Accès à un dossier d’asile archivé à un but scientifique
Arrêt TF 1C_117/2021 du 1er mars 2021*
Un doctorant rédige une thèse sur la politique d’asile en Suisse dans les années 1980 et 1990. Dans ce cadre, il s’est intéressé à un demandeur d’asile particulier, originaire du Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo). Il a, sans succès, sollicité l’accès à plusieurs dossiers du Secrétariat d’État aux migrations auprès des Archives fédérales. La décision de refus a été confirmée par le Tribunal administratif fédéral (TAF C‑115/2019 du 21 janvier 2021) et le doctorant dépose un recours.
Selon le Tribunal fédéral, toute personne a le droit de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser en application de l’art. 16 al. 3 Cst. L’accessibilité des sources dépend des définitions qui se trouvent dans la législation. En l’espèce, le dossier sollicité est classé aux Archives fédérales. En application de l’art. 9 al. 1 de la Loi fédérale sur l’archivage (LAr), les archives de la Confédération peuvent être consultées gratuitement par le public, à l’expiration d’un délia de protection de 30 ans. Toutefois, conformément à l’art. 11 al. 1 LAr, les archives classées par nom de personnes sont soumises à un délai de protection de 50 ans.
L’instance précédente a refusé le droit d’accès, car le dossier sollicité était classé par nom de personne et ainsi soumis à un délai de protection de 50 ans. Elle a refusé d’appliquer une exception puisque des intérêts privés prépondérants s’opposaient à la consultation, étant en outre précisé que d’un point de vue scientifique la consultation n’était pas obligatoire.
Le recourant ne conteste plus le calcul du délai de 50 ans et renonce à se prévaloir du consentement de la personne visée, qui était incomplet. Le décès de cette dernière n’a en outre aucun effet sur le litige. En revanche, le recourant conteste que la personne visée n’ait pas été reconnue comme personne appartenant à l’histoire contemporaine pour lesquelles aucun intérêt privé ne peut être opposé à la consultation des archives (art. 18 al. 4 OLAr). Selon le Tribunal, le fait que « l’affaire » de cette personne soit connue de certains cercles ne permet toutefois pas de retenir qu’il s’agit d’une personne appartenant à l’histoire contemporaine.
Enfin, le recourant se plaint d’une violation de l’art. 13 al. 1 let. b LAr, à teneur duquel la consultation peut être autorisée lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant, digne de protection, ne s’y oppose. Le Tribunal fédéral relève tout d’abord que la LAr ne connaît pas de privilège scientifique, lequel serait impossible à vérifier objectivement. Il juge néanmoins que la pesée des intérêts de l’instance précédente doit être renversée. D’une part, de nombreuses informations sur la personne concernée sont déjà publiques, notamment par la publication d’une autobiographie. D’autre part, l’examen de faits historiques est un élément qui doit être pris en compte dans la pesée des intérêts.
Au vu de ces éléments, l’accès aux archives doit être accordé et le recours est donc admis.
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral fait primer l’intérêt à la recherche sur un intérêt privé au secret. Bien qu’il indique qu’il n’existe pas de droit au privilège scientifique dans la Loi sur l’archivage, on notera que ce dernier a néanmoins une importance non négligeable dans la pesée des intérêts.
Relevons ainsi, à titre de comparaison, que le Tribunal fédéral avait refusé le droit d’accès à des journalistes à une affaire pénale classée en faisant primer l’intérêt privé à la protection dans un tel cas (ATF 147 I 463 : refus de donner l’accès à un média à un dossier pénal terminé dans le canton de Saint-Gall nonobstant le grand intérêt médiatique pour l’affaire). Il avait par ailleurs refusé à un journaliste, qui devait donner un cours, l’accès à un ancien jugement pénal complet d’une personnalité publique au motif qu’il convenait de protéger la personnalité du condamné, mais aussi en raison de l’activité du journaliste dans l’affaire en question où il avait œuvré comme conseiller en communication (TF 1C_616/2018 du 11 septembre 2019 : in forumpoenale 2/2020, 97 ss). Or dans l’arrêt commenté ici, le recourant n’avait aucun intérêt personnel ou médiatique à l’affaire, mais bien uniquement scientifique. On sent que le Tribunal fédéral en a tenu compte.
S’il n’existe ainsi pas formellement de privilège scientifique, ce dernier a néanmoins une importance essentielle dans la pesée des intérêts. C’est à saluer pour la recherche scientifique.
Proposition de citation : Stéphane Grodecki, Accès à un dossier d’asile archivé à un but scientifique, 16 mai 2022 in www.swissprivacy.law/146
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