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Secret médical et dénonciations d’infractions pénales : le Tribunal fédéral tranche enfin

Frédéric Erard, le 1er avril 2021
Après avoir rappelé l’importance de l’institution du secret médi­cal et les condi­tions strictes auxquelles une dispo­si­tion légale peut y déro­ger, le Tribunal fédé­ral juge que le droit sani­taire tessi­nois qui oblige les soignants à signa­ler aux auto­ri­tés pénales toute suspi­cion de mala­die ou de bles­sure liée à une infrac­tion pour­sui­vie d’office est contraire au droit fédé­ral. Une telle déro­ga­tion vide en effet de sa substance l’institution du secret médical.

Arrêt du Tribunal fédé­ral 2C_​658/​2018 du 18 mars 2021, destiné à la publication

En 2017, le Parlement canto­nal tessi­nois a adopté plusieurs modi­fi­ca­tions de la loi canto­nale sur la santé (Legge sani­ta­ria, RS-TI 801.100) ayant prin­ci­pa­le­ment pour effet d’affaiblir le secret médi­cal. Le nouvel art. 68 al. 2 de la loi en ques­tion prévoit par exemple que le profes­sion­nel de la santé a l’obligation d’informer, dans un délai maxi­mum de 30 jours, le minis­tère public de tout cas de mala­die, de bles­sure ou de décès dont il prend connais­sance dans le cadre de sa fonc­tion ou de sa profes­sion et dont il a la certi­tude ou suspecte qu’il résulte d’une infrac­tion pour­sui­vie d’office. L’annonce peut égale­ment inter­ve­nir par l’intermédiaire du méde­cin canto­nal. Selon l’art. 68 al. 3 Legge sani­ta­ria, les soignants sont de surcroît obli­gés de signa­ler les infrac­tions commises par un autre profes­sion­nel, sans préju­dice du secret médi­cal dans la rela­tion thérapeutique.

En août 2018, quatre méde­cins ont déposé un recours auprès du Tribunal fédé­ral visant entre autres à faire annu­ler l’art. 68 al. 2 Legge sani­ta­ria et de limi­ter les cas d’annonces obli­ga­toires aux situa­tions de décès liées à une suspi­cion de crime.

Après avoir jugé le recours contre l’acte norma­tif canto­nal rece­vable, le Tribunal fédé­ral rappelle que le secret médi­cal protégé par l’art. 321 CP (secret profes­sion­nel) est une insti­tu­tion juri­dique impor­tante du droit fédé­ral qui sert non seule­ment à proté­ger la vie privée du patient et la rela­tion de confiance entre le méde­cin et le patient, mais aussi à préser­ver l’intérêt public à la confiance de la popu­la­tion à l’égard des profes­sion­nels de la santé.

Conformément à la lettre de l’art. 321 ch. 3 CP, qui a été révisé le 1er janvier 2019, le secret profes­sion­nel peut être limité en présence de dispo­si­tions de la légis­la­tion fédé­rale et canto­nale statuant un droit d’aviser une auto­rité et de colla­bo­rer, une obli­ga­tion de rensei­gner une auto­rité ou une obli­ga­tion de témoi­gner en justice. Le Tribunal fédé­ral constate qu’en dépit de l’augmentation des pres­crip­tions fédé­rales dans le domaine de la santé, les cantons disposent encore d’importantes compé­tences dans ce secteur. La dispo­si­tion du droit tessi­nois qui oblige les profes­sion­nels de la santé à signa­ler au dépar­te­ment et le méde­cin canto­nal de tout fait suscep­tible de mettre en danger la santé publique n’est par exemple pas contesté par les recourants.

Alors que la protec­tion de l’ordre et de la sécu­rité publique relève elle aussi dans une bonne mesure de la compé­tence des cantons, le person­nel médi­cal se trouve, de par sa fonc­tion, dans une posi­tion privi­lé­giée d’observateur de nouvelles menaces pour la sécu­rité publique ou pour le patient lui-même. Le Tribunal fédé­ral souligne toute­fois que les déro­ga­tions au secret profes­sion­nel, aussi bien par le biais des déro­ga­tions légales au secret que par la levée du secret par l’autorité compé­tente (art. 321 ch. 2 CP), ne doivent être admises que de manière restric­tive. Par prin­cipe, il convient par exemple de recher­cher le consen­te­ment du patient en priorité.

Comme les obli­ga­tions légales de signa­ler (art. 321 ch. 3 CP) consti­tuent une ingé­rence impor­tante au secret profes­sion­nel, il est impé­ra­tif qu’elles portent sur des faits clai­re­ment défi­nis. Dans les faits, de telles obli­ga­tions ont pour effet de limi­ter la capa­cité du profes­sion­nel de la santé à appré­cier une situa­tion parti­cu­lière et à procé­der à une évalua­tion des inté­rêts en présence. En amont, le légis­la­teur doit donc procé­der à l’identification d’un inté­rêt qui est en prin­cipe supé­rieur à la protec­tion du secret médi­cal. Le Tribunal fédé­ral en conclut que, dans la mesure du possible, le légis­la­teur doit privi­lé­gier les solu­tions les moins inci­sives et, surtout, ne doit pas rendre le secret médi­cal illu­soire en vidant ce dernier de sa substance. Les déro­ga­tions au secret médi­cal doivent de surcroît respec­ter le droit supé­rieur, repo­ser sur une base légale suffi­sante, être justi­fiées par un inté­rêt public et respec­ter le prin­cipe de proportionnalité.

Contrairement à ce qu’invoquent les recou­rants, le Tribunal fédé­ral juge que la dispo­si­tion canto­nale obli­geant les soignants à signa­ler au minis­tère public toute suspi­cion de mala­die, bles­sure ou mort résul­tant d’une infrac­tion pour­sui­vie d’office (art. 68 al. 2 Legge sani­ta­ria) n’est pas contraire au prin­cipe de primauté du droit fédé­ral. S’il avait laissé ouverte la ques­tion de savoir dans quelle mesure le droit canto­nal pouvait prévoir une telle obli­ga­tion dans un arrêt précé­dent (arrêt du TF 1B_​96/​2013 du 20 août 2013), il expose ici que les cantons disposent de compé­tences en matière de santé et d’hygiène publique, ainsi que dans le domaine de l’ordre et la sécu­rité publique. En vertu de l’art. 321 ch. 3 CP, les cantons peuvent donc en prin­cipe prévoir des obli­ga­tions d’aviser dans ces domaines, même depuis l’entrée en vigueur du Code de procé­dure pénale en 2011.

Le Tribunal fédé­ral donne cepen­dant raison aux recou­rants lorsqu’ils soutiennent que l’article 68 al. 2 Legge sani­ta­ria évin­ce­rait les garan­ties offertes par le secret profes­sion­nel. Telle qu’elle est énon­cée, cette dispo­si­tion prévoit un devoir géné­ral et étendu de signa­ler, sans être limi­tée à des situa­tions spéci­fiques dans lesquelles une pesée des inté­rêts peut être menée en amont. Elle est égale­ment indé­pen­dante de la gravité du danger pour l’intégrité et la santé du patient et pour­rait donc ébran­ler la rela­tion de confiance entre méde­cin et patient. Cette dispo­si­tion vide donc de sa substance le secret professionnel.

Le Tribunal fédé­ral parvient ainsi à la conclu­sion que l’art. 68 al. 2 Legge sani­ta­ria doit donc être annulé dans la mesure où il oblige l’annonce des bles­sures ou des mala­dies. L’obligation de dénon­cer les décès dans les condi­tions prévues par la dispo­si­tion concer­née est quant à elle compa­tible avec le droit fédé­ral (art. 253 al. 4 CPP), selon lequel les cantons dési­gnent les membres du person­nel médi­cal tenus d’annoncer les cas de morts suspectes aux auto­ri­tés pénales.

En ce qui concerne l’obligation faite aux soignants de dénon­cer les infrac­tions commises par d’autres profes­sion­nels de la santé, sans préju­dice du secret médi­cal dans la rela­tion théra­peu­tique (art. 68 al. 3 Legge sani­ta­ria), le Tribunal fédé­ral juge que cette dispo­si­tion manque de préci­sion. Alors que sa viola­tion est punis­sable péna­le­ment sur la base d’une dispo­si­tion pénale géné­rale figu­rant à la fin de la Legge sani­ta­ria, les situa­tions visées par l’art. 68 al. 3 Legge sani­ta­ria ne sont pas suffi­sam­ment défi­nies. Cette dispo­si­tion s’adresse à tous les profes­sion­nels de la santé sans distinc­tion et ne tient pas compte de la diver­sité des situa­tions à évaluer. Ainsi, elle ne permet pas au profes­sion­nel de la santé de déter­mi­ner avec suffi­sam­ment de certi­tude les cas indi­vi­duels dans lesquels une décla­ra­tion est obli­ga­toire. Elle est donc diffi­cile à mettre en œuvre et ne répond donc pas aux exigences du droit pénal. Faute d’être compa­tible avec le droit supé­rieur, elle doit donc être annulée.

Les recou­rants ont par ailleurs contesté la vali­dité de l’art. 20 al. 4 Legge sani­ta­ria selon lequel le secret profes­sion­nel ne peut pas être opposé à l’autorité de surveillance si les infor­ma­tions sont deman­dées dans le cadre de l’exercice de ses fonc­tions d’inspection et de surveillance. Ils font notam­ment vouloir qu’une telle auto­rité ne pour­rait pas avoir des pouvoirs plus éten­dus que le minis­tère public en matière d’accès aux docu­ments couverts par le secret profes­sion­nel. L’argument est rejeté par le Tribunal fédé­ral, qui juge que l’autorité de surveillance agit dans l’intérêt premier du patient et que ses membres sont eux aussi tenus au secret de fonc­tion. Cela permet de tenir suffi­sam­ment compte de la protec­tion de la sphère privée du patient. Dans le cadre de la surveillance de routine par exemple, il est primor­dial que l’autorité de surveillance puisse accé­der et analy­ser les dossiers médi­caux. Le prin­cipe de propor­tion­na­lité doit néan­moins conti­nuer à s’appliquer et la confi­den­tia­lité des patients doit être suffi­sam­ment prise en compte.

En synthèse, le Tribunal fédé­ral annule donc une dispo­si­tion de droit canto­nal obli­geant les soignants à signa­ler à l’autorité pénale toute suspi­cion de mala­die ou de bles­sure liée à une infrac­tion commise d’office puisqu’elle vide de sa substance le secret médi­cal. Il annule égale­ment une dispo­si­tion légale obli­geant les soignants à signa­ler les infrac­tions commises par d’autres soignants en raison de son manque de précision.

Cet arrêt était attendu depuis long­temps. La vali­dité des déro­ga­tions légales au secret profes­sion­nel prévues par le droit canto­nal en lien avec la dénon­cia­tion d’infractions pénales était en effet une ques­tion latente, d’autant plus que les dispa­ri­tés canto­nales en la matière sont parti­cu­liè­re­ment impor­tantes et régu­liè­re­ment criti­quées par la doctrine. Par le passé, le Tribunal fédé­ral s’était penché à plusieurs reprises sur cette problé­ma­tique (voir par exemple : https://​swiss​pri​vacy​.law/​28/), s’étant toute­fois malheu­reu­se­ment jusqu’ici contenté de lais­ser la ques­tion large­ment ouverte.

Plusieurs ensei­gne­ments peuvent être tirés de cet arrêt. Le Tribunal fédé­ral a volon­tai­re­ment choisi d’examiner si la (large) obli­ga­tion de signa­ler des infrac­tions pénales prévue par le droit tessi­nois violait ou non le prin­cipe de primauté du droit fédé­ral, en parti­cu­lier sous l’angle du champ maté­riel du Code de procé­dure pénale. Les juges de Mon Repos ont décidé que tel n’était pas le cas, en raison des impor­tantes compé­tences légis­la­tives conser­vées par les cantons non seule­ment en matière de santé, mais aussi dans le domaine de l’ordre et la sécu­rité publique. Cette solu­tion est sujette à débat, mais elle présente au moins l’avan­tage d’offrir une réponse. La diver­sité des solu­tions qui conti­nue à préva­loir entre les cantons dans ce domaine reste néan­moins problé­ma­tique. Eu égard au fait que la procé­dure pénale est réglée à l’échelon fédé­ral, il serait bien­venu que le légis­la­teur fédé­ral empoigne la ques­tion et règle les signa­le­ments d’infractions de manière uniformisée.

Cet arrêt a ensuite le mérite de « repla­cer le secret médi­cal au milieu du village », si l’on peut dire. En d’autres termes, le Tribunal fédé­ral a certes reconnu que les cantons béné­fi­ciaient d’une certaine marge de manœuvre, mais ils ne peuvent porter atteinte à la substance même du secret médi­cal. Pour construire son propos, le Tribunal fédé­ral s’est appli­qué à rappe­ler en détail les inté­rêts proté­gés par cette insti­tu­tion et les condi­tions – strictes – auxquelles il est possible d’y déro­ger. Les déro­ga­tions au secret médi­cal doivent non seule­ment être conformes au droit supé­rieur, mais être énon­cées de manière claire, viser des situa­tions suffi­sam­ment précises, repo­ser sur une base légale suffi­sante, être justi­fiées par un inté­rêt public et être propor­tion­nées. Ce rappel est parti­cu­liè­re­ment bien­venu au regard de la proli­fé­ra­tion des déro­ga­tions au secret médi­cal, de « quali­tés variables » qui existent aujourd’hui en droit suisse.

Même s’ils touchent de manière inci­dente le secret médi­cal, les déve­lop­pe­ments du Tribunal fédé­ral sur la sécu­rité juri­dique (en lien avec l’art. 68 al. 3 Legge sani­ta­ria) sont eux aussi dignes d’intérêt. Ils peuvent tout aussi bien s’appliquer au cadre légal géné­ral qui entoure le secret médi­cal en Suisse. Ce cadre est aujourd’hui complexe, peu clair et morcelé. Pour une insti­tu­tion impor­tante du droit suisse, comme le rappelle le Tribunal fédé­ral, le secret médi­cal néces­site sans doute une sécu­rité juri­dique bien meilleure.

Au final, cet arrêt, dont le résul­tat est satis­fai­sant, apporte des préci­sions bien­ve­nues et doit donc être salué.



Proposition de citation : Frédéric Erard, Secret médical et dénonciations d’infractions pénales : le Tribunal fédéral tranche enfin, 1er avril 2021 in www.swissprivacy.law/67


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