L’Office européen de lutte antifraude est soumis au principe de la transparence
Contexte
Entre 2011 et 2015, la société Élios Innovatív a décroché plusieurs contrats d’une valeur avoisinant les 40 millions d’euros pour l’installation de nouveaux lampadaires des villes hongroises. Ces contrats ont fait l’objet de plusieurs procédures européennes de marchés publics et ont été financés par des fonds européens.
Face à des soupçons d’irrégularités dans l’obtention de ces contrats, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a mené une enquête pendant près de deux ans ayant abouti à un rapport daté du 22 décembre 2017. Ce dernier a mis en exergue de graves irrégularités, ainsi que des conflits d’intérêts. Parmi ses recommandations adressées au gouvernement hongrois, l’OLAF recommandait l’ouverture d’une action en justice.
Ayant constaté que le nouvel éclairage de sa commune était de très basse qualité et insuffisant, une militante de l’association Eleven Gyál a déposé une demande d’accès au rapport final de l’enquête de l’OLAF en se fondant sur le Règlement (CE) 1049/2001 du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission. L’accès a été refusé par l’OLAF.
Principe de la transparence au sein de l’Union européenne
Historiquement, le principe de la transparence au sein de l’Union européenne trouve son origine dans la Déclaration n° 17 relative au droit d’accès à l’information, annexée au Traité de Maastricht sur l’Union européenne signé le 7 février 1992. Il a depuis été introduit dans divers actes de l’Union européenne, de manière directe ou indirecte.
Le premier ancrage européen – indirect – du principe de la transparence se trouve à l’art. 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif à la liberté d’expression et d’information (Charte). Comme nous l’avons récemment souligné, l’art. 11 par. 1 de la Charte garantit la liberté d’information sans la limiter (contrairement au droit suisse). Il en découle que chaque citoyen de l’Union européenne peut recevoir ou communiquer des informations ou des idées qu’il puisse y avoir d’ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.
Le second ancrage est pour sa part direct. L’art. 42 de la Charte dispose clairement que tout citoyen de l’Union européenne, ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre, a un droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union européenne, quel que soit leur support.
Cette mention expresse du droit d’accès au sein de la Charte découle de l’art. 15 par. 3 du Traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui représente notre troisième ancrage. En sus de poser le principe du droit d’accès aux documents, l’art. 15 par. 3 TFUE en prévoit les limites.
Règlement (CE) 1049/2001
Les ancrages européens du principe de la transparence ont été formalisés au sein du Règlement (CE) 1049/2001, sur la base duquel la militante a fondé sa demande dans le cadre du litige au principal. Par rapport à la LTrans, qui nous servira de point de comparaison, nous relevons les principales différences suivantes :
- le règlement vise les documents établis ou reçus par une institution, un organe ou un organisme de l’Union européenne (art. 1er), ainsi que par les documents détenus par un État membre émanant de l’une ou l’autre des catégories évoquées (art. 5) ;
- le traitement des demandes doit se faire dans un délai de quinze jours, prolongeable d’autant (art. 7 et 8)
- l’accès aux documents est, sous réserve d’exception (art. 2 par. 2), limité aux citoyens de l’Union européenne, respectivement à toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre (art. 2 par. 1) ;
- des règles spécifiques ont été établies quant à l’accès à des documents sensibles (art. 9). Ces règles font néanmoins écho à l’art. 4 LTrans, respectivement aux règles établies par l’Ordonnance fédérale du 4 juillet 2007 concernant la protection des informations de la Confédération ;
- la gratuité de l’accès aux documents est le principe (art. 10) ;
- chaque institution doit tenir, sous une forme électronique, un registre de documents qui contient pour chaque document un numéro de référence, le thème abordé et/ou une brève description du contenu du document (art. 11)
Le litige au principal
Dans le cadre du litige au principal, l’OLAF fonde son refus d’accéder à la requête de la militante essentiellement sur la base d’une présomption générale de non-accès aux documents émanant de l’OLAF. Selon l’OLAF, cette présomption générale permet d’assurer le bon fonctionnement des procédures qu’elle mène, évitant ainsi que ses objectifs, notamment d’enquête, ne soient entachées. En particulier, l’OLAF redoute que l’accès aux documents dissuade les citoyens de fournir des informations sur d’éventuelles fraudes, ce qui priverait l’OLAF d’informations utiles pour engager des enquêtes aux fins de la protection des intérêts financiers de l’Union européenne.
Cette présomption générale est étroitement liée à l’art. 4 par. 2 ch. 3 du Règlement (CE) 1049/2001, qui dispose que les institutions peuvent refuser l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porte atteinte à la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit. Elle résulte également d’une jurisprudence constante du Tribunal de l’Union européenne dans des affaires aux contours identiques qui nécessitaient de préserver l’intégrité du déroulement d’une procédure en limitant l’ingérence des tierces parties. À titre d’exemples, le Tribunal de l’Union européenne a validé le refus de transmettre des questions à choix multiples posées lors d’un concours général organisé par l’Office européen de sélection du personnel ou le refus de transmettre les offres de soumissionnaires dans une procédure de marché public en cas de demande d’accès formulée par d’autres soumissionnaires.
La recourante conteste pour sa part cette présomption générale au motif que celle-ci constitue une limitation disproportionnée de son droit à la liberté d’information (art. 11 par. 1 de la Charte) et de son droit d’accès aux documents (art. 42 de la Charte).
Il ressort de l’arrêt en cause que le Tribunal de l’Union européenne admet, de manière générale, que l’OLAF est fondé à invoquer la présomption générale d’atteinte aux objectifs des activités d’enquête pour refuser la divulgation de documents concernant une enquête. Toutefois, cette présomption n’est applicable que si la divulgation des documents en question risque de mettre en péril l’achèvement des activités d’enquête. Tel est par exemple le cas lorsqu’une enquête est en cours ou vient d’être clôturée, et que, pour ce second cas, que l’autorité nationale compétente n’a pas encore décidé dans un délai raisonnable des suites à donner aux conclusions de l’enquête.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal de l’Union européenne constate à la date du refus de la demande d’accès que les autorités hongroises avaient déjà clôturé la procédure par une décision concluant à l’absence d’information. Dès lors, le recours à la présomption générale d’atteinte aux objectifs des activités d’enquête n’est plus justifié par la nécessité de permettre aux autorités hongroises de prendre sereinement une décision quant aux suites à donner au rapport de l’OLAF. Partant, le Tribunal de l’Union européenne annule la décision de l’OLAF en considérant que celui-ci a commis une erreur de droit dans l’application du Règlement (CE) 1049/2001.
Proposition de citation : Livio di Tria, L’Office européen de lutte antifraude est soumis au principe de la transparence, 1er décembre 2021 in www.swissprivacy.law/107
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