. a LTrans. Au début de sa recommandation, il a rappelé que l’art. 6 al. 1 LTrans institue une présomption d’accessibilité à tout document officiel ou de transparence qui peut être renversée par l’autorité qui doit prouver l’existence d’une exception (art. 7 LTrans), d’un cas particulier (art. 8) ou la protection des données personnelles (art. 9). Dans la mesure où l’OFAG s’est limitée à alléguer un risque d’altération notable du processus décisionnel concernant l’homologation du produit phytosanitaire contenant le sulfoxaflor sans toutefois le démontrer, elle n’a pas prouvé ce risque, si bien que l’administration supporte le fardeau de la preuve. L’exception est en conséquence écartée.
Enfin, l’OFAG a également mentionné la protection (art. 46 OPPh) et la confidentialité des rapports d’essais et d’études (art. 52 OPPh) qui sont concernés par la demande d’accès. Le PFPDT souligne cependant que la protection doit être « réclamée » et la confidentialité « demandée » pour la seconde (al. 7, respectivement al. 1). L’administration n’a toutefois pas prouvé que les documents objet de la demande d’accès sont protégés ou confidentiels en ne remettant aucun document au PFPDT attestant de réclamation ou de demande en ce sens. Ce moyen est en conséquence rejeté.
En conclusion, le PFPDT recommande à l’OFAG d’accorder à la requérante l’accès aux documents officiels concernant le sulfoxaflor sous réserve des exceptions prévues aux art. 7–9 LTrans « qui n’ont pas déjà été exclues » et en tenant compte du principe de proportionnalité.
III. Commentaire
La présente recommandation du PFPDT est logique et doit être approuvée. Elle a été acceptée par l’OFAG qui a remis les documents concernés à la requérante.
Sur le fond, l’argumentaire de l’administration paraît problématique dans la mesure où chaque fois qu’un produit phytosanitaire était évalué ou réévalué, l’accès à tous les documents officiels qui y sont liés serait voué à l’échec. Cela aurait pour effet de faire barrage à l’accès à des documents officiels concernant des substances actives contenues dans le produit phytosanitaire qui ont d’ores et déjà fait l’objet d’une approbation par une décision indépendante de celle du produit. C’est donc à juste titre qu’un lien direct et étroit entre l’approbation du sulfoxaflor et l’homologation du produit phytosanitaire indéterminé qui le contient a été niée dans le cas d’espèce.
* Une personne de l’équipe swissprivacy.law appartient à l’Association droit dans le sol. Il ne s’agit pas de l’auteur.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Transparence de la documentation relative à une substance active, 29 octobre 2021 in www.swissprivacy.law/98
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