Divulgation d’un contrat de précommande de vaccins contre le coronavirus
Recommandation PFPDT du 29 octobre 2020, X c. Office fédéral de la santé publique OFSP
Partout dans le monde, la communauté scientifique travaille à l’élaboration d’un vaccin pour lutter contre la pandémie de coronavirus. Pour l’heure néanmoins, nul ne sait lequel parmi les vaccins en cours de développement sera efficace. Les États optent ainsi pour une stratégie diversifiée, en concluant des contrats de précommande ou de réservation auprès de divers fabricants dont les avancées sont prometteuses. Le 7 août 2020, respectivement le 16 octobre 2020, la Suisse a annoncé la conclusion d’un tel contrat avec l’entreprise américaine de biotechnologie Moderna Therapeutics portant sur l’achat de 4,5 millions de doses et avec l’entreprise britannique AstraZeneca portant sur une livraison de 5,3 millions de doses au plus.
C’est dans ce contexte de course mondiale au vaccin qu’un journaliste a demandé, le 14 août 2020, à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) l’accès à un contrat de précommande sur la base de la Loi fédérale sur la transparence (LTrans) ainsi que toute correspondance y relative. L’OFSP a refusé l’accès à ces documents le 24 septembre 2020 en se fondant l’art. 8 al. 4 LTrans et en indiquant, pour le surplus, que l’art. 7 al. 1 let. g LTrans demeurait réservé après l’issue de toutes les négociations contractuelles.
La procédure de médiation (art. 13 LTrans) ouverte le 1er octobre 2020 par le requérant s’est soldée par un échec, conduisant le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) à rendre le 29 octobre 2020 une recommandation au sens de l’art. 14 LTrans.
En vertu de l’art. 8 al. 4 LTrans, « l’accès à des documents officiels exprimant une prise de position dans le cadre de négociations en cours ou futures est exclu dans tous les cas ». Selon la jurisprudence et contrairement à l’opinion soutenue par l’OFSP dans le cadre de cette procédure, cette disposition ne trouve pas à s’appliquer à des documents concernant des négociations d’ores et déjà conclues (TAF, A‑306/2015, c. 6. 4).
Cela étant, l’objet du contrat conclu requis, ainsi que la position de la Suisse qu’il reflète dans de telles négociations, sont les mêmes que pour les contrats étant en train d’être négociés avec d’autres parties. Ce document et la correspondance y relatives pourraient donc être étroitement liés dans le temps à des négociations en cours ou futures qui pourraient être comprises comme un processus global.
Toutefois, la PFPDT laisse ouverte la question de savoir si la situation extraordinaire engendrée par la pandémie de coronavirus doit conduire à retenir en l’espèce un cas particulier au sens de l’art. 8 LTrans, pour examiner l’exception prévue par l’art. 7 al. 1 let. f LTrans. Cette disposition prévoit que le « le droit d’accès est limité, différé ou refusé, lorsque l’accès à un document officiel risque de compromettre les intérêts de la politique économique ou monétaire de la Suisse ». Il en va ainsi lorsque la divulgation d’un document officiel mettrait la Confédération dans une situation de désavantage concurrentiel.
Le PFPDT souligne que la pandémie de coronavirus persiste aujourd’hui et qu’aucun vaccin n’est encore disponible. Aussi bien l’industrie pharmaceutique que les États sont de fait dans une course mondiale pour, d’un côté, développer un vaccin et, de l’autre, en acquérir en doses suffisantes.
En l’occurrence, la Suisse négocie avec divers fabricants, car le contrat requis et la correspondance y relative portent sur des doses qui ne seront de toute manière pas suffisantes pour couvrir la demande de la population suisse. La stratégie diversifiée de la Confédération est aussi la conséquence du fait qu’il n’existe aucune certitude quant au fait de savoir quel vaccin sera efficace et quand il le sera. Ainsi, l’accessibilité des documents requis affaiblirait la position de négociation de la Suisse vis-à-vis de ses partenaires contractuels et permettrait à d’autres États d’adapter en conséquence leur stratégie de négociation avec ces mêmes partenaires. Le risque d’une situation de désavantage concurrentiel est significatif et sérieux. Par conséquent, l’accès aux documents requis risque de compromettre les intérêts économiques de la Suisse.
Enfin, il peut être relevé comme l’a fait l’OFSP que l’acquisition d’un vaccin est d’un intérêt public impérieux et s’inscrit dans le but de protéger la vie et la santé de la population, l’art. 44 de la Loi sur les épidémies enjoignant qui plus est au Conseil fédéral d’assurer « l’approvisionnement de la population en produits thérapeutiques les plus importants en matière de lutte contre les maladies transmissibles ».
Partant, le refus de l’OFSP de divulguer le contrat de précommande des vaccins contre le coronavirus, ainsi que toute la correspondance y relative, est justifié sur la base de l’art. 7 al. 1 let. f LTrans.
Nous ignorons si le contentieux relatif à cette recommandation a connu une évolution avec une éventuelle décision de l’OFSP (art. 15 LTrans) et un recours contre celle-ci (art. 16 LTrans). Nonobstant l’intérêt public à connaître les détails de tels contrats en raison de la manne financière investie par les autorités et l’importance de la crise sanitaire, il est fort peu probable que les autorités accèdent en l’état à ce type de demande en raison de la course au vaccin qui existe aujourd’hui. La recommandation du PFPDT est donc justifiée et logique selon nous. Toutefois, le PFPDT relève pour terminer que l’existence de l’exception de l’art. 7 al. 1 let. f LTrans n’est que temporaire, ce qui signifie deux choses : d’une part, il se pourrait que les documents requis puissent être accessibles au terme de la crise sanitaire et après la conclusion de toutes les négociations relatives à l’acquisition de vaccins contre le coronavirus ; d’autre part, d’autres exceptions, dont notamment l’art. 7 al. 1 let. g LTrans, pourraient encore entrer en jeu pour refuser l’accès.
En définitive, le requérant devra se contenter des bribes de révélation fournies par négligence par le Conseiller fédéral Alain Berset lors de la conférence de presse du 11 novembre 2020 (de 39:50 à 40:41), à condition, comme le dit Alain Berset, de les oublier néanmoins…
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Divulgation d’un contrat de précommande de vaccins contre le coronavirus, 17 novembre 2020 in www.swissprivacy.law/30
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