La communication de données à des partis politiques par le Contrôle des habitants des communes vaudoises
Contrôle des habitants et communication de données entre autorités
Le Contrôle des habitants des communes (le Contrôle des habitants) a pour tâche d’enregistrer les données des habitants, ainsi que les arrivées, les départs et toutes les mutations conformément à la Loi fédérale du 23 juin 2006 sur l’harmonisation de registres (LHR ; RS 431.02). Pour ce faire, chaque Contrôle des habitants tient un registre dans lequel figure au minimum les données listées à l’art. 6 LHR, telles que l’adresse, la date de naissance, les lieux d’origine, le sexe, l’état civil, mais aussi l’appartenance à une communauté religieuse ou encore le droit de vote et l’éligibilité aux niveaux fédéral, cantonal et communal. Le registre des habitants se doit d’être la photographie la plus exacte possible de la population se trouvant sur le territoire communal.
L’enregistrement des données au sein du registre des habitants doit permettre aux autres administrations publiques d’accomplir leurs tâches, ce qui implique nécessairement une communication de données. En droit vaudois, la communication de données par une entité soumise à la Loi vaudoise du 11 septembre 2007 sur la protection des données personnelles (LPrD ; 172.65) doit se faire conformément aux conditions prescrites par l’art. 15 LPrD. De manière non exhaustive, les données personnelles peuvent être communiquées lorsque :
- une base légale le prévoit (let. a) ;
- le requérant établit qu’il en a besoin pour accomplir ses tâches légales (let. b) ; ou
- le requérant – privé – justifie d’un intérêt prépondérant à la communication primant celui de la personne concernée à ce que les données ne soient pas communiquées (let. c).
Il est à ce titre expressément prévu par la Loi vaudoise du 9 mai 1983 sur le contrôle des habitants (LCH ; BLV 142.01) que le Contrôle des habitants fournit aux administrations publiques qui en ont le besoin dans l’accomplissement de leurs tâches les données gérées dans son registre. La communication de données entre le Contrôle des habitants d’autres autorités repose principalement sur la Loi d’application vaudoise du 2 février 2010 sur l’harmonisation des registres des habitants et d’autres registres officiels de personnes (LVLHR ; BLV 431.02) conformément à l’art. 21 al. 3 LCH.
Autorités : seules bénéficiaires de la communication de données ?
Le Contrôle des habitants a été institué pour répondre aux besoins de la collectivité publique. Cela implique qu’il doit pouvoir rendre service tant aux autorités qu’aux particuliers, ces derniers pouvant également avoir besoin de certaines données à des fins déterminées. Il est souligné au sein de l’Exposé des motifs et du projet de loi sur le contrôle des habitants du 4 mai 1983 que chacun peut avoir un intérêt à vérifier ou à retrouver l’adresse d’autrui, ainsi que d’autres données détenues par le Contrôle des habitants. Une réserve doit cependant être prévue en ce qui concerne la communication systématique de données. En synthèse, les autorités ne sont ainsi pas les seules à pouvoir être au bénéfice d’une communication de données enregistrées par le Contrôle des habitants.
Pour répondre aux besoins de la collectivité publique, les art. 22 et 22a LCH autorisent la communication de données aux particuliers (p. ex. particuliers, organismes privés, etc.), ainsi qu’aux communautés religieuses (p. ex. l’Église évangélique réformée, la Fédération ecclésiastique catholique romaine ou la Communauté israélite de Lausanne). Les règles relatives à la communication diffèrent selon qu’elle s’opère au bénéfice de particuliers (art. 22 al. 1 LCH) ou d’organismes privés comme les partis politiques (art. 22 al. 3 LCH). Les règles relatives à la communication de données ont été précisées dans le cadre du Guide pratique : La protection des données s’invite au Contrôle des habitants publié le 27 novembre 2017.
Communication de données
(i) À des particuliers (art. 22 al. 1 LCH)
Conformément à l’art. 22 al. 1 LCH, le Contrôle des habitants est autorisé à renseigner les particuliers sur l’état civil, la date de naissance, l’adresse et l’adresse postale complète, les dates d’arrivées et de départ, le précédent lieu de séjour et la destination d’une personne nommément désignée. Seules les données listées à l’art. 22 al. 1 LCH peuvent être communiquées à un particulier. La demande doit porter sur une personne nommément désignée. Il est donc impossible par exemple de requérir les données de tous les résidents d’un même immeuble locatif. Il est encore à noter que l’art. 22 al. 2 LCH interdit pour sa part la communication systématique de données à des fins commerciales ou publicitaires.
Si le Contrôle des habitants a la possibilité de transmettre aux particuliers les données susmentionnées, il n’y est cependant pas obligé. En effet, une pesée des intérêts doit être effectuée au cas par cas. Le Contrôle des habitants peut notamment refuser la communication des données lorsqu’il apparaît vraisemblable que celle-ci engendrerait un risque pour la personne concernée (p. ex. harcèlement) ou lorsque la personne a demandé la confidentialité de ses données auprès du Contrôle des habitants (celle-ci devant être motivée).
(ii) À des organismes privés (art. 22 al. 3 LCH)
L’art. 22 al. 3 LCH prévoit notamment que la Municipalité peut autoriser la transmission de données à des organismes privés pour permettre la réalisation de travaux d’intérêt général. Contrairement au cas de la communication de données à des particuliers, il n’est pas nécessaire pour l’organisme privé de désigner nommément les personnes. Cela implique de facto qu’un organisme privé pourrait obtenir des listes d’adresses. À cet égard, précisons que seule la Municipalité est compétente pour autoriser ou non la transmission des données. Sur ce dernier point, seules les données listées à l’art. 22 al. 1 LCH peuvent être communiquées.
Ni la notion d’organisme privé ni la notion de travail d’intérêt général ne sont définies par la loi. Selon nous, la notion d’organisme privé doit s’interpréter au sens large. En ce qui concerne la notion de travail d’intérêt général, le Guide pratique précité donne quelques exemples. Le recrutement de nouveaux membres ou la collecte de fonds ne peuvent ainsi pas être compris comme poursuivant un travail d’intérêt général. À l’inverse, pourrait être compris comme poursuivant un travail d’intérêt général l’envoi de documents informatifs ou l’organisation d’un événement festif par une école de musique ou une société de tir locale. Si la Municipalité garde une marge d’appréciation, elle doit impérativement faire preuve de discernement et de retenue dans la transmission de listes d’adresses. La Municipalité garde également la possibilité de prononcer un émolument.
La loi ne règle pas les modalités concernant la transmission de listes d’adresses. Celle-ci doit cependant se faire conformément aux principes généraux du droit de la protection des données. Il est ainsi important que le destinataire soit rendu attentif au fait qu’il ne peut utiliser les données concernées que dans le but pour lequel elles ont été communiquées. Le Guide pratique recommande à cet égard d’obtenir l’engagement écrit du destinataire. Le Contrôle des habitants doit, dans la mesure du possible, se charger lui-même des envois pour le destinataire plutôt que lui remettre une liste d’adresses qui pourrait potentiellement être illicitement réutilisée. Cela n’est toutefois pas toujours possible. Dans ce dernier cas, il est préférable que le Contrôle des habitants procède à la transmission sous forme d’étiquettes plutôt que de listes d’adresses dans un format papier ou électronique.
(iii) À des partis politiques
Les règles encadrant la communication de données à des organismes privés (art. 22 al. 3 LCH) valent mutadis mutandis pour le cas spécifique de la communication de données à des partis politiques qui sont compris dans la notion d’organisme privé.
Les modalités encadrant la communication de données à des partis politiques font cependant l’objet d’une Décision du 2 février 2017 rendue par le Chef du département de l’économie et du sport. Cette décision a été portée à la connaissance des Contrôles des habitants par l’intermédiaire de la Circulaire 17/02. Les modalités sont les suivantes :
- la demande du parti politique doit être faite par un courrier motivé et signé (par un responsable) auprès de la Municipalité ;
- les données personnelles pouvant être communiquées sont le prénom, le nom, l’adresse, l’année de naissance et le sexe ;
- la Municipalité doit se prononcer sur le mode de transmission ainsi que sur la perception éventuelle d’émoluments ;
En ce qui concerne le responsable du parti politique, ce dernier doit dans le cas d’une communication :
- signer une déclaration par laquelle il s’engage à ne pas communiquer les renseignements qui lui ont été communiqués à des tiers ni à les utiliser à une autre fin que celle annoncée ;
- accorder à toute personne objet de la communication l’accès aux données la concernant et le droit d’en connaître la provenance ;
- transmettre à la Municipalité tout recours ou plainte qui lui parviendrait ;
- procéder à toute modification ou suppression de données requise par la Municipalité ;
- détruire les données qui lui ont été transmises après utilisation.
Nous soulignons que les documents susmentionnés, en particulier la décision de la Municipalité autorisant la communication (cf. www.swissprivacy.law/212 sur la question de l’accès aux procès-verbaux décisionnels), ou la déclaration du responsable du parti politique sont des documents officiels soumis au principe de transparence conformément à la Loi du 24 septembre 2002 sur l’information (LInfo ; BLV 170.21). Toute personne peut ainsi requérir de la Municipalité lesdits documents afin de vérifier que les règles encadrant la communication de données à des partis politiques ont été respectées.
Conclusion
Pour répondre aux besoins de la collectivité publique, le législateur a expressément ancré aux art. 22 et 22a LCH la communication de données aux particuliers, aux organismes privés et aux communautés religieuses. Si cela peut surprendre, il n’est pas unique. Le législateur a également prévu d’autres communications de données, à l’instar de la possibilité pour toute personne de consulter le registre public des propriétaires de plaques (cf. www.swissprivacy.law/118).
Ni les raisons soulevées par le législateur ni les modalités encadrant la communication de données à des partis politiques et, plus largement, à des particuliers ou à des organismes privés ne prêtent le flanc à la critique.
En revanche, le fait que le particulier n’ait pas à être informé d’une communication par le Contrôle des habitants suscite le questionnement. Une telle communication ne va pas forcément de soi pour le particulier. À cet égard, il est toutefois possible pour celui-ci d’exercer son droit d’accès (art. 25 LPrD) auprès du Contrôle des habitants. Dans le cadre d’une telle demande, et quand bien même la nomenclature du droit vaudois diffère par rapport au droit fédéral, il serait possible d’argumenter que l’identité du destinataire des données doit être communiquée pour garantir la transparence du traitement, ce conformément aux textes de droit supérieur (cf. www.swissprivacy.law/216, www.swissprivacy.law/217 et www.swissprivacy.law/218 pour une interprétation du droit d’accès et de la question de la transmission de l’identité des destinataires).
Proposition de citation : Livio di Tria / Kastriot Lubishtani, La communication de données à des partis politiques par le Contrôle des habitants des communes vaudoises, 14 avril 2023 in www.swissprivacy.law/219
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