La CJUE épingle l’opérateur Orange România sur sa pratique consistant à collecter des documents d’identité par défaut
Ces derniers mois, la Cour de justice a eu l’opportunité de se prononcer en relation avec plusieurs affaires dont la pomme de discorde principale fut la protection des données. En novembre 2020, la Cour de justice a précisé les modalités à respecter s’agissant du recueil du consentement au sens du RGPD. Le présent arrêt s’inscrit dans la lignée de l’arrêt « Planet49 », une autre affaire datant d’octobre 2019 dans laquelle la Cour de justice avait également eu l’occasion de se déterminer sur les modalités à respecter s’agissant du recueil du consentement lors de l’utilisation de cookies.
La présente affaire a trait à un recours introduit auprès du Tribunal de grande instance de Bucarest par le fournisseur roumain de services de télécommunication Orange România contre une décision de l’autorité roumaine de protection des données (ANSDPCP) prononcée le 28 mars 2018. Cette décision a été infligée à Orange România qui, suite à la conclusion de contrats portant sur des services de télécommunication mobile, a conservé des copies de titres d’identité de ses nouveaux clients sans avoir démontré, selon l’autorité, que les clients avaient valablement donné leur consentement. La conclusion de ces contrats a eu lieu durant la période s’étalant du 1er au 26 mars 2018, soit deux mois avant la pleine applicabilité du RGPD.
Parmi les clauses pertinente des contrats figuraient une mention selon laquelle le client était informé et donnait son consentement à la conservation de documents officiels contenant des données personnelles à des fins d’identification. Cette mention était couplée à une case à cocher que le client devait remplir. Toutefois, et après examen par le Tribunal bucarestois, certains contrats contenaient déjà une croix dans la case à cocher, alors que dans d’autres, un telle croix faisait défaut.
Au vu de ce qui précède, deux questions préjudicielles sensiblement liées, puisque ayant trait aux modalités du consentement, ont été posées à la Cour de justice. La première a trait aux conditions qui doivent être remplies pour que l’on puisse considérer qu’une manifestation de volonté soit « spécifique » et « informée ». La seconde concerne pour sa part les conditions à respecter pour que cette manifestation soit considérée comme « librement exprimée ».
La Cour de justice précise avant tout que la Directive 95/46 s’applique ratione temporis à l’affaire, puisque la décision de l’autorité roumaine de protection des données a été adoptée en mars 2018, préalablement à la pleine applicabilité du RGPD. Toutefois, la décision contenait à la fois le prononcé d’une amende, mais également une injonction à l’égard d’Orange România lui imposant la destruction des titres d’identité récoltés. L’opérateur n’ayant vraisemblablement pas donné suite à cette injonction, la Cour de justice a estimé que le RGPD était dans le présent cas également applicable.
Modalités du consentement
S’agissant des modalités de la récolte du consentement en droit européen, la Cour de justice rappelle que la Directive 95/46, selon son art. 2 let. h, définit le consentement comme « toute manifestation de volonté, libre, spécifique et informée par laquelle la personne concernée accepte que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ». En sus, la personne concernée doit avoir « indubitablement donné son consentement » selon l’art. 7 let. h de la Directive 95/46.
S’agissant du RGPD, la définition du consentement est pour sa part plus stricte comme le souligne la Cour de justice. Celui-ci requiert, conformément à l’art. 6 par. 1 let. a RGPD, une manifestation de volonté « libre, spécifique, éclairée et univoque » prenant la forme d’une déclaration ou d’un acte positif clair. Ainsi, le consentement tel que prévu par le RGPD nécessite un comportement actif de la personne dont les données sont traitées. Sur cette notion de comportement actif, le considérant 32 RGPD amène un éclairage bienvenu en excluant que celui-ci soit donné « en cas de silence, de cases cochées par défaut ou d’inactivité. ».
La Cour de justice rappelle également que le fardeau de la preuve d’un tel consentement incombe au responsable du traitement conformément à l’art. 7 par. 1 RGPD et à l’art. 6 par. 1 let. a et par. 2 Directive 95/46.
Dans le cas d’espèce, la Cour de justice considère que les clients ne semblent pas avoir pu manifester, par un comportement actif, leur consentement étant donné que la case à cocher était déjà cochée, ce qui ne permet pas d’établir que la clause en question a été lue et assimilée.
En outre, la Cour de justice analyse également la notion de consentement « spécifique ». Cette notion doit être comprise dans le sens où la manifestation de volonté doit porter sur le traitement de données. Autrement dit, la demande de consentement en lien avec un traitement de données qui est faite dans le cadre d’une déclaration écrite générale, soit qui ne concerne pas uniquement le traitement de données, se doit d’être présentée sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions. Sur ce point, la Cour de justice laisse à la juridiction de renvoi le soin d’analyser si l’incorporation de cette case à cocher relative au traitement de données au sein d’un contrat se rapportant à une pluralité de clauses contractuelles peut être considéré comme manifestant un consentement spécifique.
Finalement, le caractère « libre » du consentement apparaît également comme problématique pour la Cour de justice, notamment au vu de la pratique d’Orange România d’exiger une déclaration écrite des clients s’opposant à la collecte de leur titre d’identité. Pour la Cour de justice, une telle déclaration écrite constitue une exigence supplémentaire de nature à affecter indûment le libre choix de s’opposer à la collecte. De plus, les clients ne sont pas informés des conséquences d’un refus à la collecte et conservation des copies de leurs pièces d’identité sur la conclusion d’un contrat avec Orange România. Ainsi, le client est susceptible d’être induit en erreur quant à la possibilité de conclure le contrat en question même en refusant le traitement desdites données.
Licéité du traitement
Cet arrêt traite des modalités de recueil du consentement, celui-ci étant la condition choisie par Orange România pour collecter et traiter des titres d’identité. Comme le rappelle la Cour de justice, qu’il s’agisse de la Directive 95/46 ou du RGPD, tous les deux prévoient une liste exhaustive des cas dans lesquels un traitement de données peut être considéré comme licite (à cet égard, voir l’art. 7, respectivement l’art. 6). Le système retenu par le droit européen est fondamentalement différent du système suisse, selon lequel un traitement de données personnelles n’est par per se illicite (art. 12 LPD a fortiori).
Si l’arrêt analyse de manière approfondie les modalités entourant le recueil du consentement, celui-ci reste silencieux quant aux autres conditions permettant de justifier un traitement de données conformément à l’art. 7 de la Directive 95/46 ou à l’art. 6 RGPD. La question reste ouverte, mais est-ce qu’Orange România aurait pu récolter ces titres d’identité sur la base de la nécessité contractuelle, d’un intérêt légitime, voire d’une obligation légale ?
À titre de comparaison, il est intéressant de souligner qu’en droit suisse, les fournisseurs de services de télécommunication doivent, dans le cadre de services de communication mobile (p.ex. conclusion d’un nouveau contrat de téléphonie mobile, portage d’un numéro auprès d’un nouveau fournisseur), vérifier l’identité de l’usager notamment au moyen d’un passeport ou d’une carte d’identité. En addition à ce contrôle, le fournisseur de services de télécommunication se doit de conserver une copie lisible du document d’identité en question. Cette obligation légale repose sur l’art. 20 de l’Ordonnance fédérale du 15 novembre 2017 sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication.
Proposition de citation : Eva Cellina / Livio di Tria, La CJUE épingle l’opérateur Orange România sur sa pratique consistant à collecter des documents d’identité par défaut, 17 janvier 2021 in www.swissprivacy.law/50
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