Nature administrative ou juridictionnelle de la Commission arbitrale fédérale pour la gestion de droits d’auteur ?
ATF 148 II 92 du 22 octobre 2021
La Commission arbitrale fédérale pour la gestion de droits d’auteur et de droits voisins (CAF) a approuvé en 2016 le nouveau Tarif Commun 7 (TC 7) que cinq sociétés de gestion lui ont soumis.
De manière générale, un tarif commun est lié à l’art. 19 LDA concernant l’utilisation d’œuvres à des fins privées. Cet article prévoit des restrictions aux droits d’auteur, en particulier lorsqu’un maître et ses élèves utilisent une œuvre à des fins pédagogiques (art. 19 al. 1 let. b LDA). En contrepartie de cette utilisation, une redevance doit être payée (art. 20 al. 2 LDA). Cette dernière n’est pas perçue par l’auteur mais par une société de gestion agréée (art. 20 al. 4 LDA). Le tarif est négocié entre d’une part les sociétés de gestion, qui forment une communauté tarifaire (art. 47 LDA) et d’autre part les associations représentatives des utilisateurs (art. 46 LDA). Le TC 7 concerne les redevances pour l’utilisation d’œuvres dans le cadre scolaire.
L’intimé demande accès auprès de la CAF aux documents faisant état des négociations visant à établir le TC 7 entre les sociétés de gestion et les associations représentatives d’utilisateurs. Malgré une procédure de médiation par devant le PFPDT et une recommandation de ce dernier favorable à l’accès, la CAF rend une décision le refusant.
Le Département fédéral de justice et police (DFJP), agissant devant le Tribunal fédéral pour le compte de la CAF, avance que cette dernière est une autorité judiciaire et ne fait ainsi pas partie de l’administration fédérale. La CAF serait ainsi en dehors du champ d’application de la LTrans, c’est pourquoi il n’a pas été donné suite à la demande d’accès aux documents officiels.
Saisi du recours, le Tribunal fédéral examine la nature juridique de la CAF et le champ d’application de la LTrans. Il rappelle tout d’abord le principe de la transparence de l’administration érigé par la LTrans et la présomption de libre accès aux documents officiels.
Le Tribunal fédéral examine ensuite en détail les champs d’application personnel et matériel de la LTrans (art. 2 et 3 LTrans) afin de déterminer si la CAF est soumise à ses dispositions. Le champ d’application personnel doit être analysé en premier (art. 2 LTrans).
Le Tribunal fédéral fait état d’une jurisprudence fluctuante et d’avis de doctrine divergents quant à la nature juridictionnelle ou administrative de la CAF. L’arrêt circonscrit cependant son analyse aux circonstances d’espèce. Il analyse uniquement en quelle qualité la CAF intervient lorsqu’elle approuve un tarif dit « d’entente », c’est à dire pour lequel les sociétés de gestion et les associations d’utilisateurs se sont mises d’accord.
Au vu des révisions législatives ayant eu lieu depuis l’adoption de la LTrans, le Tribunal fédéral indique qu’il ne faut plus se baser sur le Message du Conseil fédéral y relatif (FF 2003 1807), qui se réfère à du droit actuellement abrogé. Il indiquait que la transparence ne s’appliquait pas aux commissions de recours et d’arbitrage au sens des art. 71a ss aPA. Ces institutions n’existent actuellement plus, ce qui explique pourquoi il serait erroné de se référer en l’espèce au Message de la LTrans à ce sujet.
L’OLOGA indique quelle est la nature de la CAF. Elle est une commission extraparlementaire faisant partie de l’administration fédérale décentralisée, rattachée au Département fédéral de justice et police (DFJP) (art. 7a al. 1 let. a, 8 al. 2 et annexe 2 ch. 2 OLOGA). Elle n’a donc aucun lien avec le pouvoir judiciaire et, à défaut d’une lex specialis en matière de consultation (tel que cela existe par exemple aux art. 28 LTF et 64 RTF), la CAF est une autorité administrative fédérale soumise à la LTrans (art. 2 al. 1 let. a LTrans).
S’agissant du champ d’application matériel, le Tribunal fédéral indique que depuis la réforme de la justice de 2007, le statut de la CAF a pu être quelque peu clarifié. Auparavant, les décisions d’approbation de la CAF pouvaient faire l’objet d’un recours directement devant le Tribunal fédéral. Depuis, le TAF a été créé et est désormais l’autorité de recours contre les décisions de la CAF (art. 33 LTAF et 74 LDA). Cela permet de démontrer que la CAF n’est pas une autorité de recours, ce qui donne un argument de moins à sa prétendue nature juridictionnelle.
Le Tribunal fédéral rappelle que les procédures judiciaires ont pour but de résoudre les conflits entre parties. Or, dans le cas d’espèce, les sociétés de gestion et les associations d’utilisateurs sont parvenues à un accord sur les tarifs et aucun membre de la CAF n’a demandé la convocation d’une sé. La CAF a simplement approuvé le tarif par voie de circulation (art. 11 ODAu). Il ne s’agit donc pas d’une procédure juridictionnelle (art. 3 al. 1 let. a ch. 5 LTrans).
Ainsi, la procédure d’approbation des tarifs « d’entente » par la CAF est soumise à la LTrans. La demande d’accès aux documents officiels ne pouvait donc pas être refusée pour des motifs ayant trait au champ d’application de la LTrans.
Avec cet arrêt, le Tribunal fédéral réaffirme le principe de la transparence dans l’administration. Il s’agit de la première fois qu’il se prononce sur la nature juridique de la CAF et sur celle de la procédure d’approbation des frais depuis la réforme de la justice. Les précisions relatives à l’évolution du droit sont bienvenues à cet égard. La question de la transparence dans la procédure d’approbation des frais reste encore toutefois partiellement incertaine. En effet, le Tribunal fédéral laisse ouverte la question de savoir si la CAF agit en tant qu’autorité juridictionnelle lorsque les sociétés de gestion et les associations représentatives des utilisateurs ne sont pas parvenues à s’entendre. De plus, il n’indique pas non plus si son raisonnement aurait été le même si l’un des membres de la CAF avait demandé à ce qu’une séance soit convoquée, la décision n’aurait dans ce cas alors pas été prise par voie de circulation.
Proposition de citation : Alexandre Barbey, Nature administrative ou juridictionnelle de la Commission arbitrale fédérale pour la gestion de droits d’auteur ?, 6 septembre 2022 in www.swissprivacy.law/169
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