Le secret fiscal comme exception à la transparence
Arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF) A‑741/2019 du 16 mars 2022
En 2018, une association de défense des droits des minorités, la Société pour les peuples menacés (SPM), saisit l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF) d’une demande d’accès (10 al. 1 LTrans). Elle souhaite obtenir les statistiques complètes concernant l’importation d’or pour les quatre plus grands importateurs d’or, avec indication des quantités, détaillées selon le nom de l’exportateur, et l’indication du nom de l’importateur suisse à qui cet or a été livré, pour la période allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2017. Pour appuyer sa requête, la SPM évoque le besoin d’avoir ces données pour l’élaboration de rapports et l’intérêt public comprenant les droits de l’homme et l’écologie.
Comme le document demandé comprenait des données personnelles concernant les quatre importateurs, l’OFDF les a consultés conformément à leur droit d’être entendu selon l’art. 11 LTrans. Les importateurs se sont opposés à la divulgation de ces renseignements, invoquant le secret fiscal, le secret d’affaire et la protection de la sphère privée de tiers.
Dans un premier temps, l’OFDF a rejeté la demande d’accès de la SPM. L’association a alors déposé une demande en médiation auprès du PFPDT selon l’art. 13 LTrans. Suite à cela, le Préposé a transmis à l’OFDF sa recommandation (art. 14 LTrans), considérant que l’autorité devait transmettre uniquement les informations concernant les noms des importateurs, celui des exportateurs et la quantité importée. Pour ce dernier, le secret fiscal n’est en l’espèce pas applicable, car les données visées ne concernent pas l’impôt sur les importations. L’OFDF reprend au sein de sa décision l’argumentation du PFPDT. Il a alors transmis à la SPM un tableau contenant les différentes informations.
Le 16 mars 2022, le TAF s’est prononcé sur la question après avoir été saisi d’un recours des quatre importateurs d’or contre la décision de l’OFDF. Les importateurs invoquent, tout d’abord, que l’OFDF a créé un document ad hoc pour répondre à la demande d’accès, dérogeant ainsi aux prescriptions de la loi. Ensuite, ils relèvent qu’un tel document ne pouvait être transmis, car les données sont couvertes par le secret fiscal.
Qualité du document
Premièrement, le Tribunal rappelle le but de la LTrans qui est de « renverser le principe du secret de l’activité de l’administration au profit de celui de la transparence quant à la mission, l’organisation et l’activité du secteur public ». La loi permet donc à toute personne de consulter des documents officiels et d’obtenir des renseignements sur leur contenu de la part des autorités sans devoir justifier d’un intérêt particulier (art. 6 al. 1 et 2 LTrans). La loi prévoit néanmoins des exceptions, notamment en matière de secret lorsqu’une loi spéciale le prévoit (art. 4 let. a LTrans).
Dans le cas d’espèce, les importateurs invoquent, tout d’abord, une violation de l’art. 5 LTrans. Ils font valoir que l’OFDF aurait confectionné sur mesure le tableau concernant les informations litigieuses. Partant, l’autorité inférieure ne se serait pas basée sur un document déjà existant et le tableau n’aurait pas été élaborée sur la base d’un traitement informatisé simple (art. 5 al. 2 LTrans).
Le Tribunal rappelle que selon l’art. 5 al. 1 let. a LTrans, le document, faisant l’objet du droit d’accès, doit être enregistré sur un support et doit donc exister. Dès lors, l’autorité ne peut être contrainte de créer un document pour satisfaire le principe de transparence (p.ex., la rédaction d’une note de synthèse ou d’une traduction d’un document).
Le TAF soulève toutefois l’exception de l’art. 5 al. 2 LTrans pour le droit d’accéder à des documents « virtuels », soit des « documents officiels qui n’existent qu’à l’état latent et qui peuvent aisément être obtenus par une manipulation informatique élémentaire à partir d’informations existantes ».
Le Tribunal juge que les informations litigieuses étaient à disposition de l’autorité inférieure, qui les a simplement réunies dans un tableau après une recherche élémentaire. Par conséquent, le document en question remplissait les conditions de l’art. 5 LTrans.
Secret fiscal
Deuxièmement, le TAF examine la question de savoir si les données concernées sont couvertes par le secret fiscal découlant de l’art. 74 Loi régissant la taxe sur la valeur ajoutée (LTVA) au titre de disposition spéciale réservée par l’art. 4 let. a LTrans.
Il rappelle que la relation entre le secret garanti par d’autres lois fédérales spéciales et le principe de transparence de la loi ne saurait être établie de manière générale, mais doit être déterminée au cas par cas. Il s’agit alors de mettre en balance l’intérêt public à la transparence et le but de protection de la norme spéciale.
Pour le TAF, le secret fiscal découlant de l’art. 74 LTVA peut être défini comme
« une règle qui impose aux personnes chargées de l’exécution de la législation fiscale un devoir de garder le secret absolu sur toutes les informations personnelles, professionnelles et financières relatives aux contribuables, dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur fonction, et de refuser aux tiers la consultation des dossiers fiscaux ».
Il précise que ce secret peut incomber tant aux collaborateurs de l’Administration fédérale des contributions qu’à ceux de l’OFDF.
Il ajoute qu’il s’agit d’un secret de fonction qualifié en raison de la nature particulière des relations entre le contribuable et l’administration. Le secret fiscal remplit une fonction de protection pour le contribuable et sa sphère privée. En effet, ce dernier est tenu de par la loi de fournir les informations sur sa situation personnelle et financière. En contrepartie, celles-ci sont protégées par le secret fiscal vis-à-vis des tiers, permettant ainsi de créer un climat de confiance et de faciliter le devoir de collaborer des contribuables.
Ce climat de confiance constitue donc un intérêt public au maintien du secret. Le TAF relève que le secret fiscal sert aussi l’intérêt public à une déclaration complète par les contribuables et ainsi à l’égalité de traitement en matière fiscale, car il facilite l’établissement des faits.
Le TAF précise que le secret fiscal est constitué par toutes les données obtenues par l’autorité dans l’accomplissement des obligations de procédure de taxation du contribuable ainsi que les informations fournies par des tiers. Ce secret repose sur une notion matérielle de secret, en ce sens qu’il n’est pas obligatoire de qualifier expressément les données comme « secrètes ».
L’entrée en vigueur de la LTrans a créé un changement de paradigme portant la transparence de l’administration au rang de principe et le secret comme exception. Cependant, lorsque le secret est justifié par l’intérêt privé d’un administré à ne pas divulguer ses données, celui-ci l’emporte sur le principe de la transparence.
Le TAF relève que la LTVA a fait l’objet d’une révision totale en 2008, soit après l’entrée en vigueur de la LTrans au 1er juillet 2006. Le secret fiscal n’ayant pas fait l’objet de modification, le Tribunal déduit de ce silence la primauté du secret sur le principe de transparence.
En l’espèce, le TAF constate que l’ensemble des renseignements litigieux ont été collectés par l’OFDF, entre autres, dans sa fonction d’autorité de taxation de la TVA à l’importation. Relevant que les renseignements litigieux appartiennent à la sphère privée des importateurs d’or et que ces derniers font valoir un intérêt privé digne de protection à ne pas divulguer leur contenu, le Tribunal en conclut qu’ils sont couverts par le secret fiscal.
Le fait que la collecte de données soit de nature « mixte » ne change rien. Pour le TAF,
« le secret fiscal constitue une protection absolue des renseignements en cause, indépendamment des autres buts pour lesquels les données pourraient être récoltées ».
Partant, le TAF juge que les données litigieuses tombent bel et bien sous la protection du secret fiscal comme exception au principe de transparence selon l’art. 4 let. a LTrans, s’opposant ainsi à la demande d’accès et donnant raison aux recourants. Avec cette conclusion, le TAF n’a pas jugé nécessaire d’aborder la question de la protection des données personnelles de l’art. 9 LTrans renvoyant à l’art. 19 LPD.
La SPM a attaqué la décision devant le Tribunal fédéral, le recours étant pendant.
Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral s’est prononcé différemment sur l’obligation de garder le secret de l’art. 86 LPP (cf. swissprivacy.law/134/). Il a conclu que cette obligation n’était pas une disposition spéciale selon l’art. 4 let. a LTrans et donc ne pouvait être considérée comme une exception au principe de transparence.
Un commentaire de l’arrêt est également disponible sur cdbf.ch.
Proposition de citation : David Dias Matos, Le secret fiscal comme exception à la transparence, 12 juin 2022 in www.swissprivacy.law/151
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