Données « en tant que telles » et délai de réponse du droit d’accès

Le 29 janvier 2025, le PFPDT a prononcé une décision contre la société Cembra Money Bank AG (ci-après : la Banque) pour non-respect des délais légaux pour le traitement d’une demande d’accès au sens de l’art. 25 LPD et absence de communication des données personnelles traitées en tant que telles. Cette décision a fait l’objet d’une publication récente sur le site du PFPDT. Conformément à l’art. 57 al. 2 LPD, ce dernier informe le public de ses constatations et de ses décisions dans les cas présentant un intérêt général. Il s’agit de la deuxième décision publiée depuis l’entrée en vigueur de la LPD révisée, le 1er septembre 2023.
Une pratique encore tâtonnante
Entre 2023 et 2024, le PFPDT est saisi de deux dénonciations à l’encontre de Cembra Money Bank AG.
Dans une première dénonciation, il est reproché à la Banque de ne pas avoir donné suite, dans le délai légal de 30 jours, à une demande d’accès fondée sur l’art. 25 LPD. À la suite de cette dénonciation, le PFPDT se contente d’adresser à la Banque un rappel à l’ordre, en soulignant son obligation de répondre aux demandes d’accès dans les délais prévus par la loi. En réponse, la Banque indique avoir entretemps satisfait à la demande d’accès. Elle précise que le retard était imputable à un manque temporaire de personnel mais que la situation est désormais résolue et qu’elle respecte les exigences de la LPD.
La seconde dénonciation concerne l’absence de motivation fournie par la Banque quant au refus d’octroi d’une carte de crédit. En dépit de plusieurs demandes écrites successives visant à connaître les raisons de ce refus, la Banque n’a jamais fourni d’explication concrète, se contentant de renvoyer à des articles de loi et des directives internes. Insatisfait, le dénonciateur finit par déposer une demande d’accès fondée sur l’art. 25 LPD au moyen d’une lettre type mise à disposition par le PFPDT dans laquelle il exige que la Banque lui remette les informations minimales définies par la loi, en particulier « les données personnelles traitées en tant que telles ».
Faute de réponse, la personne concernée saisit le tribunal civil du canton de Bâle-Ville d’une demande de conciliation en vue de l’exécution de son droit d’accès, à la suite de quoi la Banque lui adresse un courrier avec la teneur suivante (traduction assistée) :
« Nous traitons toutes les catégories de données se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable. Cela inclut notamment les informations personnelles (nom, prénom, date de naissance, adresse, coordonnées telles que téléphone, e‑mail, etc.), les données particulièrement sensibles (par exemple l’orientation sexuelle, pouvant résulter de l’état civil), toutes les catégories de données financières (certificats de salaire, avis de taxation, etc.), les informations de crédit (ZEK/IKO, KREMO, etc.), ainsi que les données pouvant résulter d’un profilage, comme celles collectées lors de la visite de notre site Internet à des fins d’amélioration de la satisfaction client ou à des fins marketing. »
Considérant que sa réponse mettait vraisemblablement fin à la procédure engagée, la Banque ne se présente pas à la séance de conciliation fixée par le tribunal civil.
Au vu de ces éléments, le PFPDT informe la Banque de l’ouverture d’une enquête préalable au sens de l’art. 49 LPD. Dans le cadre de cette enquête, il constate que sur treize demandes d’accès reçues entre décembre 2023 et août 2024, seules quatre ont été traitées dans les délais légaux. De plus, les réponses fournies correspondent à des réponses standardisées, sans que les données personnelles traitées en tant que telles ne soient communiquées. Si la Banque a, en cours d’enquête, régularisé la situation pour les deux plaignants, ce n’est en revanche pas le cas pour les 11 autres personnes.
Par décision du 29 janvier 2025, le PFPDT enjoint la Banque de communiquer les données personnelles effectivement traitées à toutes les personnes ayant jusqu’à présent uniquement reçu une réponse standardisée à leur demande (art. 51 al. 3, let. g cum art. 25 al. 2, let. b LPD). Il prononce en outre, à l’encontre de cette dernière, un avertissement fondé sur l’art. 51 al. 4 LPD pour avoir répondu hors délai aux demandes d’accès et de manière incomplète. Un émolument de CHF 5’829.40 est mis à la charge de la Banque au titre de cette décision.
Des réponses hors délai
Le premier élément litigieux de cette affaire concerne la question du délai pour répondre à une demande d’accès. En l’occurrence, la Banque a reconnu dans le cadre de la première dénonciation avoir répondu hors délai. Dans la seconde affaire, trois demandes d’accès ont été formulées par la personne concernée, sans réponse dans les délais ni information sur un éventuel report. Ce n’est qu’au bout de neuf mois après la demande initiale que la réponse complète a finalement été transmise.
Ayant analysé plus largement la pratique de la Banque entre décembre 2023 et août 2024, le PFPDT constate que 9 des 13 demandes d’accès reçues par la Banque durant cette période ont été traitées hors délai, ce qui représente plus de trois quarts des cas. Dans le cadre de l’enquête en cours, la Banque a tenté de se défendre en argumentant qu’il était inexact de considérer que les retards constatés correspondent à sa pratique usuelle. Elle explique qu’il s’agit au contraire d’une situation exceptionnelle due à un manque temporaire de personnel.
Dans sa décision, le PFPDT relève que conformément à l’art. 25 al. 7 LPD, une demande d’accès doit être traitée dans un délai de 30 jours. Si ce délai ne peut pas être respecté, il incombe au responsable du traitement, en se fondant sur l’art. 18 al. 2 OPDo, d’en informer la personne concernée et de lui indiquer un nouveau délai. Or la Banque n’ayant jamais fait usage de cette faculté, elle a contrevenu à l’art. 25 al. 7 LPD.
Pareille interprétation permet de répondre à une controverse pratique concernant la question du délai. Selon l’art. 25 al. 7 LPD, les renseignements sont « en règle générale » fournis dans un délai de 30 jours. L’utilisation de l’expression « en règle générale » est plutôt inhabituelle pour la désignation d’un délai légal. Une partie de la doctrine en a conclu qu’il s’agissait dès lors d’un simple délai d’ordre dont l’inobservation n’aurait de ce fait aucune conséquence juridique en soi, si ce n’est qu’elle ouvre la voie à un possible dépôt d’une action judiciaire en exécution du droit d’accès. La présente décision tend à montrer le contraire. Elle affirme la portée impérative de ce délai, en tout cas lorsque le responsable du traitement ne fait pas usage de l’art. 18 al. 2 OPDo. Dans le cas présent, la violation des délais inscrits dans la LPD a conduit le PFPDT à prononcer à l’encontre de la Banque un avertissement soumis à un émolument de CHF 5’829.40.
Des réponses standardisées
Le deuxième point litigieux soulevé dans cette affaire concerne le contenu de la réponse à une demande d’accès. Plutôt que de fournir aux personnes concernées la liste des données personnelles effectivement traitées par la Banque à leur sujet, cette dernière leur a adressé une simple réponse standardisée dans laquelle elle indique uniquement les catégories de données traitées et renvoie pour plus de détail à sa notice de confidentialité.
Sur ce point, le PFPDT rappelle que conformément à l’art. 25 al. 1 de la LPD, toute personne physique peut demander au responsable du traitement si des données personnelles la concernant sont traitées. En vertu de l’al. 2, elle a droit à recevoir toutes les informations nécessaires pour faire valoir ses droits en vertu de la LPD et garantir la transparence du traitement. Cela inclut notamment, selon la let. b, les données personnelles traitées en tant que telles.
En l’espèce, un des dénonciateurs a exercé son droit d’accès après s’être vu refuser l’octroi d’une carte de crédit. Le PFPDT relève que l’usage du droit d’accès dans un tel cas doit permettre à la personne concernée d’évaluer sur la base de quels éléments ce refus lui est opposé afin de pouvoir, le cas échéant, faire valoir d’autres droits conférés par la LPD, en particulier le droit à la rectification des données (art. 32, al. 1, LPD). Si le refus repose sur des données erronées ou obsolètes, cela peut constituer une atteinte significative à la personnalité du client de la banque. Or ce dernier ne peut exercer efficacement ses droits ni contester la décision que s’il dispose d’un accès aux données effectivement détenues par la banque.
Cette décision du PFPDT permet de mieux circonscrire la portée et l’utilité du droit d’accès. Celui-ci ne se limite pas à la fourniture d’une simple explication générale ou une description abstraite des catégories de données traitées comme cela se pratique généralement dans les notices de confidentialité. Le droit d’accès oblige le responsable du traitement à fournir les données concrètes et effectives détenues par le responsable du traitement sur la personne concernée en tenant compte aussi, le cas échéant, du contexte dans lequel la demande s’inscrit.
Lorsqu’une demande de droit d’accès fait suite au refus d’une prestation, son exercice sert ainsi différents buts qui sont protégés par la LPD, notamment :
- vérifier l’exactitude des données ayant servi à la décision
- Faire rectifier les données éventuellement erronées
- comprendre la décision par rapport aux données en cause
Le PFPDT ne dit toutefois pas quelles données devraient être transmises. En pratique, les données suivantes peuvent toutefois entrer en ligne de compte dans un cas comme celui-ci :
- Score de crédit individuel ZEK / IKO / Moneyhouse
- Historique des demandes ou interactions (Customer Relationship Manager, CRM)
- Données de revenu ou solvabilité utilisées dans l’analyse du dossier
- Justifications de la décision (ex : « score trop faible » ou « revenu jugé insuffisant »)
- Origine des données (courtier, plateforme, etc.).
Cela ne signifie toutefois pas que chacune de ces données doive nécessairement être transmise sans autre examen. Le responsable du traitement conserve la possibilité d’invoquer un motif justificatif permettant de refuser leur transmission ou d’en restreindre la portée, par exemple en caviardant certaines informations (art. 26 LPD). Dans un tel cas, il incombe alors à la personne concernée de contester cette restriction par la voie judiciaire, si elle la juge injustifiée. Par contre, le responsable du traitement demeure tenu dans tous les cas d’informer la personne concernée de l’existence même de ces données. À défaut, il s’expose, comme dans le cas présent, à un risque de sanction administrative de la part du PFPDT ou, dans le pire des cas, à un risque de sanction pénale conformément à l’art. 60 al. 1 LPD (sur cette question : https://swissprivacy.law/366/).
Pour une réflexion détaillée autour du droit d’accès, cf. Livio di Tria, Naviguer dans l’incertitude : les défis pratiques liés à l’exercice du droit d’accès, in Jusletter 25 septembre 2023.
Proposition de citation : Michael Montavon, Données « en tant que telles » et délai de réponse du droit d’accès , 17 juillet 2025 in www.swissprivacy.law/367

