Retrait du consentement : Mesures à prendre
Arrêt CJUE C‑129/21 du 27 octobre 2022
Faits
Proximus est un fournisseur de services de télécommunication en Belgique comprenant des annuaires et des services de renseignements accessibles au public. Ces annuaires comportent le nom, l’adresse et le numéro de téléphone des abonnés des différents opérateurs de services téléphoniques.
Ces coordonnées sont communiquées régulièrement à Proximus par les opérateurs, à moins que les abonnés n’aient exprimé le souhait de ne pas figurer dans les annuaires édités par Proximus. L’entreprise belge transmet également les coordonnées qu’elle reçoit à un autre fournisseur d’annuaires.
Dans cette affaire, le plaignant est un abonné de l’opérateur Télénet. Cet opérateur ne fournit pas d’annuaire, mais transmet les coordonnées de ses abonnés à Proximus.
Le 13 janvier 2019, le plaignant demande à Proximus tant de ne pas faire figurer ses coordonnées dans les annuaires édités par celle-ci que de ne pas les transmettre à des tiers. Suivant la demande, Proximus modifie le statut de cet abonné afin que ses coordonnées ne soient plus publiques.
Par la suite, Proximus reçoit de la part de Télénet la mise à jour périodique des données de ses abonnés, contenant les coordonnées du plaignant sans aucune mention de confidentialité. Ces données figurent alors à nouveau dans l’annuaire de Proximus.
Le 14 août 2019, le plaignant réitère sa demande à Proximus. Cette dernière l’informe immédiatement qu’elle avait supprimé ses données des annuaires et contacté Google pour que les liens vers son site web soient supprimés. L’entreprise belge informe également l’abonné qu’elle avait transmis ses coordonnées à des tiers et qu’elle les avait informés.
Dans le même temps, l’abonné concerné a déposé une plainte auprès de l’Autorité belge de protection des données (APD) contre Proximus. L’APD a alors imposé à Proximus des mesures correctives et lui a imposé une amende de EUR 20’000.- pour violation du RGPD.
Proximus a fait appel de la décision devant la Cour d’appel de Bruxelles qui a interpellé la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) de questions préjudicielles.
Arrêt de la CJUE
Tout d’abord, la Cour d’appel demande si l’art. 12 par. 2 de la directive 2002/58/CE, en combinaison avec son art. 2 let. f et l’art. 95 RGPD, permet à une autorité de contrôle nationale d’exiger le « consentement », au sens du RGPD, d’un abonné pour la publication de ses données personnelles dans les annuaires et services de renseignements téléphoniques accessibles au public pour l’opérateur et des fournisseurs tiers.
Premièrement, pour la CJUE, le consentement, au sens de l’art. 4 ch. 11 RGPD, de l’abonné d’un opérateur de services téléphoniques est exigé afin que les données personnelles de cet abonné figurent dans des annuaires publiés par des fournisseurs autres que cet opérateur.
Partant, l’abonné doit être dûment informé des finalités pour lesquelles les annuaires sont établis et de toute utilisation particulière qui peut en être faite. En lien avec l’art. 12 par. 1 de la directive 2002/58, l’obligation d’informer s’étend aussi en cas de transmission de données à un ou plusieurs tiers. Dans ce cas, l’abonné devrait être informé de cette possibilité ainsi que des destinataires ou catégories de destinataires éventuels (sur la question, cf. swissprivacy.law/179).
La CJUE va même plus loin en rappelant sa jurisprudence (cf. arrêt CJUE C‑543/09 du 5 mai 2011) que :
« le consentement (…) porte sur la finalité de la publication des données personnelles dans un annuaire public, et non sur l’identité d’un fournisseur d’annuaire en particulier. (…) De ce fait, [l’abonné] n’aura généralement pas d’intérêt à s’opposer à la publication des mêmes données dans un autre annuaire similaire ».
Ainsi, une transmission de données personnelles des abonnés à des tiers est permise sur la base de ce même consentement :
« s’il est garanti que les données ne pourront pas être utilisées à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été collectées ».
Par conséquent, un tel consentement ne suppose pas que, à la date où il est donné, la personne concernée connaisse nécessairement l’identité de tous les fournisseurs d’annuaires qui traiteront ses données personnelles. Une telle communication ultérieure ne devra pas faire l’objet d’un nouveau consentement. Celui-ci peut être fourni soit au propre opérateur, soit à l’un de ses partenaires
Dans un deuxième temps, la CJUE estime que lorsqu’un abonné demande à ce que ses données ne figurent plus dans un annuaire, celui-ci retire de facto son consentement à la publication de ses données. En l’absence d’autres fondements juridiques au traitement, ce retrait constitue un recours au « droit à l’effacement » des données personnelles de cet annuaire, selon l’art. 17 par. 1 let. b RGPD et let. d en cas de traitement illicite (cf. aussi CEPD, Lignes directrices 05/2020, p. 117 ss).
Troisièmement, la CJUE juge qu’un tel responsable du traitement doit mettre en œuvre les mesures techniques et organisationnelles appropriées pour informer les autres fournisseurs d’annuaires auxquels il a fourni de telles données du retrait du consentement de la personne concernée. Ce même responsable doit aussi informer l’opérateur qui lui a communiqué ces données afin que celui-ci prenne les dispositions nécessaires. Cette obligation pour le responsable du traitement découle des art. 5 par. 2 et 24 RGPD.
La CJUE explique que lorsque différents responsables du traitement se fondent sur un consentement unique pour traiter des données personnelles dans une même finalité, il suffit que la personne concernée s’adresse à l’un d’eux pour retirer son consentement. Il n’est par conséquent pas nécessaire qu’elle s’adresse à la personne qui l’a initialement recueilli. L’obligation d’informer les autres responsables incombera alors au responsable informé du retrait (art. 24 RGPD). À leur tour, ces responsables de traitement devront transmettre l’information à ceux à qui ils ont eux-mêmes communiqué les données.
Finalement, la CJUE conclut que l’art. 17 par. 2 RGPD permet à une autorité de contrôle nationale d’ordonner à un fournisseur d’annuaires, auquel un abonné lui a demandé de ne plus publier des données le concernant, de prendre des « mesures raisonnables » afin d’informer les moteurs de recherche de cette demande d’effacement. De surcroît, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, les fournisseurs de moteur de recherche sont aussi des responsables du traitement de données personnelles au sens de l’art. 4 par. 7 RGPD (cf. arrêt CJUE C‑136/19 du 24 septembre 2019, point 35).
Conclusion
Il est important de relever que l’affaire est spécifique à ses faits, la publication de données personnelles dans un annuaire public fait l’objet d’un régime particulier exigeant un consentement selon l’art. 12 de la directive e‑Privacy. À noter que la directive ePrivacy est aujourd’hui encore soumise à un processus de révision (cf. swissprivacy.law/60).
Cependant, la CJUE donne un aperçu intéressant des obligations qu’elle considère comme s’appliquant aux responsables du traitement. Une personne concernée fait une demande d’effacement en retirant son consentement au traitement des données personnelles. Pour ce faire, la personne concernée peut s’adresser à n’importe quel responsable de la « chaîne ». Le responsable du traitement doit alors prendre des mesures pour le notifier tant aux responsables à qui il aurait communiqué ces données, qu’à ceux qui les lui ont transmises.
Proposition de citation : David Dias Matos, Retrait du consentement : Mesures à prendre, 26 novembre 2022 in www.swissprivacy.law/185
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