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Big Data, un outil d’influence en période électorale

Michael Montavon, le 18 octobre 2023
Grâce à l’usage du Big Data et des algo­rithmes dans les campagnes élec­to­rales et de vota­tion, il devient possible d’influencer le compor­te­ment des élec­teurs et le résul­tat d’un suffrage. Cela soulève la ques­tion du droit à l’autodétermination des indi­vi­dus mais aussi des peuples.

Au lende­main du refe­ren­dum sur le Brexit, Dominic Cummings, le direc­teur de campagne en faveur du Brexit, s’est fendu d’une décla­ra­tion peu commune : « Si vous voulez progres­ser en poli­tique, partage-t-il, je vous conseille d’embaucher des physi­ciens, pas des experts en poli­tique ou en commu­ni­ca­tion ». Quant à Donald Trump, l’ancien président des États-Unis, il devrait sa victoire à un certain Christopher Wylie, ex-petit génie de Cambridge Analytica recon­verti, trom­pettes sonnantes, en lanceur d’alerte. Il a confessé en direct devant le monde entier que ses algo­rithmes n’avaient, ni plus, ni moins, fait élire le président des États-Unis.

Peut-être y a‑t-il un peu d’exagération dans ces affir­ma­tions alimen­tées tant par les perdants qui peuvent ainsi trou­ver une excuse à leur échec, que par les gagnants qui peuvent se vanter de prouesses sans pareil. Les médias aussi tirent volon­tiers avan­tage de ces histoires fracas­santes qui jouent avec nos peurs et nos émotions. Il n’empêche que le sujet touche au cœur même de la démo­cra­tie (CEPD, Lignes direc­trices 8/​2020 sur le ciblage des utili­sa­teurs de médias sociaux, § 25). Il paraît par consé­quent suffi­sam­ment impor­tant pour qu’on s’y intéresse.

De la physique à la politique

En physique, le compor­te­ment de chaque molé­cule indi­vi­duel­le­ment n’est pas prévi­sible. En revanche, il est possible de prédire et de mani­pu­ler le compor­te­ment d’un agré­gat de molé­cules compo­sant un système complexe. Car l’agrégat pris dans son ensemble présente des carac­té­ris­tiques et obéit à des règles qui rendent prévi­sibles les agis­se­ments, les inter­ac­tions et l’évolution des molé­cules qui le composent. C’est le prin­cipe du déterminisme.

L’être humain ne fonc­tionne pas diffé­rem­ment. Même si les indi­vi­dus sont doués de volonté et qu’ils prennent tous les jours des déci­sions, celles-ci répondent à divers leviers d’ordre biolo­gique, cultu­rel, fami­lial, écono­mique ou social, qui les rendent prévi­sibles1. Avant l’apparition des plate­formes, des réseaux sociaux et des appli­ca­tions, il manquait néan­moins les données pour connaître ces leviers et appli­quer aux agré­gats humains les lois de la physique. Aujourd’hui, il y a non seule­ment autant de capteurs que d’utilisateurs d’une plate­forme, mais chaque utili­sa­teur compte des milliers de capteurs offrant autant de données et de leviers qu’il devient possible d’actionner.

Or les physi­ciens sont capables de récol­ter toutes ces données et de les ordon­ner pour en tirer des corré­la­tions, des tendances et des prédic­tions sur les indi­vi­dus. Comme avec les systèmes complexes, ils sont aussi capables de réali­ser des simu­la­tions en soumet­tant tout ou partie de l’agrégat à diffé­rents stimuli. Il ne leur reste ensuite plus qu’à obser­ver les réponses indi­vi­duelles et collec­tives à ces stimuli et à repro­duire ceux qui parviennent le mieux à modi­fier le fonc­tion­ne­ment du système dans son entier2.

En physique, lorsqu’une molé­cule se met à s’agiter sur l’impulsion d’un stimu­lus, elle entraîne d’autres molé­cules avec elles. Bien maîtri­sée, cette chaîne de réac­tions peut conduire à modi­fier le fonc­tion­ne­ment du système dans son ensemble. La même chose se produit avec les humains. On sait que certains indi­vi­dus réagissent d’une certaine manière à certains messages et que ces réac­tions se commu­niquent aux autres indi­vi­dus et aux groupes via diffé­rents canaux (médias de masse, réseaux sociaux). Si on veut modi­fier le fonc­tion­ne­ment d’un agré­gat humain, il suffit d’identifier les indi­vi­dus suscep­tibles de réagir le mieux et de les soumettre aux stimuli, c’est-à-dire aux messages, auxquels ils répondent le mieux3.

Or, pour cela, il y a les réseaux sociaux et les clics. Non seule­ment ils offrent un labo­ra­toire géant pour tester tous les stimuli possibles, mais ils four­nissent en temps réel des données très précises sur le taux d’engagement et la réac­tion provo­quée par chaque stimu­lus indi­vi­duel­le­ment. Grâce à eux, il est possible d’observer en direct la réac­tion susci­tée par un message sur une partie puis sur l’entier de l’agrégat. En fonc­tion des résul­tats obte­nus, le message peut être adapté tant sur sa forme (p. ex. police, couleur, image) que son contenu. Les carac­té­ris­tiques qui fonc­tionnent le mieux sont conser­vées et opti­mi­sées, tandis que celles qui ne produisent pas les effets recher­chés sont remplacées.

Lors d’une campagne poli­tique, cette tech­nique est géné­ra­le­ment appli­quée comme suit. En croi­sant les données de plusieurs sources (registre des élec­teurs, recherches menées sur Google à propos d’évènements ou des sujets sociaux et réac­tions susci­tées sur les réseaux), il est possible d’identifier, d’une part, les sujets poli­tiques chauds du moment et, d’autre part, la posi­tion des indi­vi­dus par rapport à ces sujets. Les indi­vi­dus sont ensuite clas­si­fiés en trois caté­go­ries : ceux qui sont déjà acquis aux idées défen­dues, ceux qui ne le seront proba­ble­ment jamais et ceux dont la posi­tion n’est pas arrê­tée. C’est sur cette troi­sième caté­go­rie « d’indécis » que les efforts se pour­suivent alors.

L’objectif est de conce­voir le stimu­lus, c’est-à-dire le message, capable d’amener son desti­na­taire à réagir de la manière souhai­tée. Grâce à la masse d’informations dont ils disposent, les physi­ciens établissent des profils de la person­na­lité corres­pon­dant aux diffé­rentes caté­go­ries d’individus de l’agrégat. Ces sous-caté­go­ries reçoivent ensuite des messages person­na­li­sés conçus avec l’aide d’autres spécia­listes du compor­te­ment. Le but de ces messages est d’entraîner chez leur desti­na­taire la réac­tion recher­chée en jouant sur leur person­na­lité et leurs émotions (CEPD, Lignes direc­trices 8/​2020 sur le ciblage des utili­sa­teurs de médias sociaux, § 13). Les messages ne portent pas seule­ment sur les idées défen­dues. Ils peuvent atta­quer celles d’autres orga­ni­sa­tions concur­rentes en les discré­di­tant. Et quand ils font mouche, en bonne physique, ils entraînent avec eux d’autres indi­vi­dus de l’agrégat.

Comme la plus grande partie de cette acti­vité se déroule sur les plate­formes, il est possible d’aborder de manière anonyme les sujets les plus déli­cats avec les argu­ments (les stimuli) les plus forts, en les adres­sant seule­ment à ceux qui y sont sensibles, mais sans perdre le soutien des élec­teurs qui auraient une opinion moins tran­chée ou un peu diffé­rente. Ce type de campagnes virales échappe à la plupart des contrôles et des règles en place. Elles ne sont pas non plus soumises au fact-checking, ce qui consti­tue un terrain propice aux fake news, au popu­lisme et à toutes les formes de propagande.

Cadre juri­dique

La Constitution fédé­rale énonce à son art. 34 la garan­tie des droits poli­tiques. Elle protège la libre forma­tion de l’opinion des citoyens et des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de leur volonté. Une telle dispo­si­tion intro­duit une obli­ga­tion posi­tive de la part de l’état de prendre les mesures néces­saires visant à proté­ger les proces­sus démocratiques.

La Loi du 25 septembre 2020 sur la protec­tion des données (LPD) consti­tue l’une d’entre elles. Ce n’est donc pas un hasard si le PFPDT et la Conférence des préposé-e‑s suisses à la protec­tion des données (priva­tim) ont co-rédigé un guide concer­nant le trai­te­ment numé­rique de données person­nelles dans le cadre d’élection et de vota­tions en Suisse. Il rappelle que toute personne trai­tant des données dans un contexte d’élections et de vota­tions doit savoir que les infor­ma­tions sur les opinions poli­tiques et philo­so­phiques béné­fi­cient d’un niveau de protec­tion plus élevé que des données compa­rables du domaine profes­sion­nel ou commer­cial, et que les exigences de trai­te­ment posées aux respon­sables sont plus élevées. On regret­tera toute­fois que le guide date de 2022 et qu’il ne tienne pas compte de la légis­la­tion entrée en vigueur le 1er septembre 2023.

Se réfé­rant à la juris­pru­dence Moneyhouse, le guide relève ainsi prudem­ment que

« le trai­te­ment numé­rique des données en lien avec le proces­sus poli­tique est très proba­ble­ment soumis au niveau de protec­tion appli­cable pour les données sensibles, ne serait-ce qu’en raison de la fina­lité du trai­te­ment qui vise à influen­cer les opinions philo­so­phiques de nombreuses personnes. C’est notam­ment le cas lorsque des méthodes d’ana­lyse auto­ma­ti­sées sont utili­sées qui, en recou­pant un grand nombre de données déli­cates et non déli­cates, permettent d’éta­blir des profils de la person­na­lité ».

Si on procède à la même analyse, mais sous l’angle de la nouvelle légis­la­tion, il semble possible de tirer des conclu­sions un peu plus affir­ma­tives. Outre le fait que collec­ter les (préten­dues) opinions poli­tiques des indi­vi­dus corres­pond à un trai­te­ment de données sensibles, le croi­se­ment des données prove­nant de plusieurs sources dans le but d’identifier les opinions et les tendances poli­tiques des élec­teurs corres­pond à une acti­vité de profi­lage (art. 5 al. 1 let. f LPD). Si le but pour­suivi est de leur adres­ser par la suite des messages person­na­li­sés visant à les influen­cer en jouant sur leurs carac­té­ris­tiques person­nelles, on peut même raison­na­ble­ment aller un cran plus loin et soute­nir qu’il s’agit d’un profi­lage à risque élevé (art. 5 al. 1 let. g LPD).

Les consé­quences d’un tel trai­te­ment sont nombreuses. On se limi­tera ici à en citer quatre :

  • Premièrement, comme le ciblage à des fins poli­tiques est suscep­tible d’entraîner un risque élevé pour la person­na­lité ou les droits fonda­men­taux de la personne concer­née, l’organisation qui déci­de­rait de se lancer dans une telle acti­vité devrait, confor­mé­ment à l’art. 22 LPD, en prin­cipe, commen­cer par réali­ser une analyse d’impact rela­tive à la protec­tion des données (cf. CEPD, Lignes direc­trices 8/​2020 sur le ciblage des utili­sa­teurs de médias sociaux, § 105 ss pour une analyse plus détaillée en droit européen).
  • Deuxièmement, si une orga­ni­sa­tion utilise les données obser­vées pour mettre en évidence les opinions poli­tiques des indi­vi­dus, ce trai­te­ment devrait être consi­déré comme un trai­te­ment de données sensibles. Il s’ensuit qu’il néces­si­te­rait norma­le­ment le consen­te­ment expli­cite de la personne concer­née (6 al. 7 let. b LPD). En l’absence d’un tel consen­te­ment, il existe le risque que le trai­te­ment devienne illi­cite à moins de parve­nir à le justi­fier au moyen d’un des autres motifs justi­fi­ca­tifs prévus par la loi (art. 31 LPD).
  • Troisièmement, si le trai­te­ment entre­pris ne s’arrête pas à iden­ti­fier les opinions poli­tiques des indi­vi­dus, mais qu’il inclut en plus une analyse plus sophis­ti­quée abou­tis­sant à l’élaboration de profils de la person­na­lité et l’envoi de messages person­na­li­sés en fonc­tion des résul­tats de ces profils, alors on bascu­le­rait dans le régime du profi­lage à risque élevé (sur cette notion, cf. www​.swiss​pri​vacy​.law/86). Les consé­quences d’un tel régime sont encore peu claires à ce jour, mais on peut raison­na­ble­ment partir de l’idée que les possi­bi­li­tés d’invoquer un autre motif justi­fi­ca­tif que le consen­te­ment expli­cite de la personne concer­née seraient quasi nulles.
  • Quatrièmement, l’organisation concer­née devrait, sous réserve qu’on puisse invo­quer un des motifs d’exception prévus par la loi (20 LPD), infor­mer tous les élec­teurs à propos desquels elle collecte des données et leur indi­quer quelles infor­ma­tions sont collec­tées sur eux, à quelles fins et avec qui ces données sont parta­gées (art. 19 LPD).

Il existe bien sûr des moyens de contour­ner ces règles. L’un d’entre eux consis­tera proba­ble­ment à dire que les acti­vi­tés déployées ne corres­pondent pas à un trai­te­ment de données sensibles et encore moins à un profi­lage à risque élevé, mais à une simple sélec­tion d’in­di­vi­dus sur la base de critères objec­tifs tels que l’âge ou le lieu. Puis sera invo­qué l’intérêt privé prépon­dé­rant des partis poli­tiques à mieux cibler leur élec­to­rat et à étendre celui-ci. Enfin, l’exécution du devoir d’informer sera certai­ne­ment quali­fiée comme inutile et dispro­por­tion­née vu la masse des personnes concernées.

Selon la formule consa­crée, seule une analyse globale tenant compte de l’ensemble des circons­tances permet­tra, au final, de déli­mi­ter au cas par cas si et dans quelle mesure chacune de ces normes trouve ou non appli­ca­tion par rapport aux trai­te­ments effec­ti­ve­ment accom­plis. Pour cela, on mettra en balance la person­na­lité de la personne concer­née et son droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle avec l’ampleur des trai­te­ments réali­sés et leurs effets. Plus la méthode sera intru­sive et sophis­ti­quée, plus les messages seront ciblés, voire volon­tai­re­ment trom­peurs et desti­nés à mani­pu­ler leur desti­na­taire, plus la person­na­lité de la personne concer­née et sa capa­cité à former et à expri­mer libre­ment son opinion devraient alors l’emporter.

En plus de la LPD, il existe d’autres règles que l’état a adop­tées dans le but de proté­ger la libre forma­tion de l’opinion des citoyens et des citoyennes et l’expression fidèle et sûre de leur volonté. Selon les art. 10 de la Loi fédé­rale du 24 mars 2006 sur la radio et la télé­vi­sion (LRTV) et 17 al. 3 de l’Ordonnance fédé­rale du 9 mars 2007 sur la radio et la télé­vi­sion (ORTV), la publi­cité pour les partis poli­tiques, pour les personnes occu­pant des fonc­tions offi­cielles ou candi­dates à celles-ci et pour les objets soumis en vota­tion popu­laire est inter­dite durant les périodes qui précèdent les élec­tions et les vota­tions, tandis que toute publi­cité qui attente à des convic­tions poli­tiques est de manière géné­rale interdite.

Selon le Message du Conseil fédé­ral, l’interdiction de la publi­cité poli­tique vise en premier lieu à empê­cher que la forma­tion démo­cra­tique de l’opinion puisse être influen­cée unila­té­ra­le­ment par des acteurs écono­miques en posi­tion domi­nante. Il s’agit notam­ment d’empêcher que le prolon­ge­ment de la campagne élec­to­rale dans la publi­cité diffu­sée par les médias ne fasse consi­dé­ra­ble­ment augmen­ter les frais de campagne des partis et des asso­cia­tions, défa­vo­ri­sant ainsi les orga­ni­sa­tions ne dispo­sant pas d’importants moyens finan­ciers (FF 2003 1425, p. 1523). Mais le champ d’application de ces dispo­si­tions est très restreint. Il se limite aux programmes de radio et de télé­vi­sion qui sont diffu­sés à un horaire fixe déter­miné par avance par le diffu­seur. Il ne s’étend donc ni aux messages publiés sur les réseaux sociaux, ni aux autres conte­nus publiés sur Internet, y compris sous forme d’émission radio ou télé­vi­sée, acces­sibles à la demande.

Conclusion

Il n’existe pas en Suisse de loi unique régis­sant les campagnes d’élections et de vota­tion. Des règles éparses encadrent, certes, la publi­cité et le débat poli­tiques, mais leur effi­ca­cité semble toute rela­tive. Il suffit pour s’en convaincre de visi­ter la page web du site ch​.ch consa­crée aux règles pour les campagnes élec­to­rales et les vota­tions, et plus préci­sé­ment celles liées aux réseaux sociaux et Internet. Les règles énoncent en toutes lettres et sans détour qu’il n’est « pas abso­lu­ment inter­dit de divul­guer déli­bé­ré­ment de fausses infor­ma­tions (« fake news ») ».

Pourtant, le sujet est impor­tant. Les tech­niques de ciblage et de mani­pu­la­tion en période élec­to­rale portent atteinte non seule­ment au droit à l’autodétermination infor­ma­tion­nelle des indi­vi­dus, mais plus large­ment aussi au droit à l’autodétermination des peuples et des États. Comme c’est le cas en physique, les stimuli inocu­lés auprès d’une partie de la popu­la­tion ont la capa­cité de chan­ger le compor­te­ment du système dans son entier. Mieux vaut donc y prêter attention.

En droit de la concur­rence, les stimuli subli­mi­naux, déloyaux ou trom­peurs qui sont adres­sés aux consom­ma­teurs peuvent être sanc­tion­nés par la Loi du 19 décembre 1986 contre la concur­rence déloyale (LCD). Tel est le cas lorsqu’un acteur écono­mique dénigre un concur­rent par des allé­ga­tions inexactes, falla­cieuses ou inuti­le­ment bles­santes, qu’il donne des indi­ca­tions inexactes ou falla­cieuses sur lui-même ou qu’il se compare avec un concur­rent de manière falla­cieuse ou para­si­taire. D’autres compor­te­ments sont aussi concer­nés, comme celui d’entraver la liberté de déci­sion d’un client en usant de méthodes de ventes parti­cu­liè­re­ment agres­sives ou d’envoyer, par voie de télé­com­mu­ni­ca­tion, de la publi­cité de masse n’ayant aucun lien direct avec une infor­ma­tion deman­dée et en omet­tant de requé­rir préa­la­ble­ment le consen­te­ment du client.

Puisque nos voix peuvent se moné­ti­ser et s’acheter, ne méritent-elles pas au mini­mum le même niveau de protec­tion que celui accordé aux marchan­dises ? C’est en tout cas le chemin sur lequel se dirige l’Union euro­péenne. Une propo­si­tion de règle­ment rela­tif à la trans­pa­rence et au ciblage de la publi­cité à carac­tère poli­tique a été présen­tée devant le parle­ment (cf. www​.swiss​pri​vacy​.law/​121). Celle-ci prévoit notam­ment une inter­dic­tion du micro­ci­blage et l’obligation de révé­ler l’identité de la personne ou de l’entité ayant financé la publi­cité. Le but serait qu’il puisse être en vigueur pour les prochaines élec­tions de 2024.

En Suisse, le maga­zine Inside IT révé­lait pour sa part cet été que les partis poli­tiques discutent entre eux la possi­bi­lité d’élaborer un code de l’honneur concer­nant l’utilisation de l’intelligence arti­fi­cielle dans le cadre de campagnes d’élection ou de vota­tion. Mais ils ne paraissent pas parti­cu­liè­re­ment pres­sés pour le moment. Si d’aventure ce projet venait à se concré­ti­ser, un pas supplé­men­taire pour­rait consis­ter, pour les partis, à adop­ter un code de conduite au sens de l’art. 11 LPD. Cela impli­que­rait néan­moins que les partis se réunissent préa­la­ble­ment sous la forme d’une asso­cia­tion commune.

Reste fina­le­ment la ques­tion de tels compor­te­ments commis par des puis­sances ou des orga­ni­sa­tions étran­gères dans le seul but de désta­bi­li­ser les proces­sus démo­cra­tiques internes. Il est clair qu’il faudra plus que le pres­tige de la loi pour réus­sir à se prému­nir contre de telles ingé­rences. Il faudra en plus mettre en place des mesures de sécu­rité avan­cées pour détec­ter et (dans la mesure du possible) empê­cher ce type d’activité, sensi­bi­li­ser et éduquer la popu­la­tion aux fausses infor­ma­tions, prévoir des méca­nismes permet­tant de signa­ler des acti­vi­tés suspectes et beau­coup colla­bo­rer à l’échelle natio­nale et internationale.

  1. Harari Yuval Noha, Homo deus, traduit de l’anglais par Dauzat Pierre-Emmanuel, éd. Albin Michel, 2017, p. 352 ss.
  2. Zuboff Shoshana, L’âge du capi­ta­lisme de surveillance, traduit de l’anglais [The Age of Surveillance Capitalism] par Formentelli Bee /​ Homassel Anne-Sylvie, éd. Zulma, 2020, p. 494 ss, 503 ss et 557 ss avec des réfé­rences à Planck Max Karl Ernst Ludwig, Meyer Max et Skinner Burrhus Frederic sur l’ingénierie du comportement
  3. da Emboli Giuliano, Les ingé­nieurs du chaos, éd. Gallimard, 2019, p. 160 ss.


Proposition de citation : Michael Montavon, Big Data, un outil d’influence en période électorale, 18 octobre 2023 in www.swissprivacy.law/258


Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.
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