Le droit d’accès à l’origine de ses données personnelles
Le 28 novembre 2019, le plaignant reçoit dans sa boîte électronique la newsletter de l’entreprise danoise Pixojet, spécialisée dans la vente de matériel de bureau, et appartenant à Orbit Group ApS. Surpris, le plaignant demande à Pixojet de lui indiquer par qui l’entreprise avait obtenu son adresse électronique.
L’entreprise informe le plaignant que celui-ci s’est inscrit à la newsletter en question, ce à quoi il rétorque n’en avoir aucun souvenir et qu’il ne lui semble pas avoir procédé à cette inscription de lui-même. Il demande alors à l’entreprise de lui indiquer la date de son inscription.
En l’absence de réponse de Pixojet, le plaignant relance l’entreprise le 2 décembre 2019. Le service clientèle lui répond à nouveau que celui-ci s’est enregistré à la newsletter, sans pouvoir concrètement le démontrer. L’entreprise l’informe toutefois l’avoir supprimé de son système de diffusion.
Insatisfait de la réponse de l’entreprise, notamment car le plaignant prétend ne jamais avoir entendu parler de Pixojet avant de recevoir la newsletter en question, et soupçonnant que son adresse électronique pourrait avoir été divulguée par un tiers traitant ses données personnelles, le plaignant soumet son cas à l’Autorité norvégienne de protection des données, qui transmet l’affaire à la Datatilsynet (autorité danoise de protection des données) en sa qualité d’autorité chef de file (art. 56 RGPD).
La réflexion de la Datatilsynet
Bien que le plaignant ait spécifiquement concentré sa demande d’accès sur la provenance de son adresse électronique au sein de la liste de diffusion de Pixojet, la plainte telle qu’introduite auprès de la Datatilsynet est analysée de manière générale à l’aune du droit d’accès à ses données personnelles comme prescrit par l’art. 15 RGPD.
Selon l’art. 15 par. 1 RGPD, toute personne a le droit d’obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu’elles le sont, l’accès auxdites données à caractère personnel, ainsi que l’accès à certaines informations (art. 15 par. 1 let. a‑h RGPD). Les modalités de l’exercice du droit d’accès sont réglées par l’art. 12 RGPD.
Tel que formulé, le droit d’accès se décompose entre un droit de savoir (toute personne ayant le droit d’obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées) et un droit d’être renseigné (toute personne ayant le droit d’obtenir du responsable du traitement l’accès aux données à caractère personnel, ainsi que l’accès à certaines informations complémentaires).
Lorsque les données personnelles ne sont pas collectées auprès de la personne concernée, le responsable du traitement doit, dans le cadre d’une demande de droit d’accès, transmettre à la personne concernée toute information disponible quant à leur source conformément à l’art. 15 par. 1 let. g RGPD. Selon le considérant 61 du RGPD, lorsque l’origine des données ne peut pas être communiquée, notamment parce que plusieurs sources ont été utilisées, des informations générales doivent toutefois être fournies.
Dans le cas d’espèce, la Datatilsynet constate que l’entreprise a traité de manière convenable la demande de droit d’accès du plaignant. Elle souligne toutefois que le traitement de données doit respecter les principes de la protection des données et reposer sur l’une des conditions prescrites par l’art. 6 RGPD.
En ce qui concerne la transmission au plaignant de toute information disponible quant à la provenance des données, la Datatilsynet est d’avis, sur la base des pièces versées au dossier, qu’il n’y a pas lieu de supposer que Pixojet dispose d’informations supplémentaires. Ainsi, le seul fait d’informer la personne concernée qu’elle s’est inscrite elle-même à la newsletter permet d’assurer le respect du droit d’accès à l’origine des données tel que formulé par l’art. 15 par. 1 let. g RGPD.
Note
Nous ne cesserons pas de le répéter, mais le droit d’accès est une institution fondamentale de la protection des données. Le droit d’accès permet d’assurer la transparence des données et garantit aux personnes concernées la possibilité de garder une maîtrise sur les données les concernant. En outre, l’absence du droit d’accès compliquerait sérieusement l’exercice d’autres droits découlant des législations sur la protection des données.
Si les principes théoriques du droit d’accès sont relativement clairs, celui-ci suscite en pratique de nombreux questionnements : le responsable du traitement doit-il transmettre toute documentation qui peut contenir des données personnelles ? Quel est le périmètre des recherches à entreprendre par le responsable du traitement ? Dans quel cas la demande d’accès exige des efforts disproportionnés ?
La question du périmètre des recherches à entreprendre par le responsable du traitement afin de répondre à une demande de droit d’accès est particulièrement complexe et elle doit être décortiquée sous plusieurs aspects. Par exemple, doit-on attendre du responsable du traitement qu’il entreprenne les mêmes recherches en ce qui concerne des données traitées dans un format électronique ou dans un format physique ?
La décision de la Datatilsynet a le mérite d’amener de la clarté sur la question de la transmission à la personne concernée d’information quant à la source des données personnelles. À ce titre, il faut retenir qu’il n’est pas possible d’exiger du responsable du traitement une recherche disproportionnée (ATF 147 I 407 et TF 4A_277/2020 du 18 novembre 2020) et que le simple fait d’indiquer à une personne qu’elle s’est inscrite d’elle-même à une newsletter est suffisant.
À souligner que dans le cas de la transmission de données personnelles d’un responsable du traitement à un tiers (p. ex., si un créancier transmet à une agence de renseignements de solvabilités des données personnelles), le Comité européen de la protection des données est d’avis, conformément à ses Recommandations 01/2022 sur l’exercice du droit d’accès, que le tiers est tenu, pour autant que cela n’entraîne pas de recherches disproportionnées, d’indiquer à la personne concernée le nom de la personne ayant communiqué ses données personnelles.
Sous l’angle du droit suisse, nous soulignons que le droit d’accès est construit de manière identique qu’en droit européen. L’art. 8 LPD prévoit également un droit de savoir et un droit d’être renseigné. En particulier, l’art. 8 al. 2 let. a LPD dispose que le responsable du traitement doit communiquer toute information disponible sur l’origine des données.
Cette mention sur l’origine des données ne figurait initialement pas dans la LPD. Elle a été rajoutée en 2006 par le législateur à des fins de transparence, celui-ci estimant qu’un requérant peut avoir un intérêt légitime à remonter à la source de la collecte des données (FF 2003 1915, 1946), par exemple pour constater si une communication de données a eu lieu (et si elle est licite) ou éventuellement pour faire rectifier les données en question auprès de la source.
Finalement, signalons que la remise d’information sur l’origine des données perdura à l’aune de la nLPD, malgré des modifications rédactionnelles. L’art. 25 al. 2 let. e nLPD dispose que le responsable du traitement doit dans tous les cas informer la personne concernée sur l’origine des données personnelles, dans la mesure où ces données n’ont pas été collectées auprès de la personne.
Proposition de citation : Livio di Tria, Le droit d’accès à l’origine de ses données personnelles, 15 juin 2022 in www.swissprivacy.law/152
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