Tour d’horizon des derniers développements : match retour
Principe de gratuité pour la transparence au niveau fédéral
L’accès aux documents officiels de l’administration fédérale est devenu en principe gratuit depuis le 1er novembre 2023. Le Conseil fédéral a en effet fixé l’entrée en vigueur d’une série de modifications de la LTrans et de l’OTrans. Ces modifications font suite au dépôt de l’initiative parlementaire visant à « faire prévaloir la gratuité de l’accès aux documents officiels » en avril 2016, qui a fait l’objet de longs débats aux Chambres fédérales (cf. www.swissprivacy.law/196).
Bien que l’administration fédérale ne facturait que rarement des frais pour l’accès aux documents officiels, il sera intéressant de voir comment le principe de gratuité sera mis en œuvre par l’administration fédérale et à quelle vitesse les pratiques de certains offices évolueront (cf. p. ex. l’Office fédéral des transports qui, sur son site web, semble prévoir la facturation automatique d’un émolument ; à ce titre, cela semble être surtout être un reliquat du passé).
Principe de gratuité pour les médias et les journalistes dans le canton de Genève ?
Devenant habitués aux esclandres, les genevois ont appris courant 2023 comment, d’une part, une ancienne conseillère d’État a utilisé plusieurs collaborateurs de l’État dans le cadre de sa campagne électorale et, d’autre part, comment elle a fait fi du règlement qui encadre les conflits d’intérêts au sein de l’État.
Ces révélations ont été possibles grâce à la LIPAD, qui prévoit l’accès aux documents officiels au niveau du canton de Genève. Dans le cadre de leurs enquêtes, les journalistes se sont toutefois vus facturer des émoluments pour leurs requêtes en transparence. En raison de ces affaires et de la manière dont le département concerné a géré les requêtes, plusieurs députés du Grand conseil genevois, et de différents courants politiques, ont déposé un projet de loi visant à assurer la gratuité de la transparence pour les médias et les journalistes appelés à suivre régulièrement les affaires genevoises (PL 13361 — La transparence est un droit !). Le projet a été renvoyé en Commission le 12 octobre 2023.
Bien que louable dans son objectif de garantir la gratuité de la transparence pour les médias et les journalistes, le projet de loi suscite le questionnement quant à la définition précise du cercle des bénéficiaires. Dans quel cas un média ou un journaliste est-il appelé à suivre régulièrement les affaires genevoises ? Pour assurer une gratuité effective, il est essentiel que les députés du Grand conseil genevois veillent à une formulation claire afin d’éviter des interprétations divergentes. En pratique, et si tant est que le projet est accepté, il est probable que l’administration cantonale accorde automatiquement l’accès gratuit aux documents officiels aux médias et aux journalistes.
Il sera intéressant de voir comment le projet de loi sera traité par le Grand conseil genevois. Dans tous les cas, toute avancée vers un renforcement de la transparence, même si elle n’est qu’une possibilité, mérite d’être saluée vu son importance dans une société démocratique.
Des nouvelles règles en matière de protection des données pour les cantons
En matière de protection des données, les législations cantonales en matière de protection des données doivent être adaptées pour respecter le droit supérieur, à savoir notamment la Convention (modernisée) 108+ du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, ainsi que la Directive (UE) 2016/680 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données.
Les cantons romands ont tous entamé, en ordre dispersé, la révision de leur législation en matière de protection des données, parfois sous la forme d’une révision partielle (p. ex. Jura-Neuchâtel, Valais, Genève) ou sous la forme d’une révision totale (p. ex. Fribourg ou Vaud). Voici un aperçu des avancées législatives en la matière, organisé selon la vitesse d’implémentation des différents cantons romands :
- Cantons du Jura et de Neuchâtel : La révision de la Convention intercantonale relative à la protection des données et à la transparence dans les cantons du Jura et de Neuchâtel est entrée en vigueur le 1eroctobre 2022 déjà.
- Canton de Fribourg : La révision de la Loi fribourgeoise sur la protection des données est entrée en vigueur le 1erjanvier 2024 (cf. swissprivacy.law/273).
- Canton du Valais : La révision de la Loi valaisanne sur l’information du public, la protection des données et l’archivage est entrée en vigueur le 1erjanvier 2024 (cf. swissprivacy.law/243).
- Canton de Genève : La révision de la Loi genevoise sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles sera prochainement débattue par le Grand conseil genevois, celle-ci ayant été renvoyée en commission le 31 août 2023 (PL 13347). Il faut s’attendre à une entrée en vigueur d’ici le 1erjanvier 2025.
- Canton de Vaud : La révision de la Loi vaudoise sur la protection des données se fait en deux étapes. Le législateur a adopté le 2 mai 2023 la Loi vaudoise sur la protection des données personnelles dans le cadre de l’application de l’acquis de Schengen dans le domaine pénal pour se conformer à la Directive (UE) 2016/680 ; celle-ci est entrée en vigueur le 1erseptembre 2023. S’agissant de la Loi vaudoise sur la protection des données, elle présente des enjeux plus étendus ; une révision générale est donc en cours. Il faut s’attendre à des avancées législatives courant 2024, notamment par le probable dépôt du projet de révision totale par le Conseil d’État vaudois auprès du Grand conseil vaudois. Il est difficile à ce stade de parler d’une entrée en vigueur.
Réélection du PFPDT
Le 20 décembre 2023, les Chambres fédérales ont décidé de reconduire le préposé fédéral Adrian Lobsiger dans ses fonctions, déjà en charge du PFPDT, pour la période 2024–2027. Il s’agira de son dernier mandat. À noter que le poste n’a pas été mis au concours par la Commission judiciaire dès lors que le préposé avait exprimé le souhait de briguer un dernier mandat.
Loi fédérale sur l’utilisation de moyens électroniques pour l’exécution des tâches des autorités
Le 22 novembre 2023, le Conseil fédéral annonçait fixer au 1er janvier 2024 la date d’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur l’utilisation des moyens électroniques pour l’exécution des tâches des autorités (LMETA) et de l’ordonnance qui s’y rapporte (OMETA). La LMETA fixe les conditions générales de plusieurs activités, à savoir le développement de la cyberadministration à l’échelon de la Confédération, la collaboration de la Confédération avec d’autres collectivités et organisations dans le domaine de la cyberadministration et la fourniture de prestations administratives électroniques. À noter que l’entrée en vigueur de la LMETA se fait par étapes : elle s’applique depuis le 1er janvier 2024 à l’administration fédérale centrale et, s’appliquera, dans un deuxième temps, et selon une date encore à définir, aux unités de l’administration fédérale décentralisée.
Identité électronique : retour vers le futur
Le 7 mars 2021, le peuple suisse rejetait dans les urnes la Loi fédérale du 27 septembre 2019 sur les services d’identification électronique (cf. www.swissprivacy.law/25). Trois jours après cet échec, des parlementaires fédéraux de tous les groupes ont déposé des motions identiques demandant au Conseil fédéral de mettre une identification électronique fiable. Conscient des enjeux, le Conseil fédéral a pris le 17 décembre 2021 une décision de principe dans laquelle il jetait les bases de la future e‑ID, sous la forme d’une preuve d’identité numérique émise par l’État.
Le Conseil fédéral a adopté le 22 novembre 2023 le message concernant le projet de nouvelle Loi fédérale sur l’identité électronique et d’autres moyens de preuves électroniques (2023 FF 2843). Le projet de Loi sur l’e‑ID prévoit que l’émission de l’e‑ID sera du ressort de la Confédération, qui offrira l’infrastructure nécessaire à son utilisation. Il est également prévu que l’infrastructure créée pour exploiter l’e‑ID soit ouverte aux autorités cantonales et communales, de même qu’aux acteurs du secteur privé, de manière à former un écosystème de preuves numériques. Il pourra être donc possible d’utiliser l’infrastructure pour établir et utiliser des documents tels que des attestations de domicile, des extraits de registres, etc. La protection des données occupe finalement une place centrale dans ce projet.
Le projet de Loi sur l’e‑ID sera traité par les chambres fédérales prochainement (Objet 23 073). Il est actuellement étudié par les Commissions des affaires juridiques. L’évolution de l’e‑ID étatique peut être suivie à cette adresse.
Loi sur la sécurité de l’information
Le 8 novembre 2023, le Conseil fédéral annonçait fixer au 1er janvier 2024 la date d’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur la sécurité de l’information (LSI) et de ses quatre ordonnances d’exécution, à savoir :
- l’Ordonnance sur la sécurité de l’information dans l’administration fédérale et l’armée (OSI) ;
- l’Ordonnance sur les systèmes de gestion des données d’identification et les services d’annuaires de la Confédération (OIAM) ;
- l’Ordonnance sur la procédure de sécurité relative aux entreprises (OPSEnt) ; et
- l’Ordonnance sur les contrôles de sécurité relatifs aux personnes (OCSP).
La LSI réunit en un seul acte les bases légales les plus importantes pour la sécurité des informations et des moyens informatiques de la Confédération. Elle a pour but de renforcer la protection des informations et la cybersécurité au sein de la Confédération, mais également, et de manière plus large, les informations et les données fédérales qui sont traitées par les tiers, les cantons ou les partenaires internationaux.
Office fédéral de la cybersécurité : entre ®évolution et prise de conscience
Le 18 mai 2022, et en raison de l’importance considérable que prenait la cybersécurité, le Conseil fédéral annonçait une évolution consistant à la création d’un nouvel Office fédéral de la cybersécurité (OFCS), en remplacement du Centre national pour la cybersécurité (NCSC), celui-ci devant être rattaché au Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports et non plus auprès du Département fédéral des finances.
Le nouvel OFCS est opérationnel depuis le 1er janvier 2024. Il est considéré comme le centre de compétences de la Confédération en matière de cybermenaces (art. 15a Org-DDPS).
Obligation de signaler les cyberattaques contre les infrastructures critiques
Les chambres fédérales ont adopté le 29 septembre 2023 une révision partielle de la LSI établissant une nouvelle obligation consistant au signalement des cyberattaques contre les infrastructures critiques (FF 2023 85). Concrètement, cette nouvelle obligation oblige les exploitants d’infrastructures critiques (p. ex. hautes écoles, autorités fédérales, cantonales et communales, entreprises énergétiques) à annoncer au NCSC les cyberattaques visant leurs moyens informatiques.
Outre le délai référendaire qui court jusqu’au 18 janvier 2024, cette modification exige une refonte complète du chapitre 5 de la LSI, raison pour laquelle le projet relatif aux dispositions d’exécution sera présenté dans le courant de cette année. On peut espérer une entrée en vigueur de cette nouvelle obligation d’ici au 1er janvier 2025.
Intelligence artificielle : des avancées en ordre dispersé
L’intelligence artificielle (IA) est certainement le sujet d’actualité le plus brûlant de l’année 2023 et continuera sans aucun doute à l’être en 2024. Si cette thématique occupe énormément le monde journalistique, cela est également vrai pour le monde juridique. Des avancées significatives ont d’ailleurs eu lieu ces derniers mois, tant en Suisse qu’à l’international.
Au niveau international, le Conseil fédéral ambitionne depuis toujours de jouer un rôle actif dans la conception du cadre réglementaire international sur l’IA (cf. Rapport intelligence artificielle et réglementation internationale et communiqué de presse du 13 avril 2022). Un tel cadre est en cours d’élaboration par le Conseil de l’Europe, notamment par le biais de son Comité sur l’intelligence artificielle. Ce dernier a pour tâche de développer une Convention-cadre sur l’intelligence artificielle, les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit public. Le Comité sur l’intelligence s’est déjà réuni huit fois et la prochaine séance de travail est agendée entre les 23 et 26 janvier 2024, dans le cadre de laquelle sera examiné le projet de convention-cadre.
En Suisse, le Conseil fédéral a (enfin) chargé le 22 novembre 2023 le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) d’élaborer un aperçu des approches réglementaires possibles, qui devrait être disponible fin 2024, en vue de l’octroi d’un mandat concret pour un projet de loi sur l’IA d’ici 2025. L’idée du Conseil fédéral est de permettre l’exploitation du potentiel de l’IA tout en réduisant autant que possible les risques pour la société. Conscient de son importance, le Conseil fédéral réagit rapidement aux développements relatifs à l’IA : dans sa réponse au « Postulat 23.3201 » déposé par Marcel Dobler, le Conseil fédéral entendait initialement déterminer les besoins d’agir d’ici fin 2024. Il sera dans tous les cas intéressant de voir si l’étude du DETEC préconisera une approche sectorielle, à l’instar des recommandations du Rapport du groupe de travail interdépartemental « Intelligence artificielle » de 2019, ou une approche plus globale, par le biais de l’adoption d’une loi spécifique. À noter finalement que le PFPDT a rappelé le 9 novembre 2023 que la LPD est directement applicable aux traitements de données basés sur l’IA.
En Europe, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sont parvenus le 9 décembre 2023 à un accord provisoire concernant la proposition de règlement sur l’IA. Le texte doit désormais encore être formellement adopté par le Parlement et le Conseil. Dans l’attente de cette formalisation, la Commission européenne a d’ores et déjà mis à jour sa foire aux questions concernant le règlement sur l’IA. Le règlement sur l’IA ayant un champ d’application extraterritorial, son adoption aura des répercussions importantes pour les pays situés en dehors de l’Union européenne. À ce titre, l’Office fédéral de la communication (OFCOM), rattaché au DETEC, assure un suivi régulier des conséquences de la stratégie numérique de l’Union européenne sur la Suisse, dont fait partie le règlement sur l’IA. Un document d’analyse a d’ailleurs été publié par l’OFCOM le 28 avril 2023.
Aux États-Unis, le Président Biden a publié le 30 octobre 2023 un décret présidentiel (Executive Order) sur l’intelligence artificielle. En bref, le décret établit de nouvelles normes pour la sûreté et la sécurité de l’IA, vise à protéger la vie privée des Américains, faire progresser l’équité et les droits civils, défendre les consommateurs et les travailleurs, promouvoir l’innovation et la concurrence, faire progresser le leadership américain dans le monde, et plus encore. Un résumé du décret présidentiel est accessible à cette adresse.
Finalement, et toujours aux États-Unis, les députés de la Chambre des représentants (chambre basse du Congrès des États-Unis) Anna Eshoo et Don Beyer ont présenté une proposition de loi concernant les modèles de fondations d’intelligence artificielle (AI Foundation Model Transparency Act). Un résumé de cette proposition est disponible à cette adresse.
Écosystème de données suisse
Le Conseil fédéral a adopté le 8 décembre 2023 un ensemble de mesures jetant les bases d’un écosystème de données suisses. Le but est de mieux exploiter le potentiel des données en Suisse, qui doivent pouvoir être utilisées de manière fiable au profil de la société, de la recherche et de l’économie. Les mesures prévues sont disponibles à cette adresse.
Transformation numérique de la Suisse
Toujours en date du 8 décembre, le Conseil fédéral a pris des décisions concernant la transformation numérique de la Suisse, en se penchant sur trois stratégies, à savoir :
- la stratégie Suisse numérique, qui fixe les lignes directrices de la transformation numérique de la Suisse et donne aux acteurs de la numérisation, publics et privés, un cadre sur lequel s’appuyer ;
- la stratégie Administration numérique suisse, qui est une stratégie commune de la Confédération, des cantons, des villes et des communes et qui s’adresse de manière transversale aux administrations publiques ; et
- la stratégie Administration fédérale numérique, qui traite spécifiquement de la transformation numérique de l’administration fédérale.
Activités parlementaires
Dans les domaines précités, les Chambres fédérales ne sont pas en reste. Plusieurs parlementaires ont récemment déposé motions et interpellations dans des sujets divers liés au numérique, avec déjà pour la plupart des réponses du Conseil fédéral. Il s’agit notamment des motions et interpellations suivantes :
- Postulat 23.3201 — Situation juridique de l’intelligence artificielle. Clarifier les incertitudes et encourager l’innovation.
- Motion 23.3807 — Reprise de la réglementation européenne en matière d’intelligence artificielle.
- Motion 23.3806 — Obligation de déclarer les recours à l’intelligence artificielle et aux systèmes de décisions automatisées.
- Motion 23.3849 — Un centre ou un réseau de compétences pour l’intelligence artificielle en Suisse.
- Interpellation 23.3930 — Intelligence artificielle. Quel cadre pour en tirer le meilleur et en éviter les dérives ?
- Interpellation 23.4255 — Augmentation frénétique du volume de données. Faut-il intervenir en matière de gestion du volume de données et de consommation énergétique ?
- Interpellation 23.4133 — La protection légale contre la discrimination est-elle suffisante quand il est question de discrimination algorithmique ?
- Interpellation 23.4363 – Microsoft 365, un facteur de vulnérabilité pour notre Armée ?
- Question 23.1051 – Quelles sont les conséquences du cyberincident qui a touché le nuage Microsoft pour le Parlement ?
Proposition de citation : Livio di Tria, Tour d’horizon des derniers développements : match retour, 11 janvier 2024 in www.swissprivacy.law/276
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