Drone à 30 m de hauteur qui ne fait que retransmettre en direct sans enregistrer : données personnelles ?
Arrêt OG-ZH UE200430‑O/U/MUL du 26 novembre 2021
Alors que B fait l’objet d’une interdiction de périmètre visant à protéger A (« Hausverbot »), il fait voler un drone au-dessus de la propriété de cette dernière le 18 avril 2020 entre 16 heures et 16 heures 30 à tout le moins.
Le 10 juillet 2020, A dépose plainte pénale contre B, invoquant ainsi les art. 179quater CP et 34 al. 1 let. b LPD notamment. Le 2 décembre suivant, le ministère public refuse d’entrer en matière et A forme alors recours devant l’Obergericht zurichois qui se prononce dans son arrêt sur la notion de « données personnelles » à l’occasion d’un vol de drone.
L’établissement des faits est tout d’abord litigieux, car les parties divergent sur la hauteur à laquelle le drone volait. Selon B, elle se situerait entre 30 et 40 m et à hauteur de pignon pour la recourante. Contrairement à ce qu’allègue cette dernière toutefois, le manuel d’utilisation du drone ne permet pas de retenir qu’il ne pouvait voler au-dessus de 30 m. Aucun autre élément de preuve qu’elle avance n’est à même d’établir un vol d’une hauteur inférieure. C’est donc à juste titre que le Ministère public s’est reposé sur une hauteur de vol de 30 m en tout cas pour apprécier juridiquement le cas d’espèce.
L’Obergericht examine ensuite les éléments constitutifs des deux infractions précitées.
Premièrement, l’art. 34 al. 1 let. b LPD rend punissable, sur plainte, le fait pour une personne privée d’intentionnellement omettre d’informer la personne concernée au sens de l’art. 14, al. 1 et 2, LPD. Cette dernière fait obligation au maître de fichier d’informer la personne concernée de toute collecte de données sensibles ou de profils de la personnalité la concernant, que la collecte soit effectuée directement auprès d’elle ou auprès d’un tiers (al. 1). De même, il doit l’informer à tout le moins de l’identité du maître du fichier, des finalités du traitement pour lequel les données sont collectées et des catégories de destinataires des données si la communication des données est envisagée (al. 2).
En l’espèce, l’Obergericht souligne que la Loi sur la protection des données ne s’applique que s’il existe un fichier au sein duquel figurent des personnes identifiables. Or lors d’un vol de drone à une hauteur de 30 m au moins, on ne peut s’attendre à ce que les personnes au sol soient reconnaissables ou identifiables sur les images retransmises en direct ou, cas échéant, les vidéos ou photos éventuellement conservées. Du reste, la police n’en a pas trouvées lors de l’inspection du drone.
Dès lors, les images retransmises en direct au pilote du drone, mais qui n’ont pas été conservées, ne constituent pas un fichier au sens de la Loi sur la protection des données et cela indépendamment du fait que la recourante ait été reconnaissable ou identifiable sur ces images. Partant, l’infraction n’est pas réalisée.
Deuxièmement, l’art. 179quater CP réprime, sur plainte, « celui qui, sans le consentement de la personne intéressée, aura observé avec un appareil de prise de vues ou fixé sur un porteur d’images un fait qui relève du domaine secret de cette personne ou un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci ». L’expression « fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et relevant du domaine privé » englobe les faits relatifs aux conditions de vie d’une personne dont seul un cercle restreint de personne peut prendre connaissance.
L’Obergericht reprend le même développement supra par rapport à l’absence de reconnaissabilité ou de la possibilité d’identifier les personnes au sol en présence d’images d’un drone à 30 m de hauteur. Qui plus est, A ne précise pas quels faits relevant de son domaine secret ou privé auraient été observés ou enregistrés par B. Cette autre infraction n’est donc pas réalisée non plus.
En définitive, le recours est rejeté.
Les raisonnements juridiques tenus par l’Obergericht sont critiquables sous deux aspects différents.
Premièrement, l’Obergericht retient que les images transmises en direct à un pilote de drone, mais qui ne sont pas conservées, ne constituent pas un fichier au sens de l’art. 3 let. g LPD. Le raisonnement de l’Obergericht ne prend pas en compte l’avis de la doctrine majoritaire qui estime que cette notion doit être interprétée largement et n’a plus réellement de sens. En effet, l’élément décisif pour retenir l’existence d’un fichier est que le rattachement d’une donnée à une personne n’entraîne pas d’efforts disproportionnés, ce qui est le cas in casu. À cela s’ajoute le fait que la notion de fichier n’est d’aucune utilité pratique, puisque la LPD s’applique indépendamment de l’existence d’un fichier, notion qui ne figure qu’au sein d’une minorité d’articles (art. 8 ou 11a LPD) et qui sera supprimée lors de l’entrée en vigueur de la nLPD. De plus, l’un des critères essentiels à l’application de la LPD est l’existence d’un traitement au sens de l’art. 3 let. e LPD.
Le simple fait pour un drone d’être équipé d’une caméra permettant au pilote d’avoir en temps réel un flux d’images sur son écran est suffisant pour tomber dans la notion de traitement si des personnes identifiées et identifiables figurent sur les images. Retenir l’inverse reviendrait à admettre qu’une caméra de vidéosurveillance qui se cantonne à filmer en temps réel son champ de vision, sans enregistrer aucune image, ne tombe pas dans la notion de traitement. Cela aurait pour conséquence indésirable de limiter drastiquement le champ d’application de la LPD au cas de la vidéosurveillance, ouvrant ainsi la porte à des dérives.
Deuxièmement, l’Obergericht est d’avis que lors d’un vol de drone à une hauteur de 30 m au moins, on ne peut s’attendre à ce que les personnes au sol soient reconnaissables ou identifiables sur les images retransmises en direct ou, cas échéant, les vidéos ou photos éventuellement conservées. L’Obergericht nous paraît bien trop péremptoire sur cette question, en faisant fi des technologies qu’un drone peut embarquer. Certains drones peuvent être équipés de caméras avec une puissante technologie de zoom. Le caractère identifiable aurait dû ainsi être analysé selon les circonstances d’espèce, et en particulier, selon les indications fournies au sein du manuel d’utilisation.
L’utilisation de drone à des fins professionnelles par des privés ou des organes fédéraux et/ou cantonaux s’est démocratisée au fil des dernières années, au même titre que les usages récréatifs. En raison de l’utilisation croissante des drones, de leur mobilité et de leur discrétion, les autorités – européennes et suisses – de protection des données ont déjà émis plusieurs opinions mettant en exergue les défis soulevés en matière de respect de la vie privée et de la protection des données lors du recours à des drones.
Ainsi, la CNIL a sanctionné dans une délibération les autorités françaises pour leur usage de drones équipés de caméras aux fins de la surveillance du respect des mesures de confinement, en retenant l’existence d’un traitement illicite de données personnelles.
Le Contrôleur européen à la protection des données a souligné, dans le cadre d’un avis, que les drones, de par leur capacité à être associé à d’autres technologies (p. ex. caméras, capteurs WiFi, microphones, capteurs biométriques, systèmes GPS, systèmes de lecture des adresses IP, systèmes de suivi par technologie RFID), offrent toute la possibilité de traiter des données personnelles, mais aussi de concevoir des outils de surveillance puissants nécessitant d’être encadré.
Le PFPDT dédie pour sa part une page spécifique à la question de la vidéosurveillance dans le domaine privé effectué par les caméras embarquées sur des drones. Plus récemment, l’autorité irlandaise de protection des données a eu l’occasion de mettre à jour son guide sur l’utilisation de drone.
La question de l’utilisation croissante des drones et des tensions créés par rapport à la sphère privée a également été traitée dans le cadre d’une thèse de doctorat publiée en open access, cf. David Henseler, Datenschutz bei drohnengestützter Datenbearbeitung durch Private, Zurich 2020.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani / Livio di Tria, Drone à 30 m de hauteur qui ne fait que retransmettre en direct sans enregistrer : données personnelles ?, 30 juin 2022 in www.swissprivacy.law/155
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