La garantie de confidentialité dans l’affaire Swisscom
Arrêt TF 1C_500/2020 du 11 mars 2021
Après avoir été victime d’une fuite de données de ses clients, Swisscom communique avec le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence et de nombreux échanges de courriels entre les deux ont lieu. Ces échanges font l’objet d’une demande d’accès au sens de l’art. 6 LTrans par la RTS. Le PFPDT fait droit à cette requête, tout en caviardant quelques données personnelles, dont celles des collaborateurs de l’entreprise.
S’opposant à cette décision devant le Tribunal administratif fédéral, Swisscom fait grief au Préposé fédéral de ne pas avoir respecté la garantie de confidentialité au sens de l’art. 7 al. 1 let. h LTrans qu’il lui aurait donnée, mais l’existence de celle-ci est niée dans un arrêt A‑2564/2018 du 5 août 2020. Le raisonnement retenu par cette autorité a été commenté par Hirsch. Swisscom (la recourante) l’a également contesté devant le Tribunal fédéral qui s’est prononcé par arrêt 1C_500/2020 du 11 mars 2021.
La recourante se prévaut en premier lieu de l’existence d’une garantie de confidentialité de l’art. 7 al. 1 let. h LTrans, au terme duquel une restriction est justifiée lorsque l’accès « peut avoir pour effet de divulguer des informations fournies librement par un tiers à une autorité qui en a garanti le secret ».
Le Tribunal fédéral énonce trois conditions cumulatives pour que cette disposition s’applique en se référant à la doctrine : (1) l’information doit émaner d’un privé, à l’exclusion d’une administration, et être destinée à l’autorité ; (2) elle doit être fournie librement, ce qui implique l’absence à la fois de contrainte ou d’obligation légale ou contractuelle ; (3) enfin, le privé communiquant l’information doit « explicitement » avoir requis que celle-ci demeure secrète et l’autorité doit « expressément » avoir accordé une garantie de confidentialité.
En l’espèce, la réalisation des deux premières conditions n’est pas contestée et le cœur du litige réside dans l’existence ou non d’une garantie de confidentialité.
À cet égard, le Préposé fédéral en personne ne nie pas avoir fourni une garantie par oral à l’occasion d’un appel téléphonique. Il précise toutefois que sa garantie s’appuyait sur son secret de fonction et n’avait que pour but de permettre à l’entreprise d’informer elle-même les personnes concernées par la fuite et de prendre des mesures de protection des données personnelles. Dès lors, le PFPDT considère s’être engagé à ne pas informer le public de la fuite avant Swisscom (« information active »), mais que le public restait en droit de requérir de lui des informations en se fondant sur la LTrans (« information passive »).
Pour la recourante toutefois, le secret de fonction est garanti de par la loi, si bien que lorsqu’une garantie est fournie par le Préposé fédéral avant que l’information ne soit dévoilée, il ne peut que s’agir de la garantie, à tout le moins « tacite », de confidentialité au sens de l’art. 7 al. 1 let. h LTrans.
Le Tribunal fédéral rejette l’interprétation de la recourante, en la jugeant contraire « au but et au sens » de la LTrans, mais aussi à la « volonté du Conseil fédéral (sic) ». Il est d’avis que l’art. 7 al. 1 let. h LTrans impose à toute autorité et, en l’espèce, au PFPDT une « pratique très restrictive » nécessitant un examen « au cas par cas ». S’il devait en aller autrement et que l’administration était autorisée à offrir de façon étendue des garanties de secret, la Loi sur la transparence serait privée de sa substance et son application concrète ne correspondrait plus à la volonté du législateur. Une demande et une garantie peuvent être « implicites », mais ces dernières ne doivent être admises qu’avec une « très grande retenue » selon le Conseil fédéral (FF 2003 1807, 1853).
Sans le dire, le Tribunal fédéral ne perçoit pas dans les éléments avancés par la recourante une quelconque garantie de confidentialité dont l’existence n’est donc pas démontrée. Swisscom se réfère en outre à la mention « Geheim » (« Secret ») sur une présentation à destination du Préposé fédéral et à l’un de ses courriels à ce dernier précisant que les informations transmises sont « natürlich […] vertraulich » (« bien sûr […] confidentielles »), mais ces éléments ne permettent pas de retenir qu’une garantie de confidentialité, même tacitement, aurait été octroyée.
La forme écrite pour la garantie de confidentialité est recommandée à des fins probatoires, mais elle n’est pas « obligatoire » pour autant selon l’art. 7 al. 1 let. h LTrans. Néanmoins, le Tribunal fédéral juge que la recourante, représentée par des personnes expérimentées, aurait dû se référer « clairement » à cette disposition légale ou demander que la garantie soit formulée par écrit, cela d’autant plus en raison du fait que certains des hauts cadres de Swisscom impliqués dans cette affaire étaient « suffisamment qualifiés » dans le domaine pour ne pas se contenter d’une promesse orale. Par ailleurs, il n’appartient pas à l’autorité d’attirer l’attention des administrés au sujet de la confidentialité.
Invoquant en outre une violation du principe de la bonne foi découlant de l’art. 9 de la Constitution fédérale, la recourante ne démontre toutefois pas avoir subi un quelconque préjudice. Enfin, le grief relatif à la violation de l’art. 7 al. 2 LTrans est également mal fondé, dans la mesure où aucune atteinte à la sphère privée de tiers n’est établie. En effet, les noms des collaborateurs ont été anonymisés sur décision du PFPDT et l’autorité inférieure a également exigé le « noircissement » d’un élément particulier.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Comme Hirsch l’a relevé, tout particulier sollicitant le conseil du PFPDT au sens de l’art. 28 LPD devrait requérir explicitement une garantie de confidentialité en se référant explicitement à l’art. 7 al. 1 let. h LTrans s’il entend s’en prévaloir pour s’opposer à la transparence de ses échanges avec le Préposé fédéral.
Pour autant, la critique de cet auteur selon laquelle l’exigence d’une preuve écrite « frôle le formalisme excessif » ne peut être suivie. À cet égard, il ne saurait être perdu de vue que la demande d’accès fondée sur l’art. 6 LTrans est la clé de voûte de la loi et du but de transparence qu’elle promeut (art. 1), tandis qu’une garantie de confidentialité au sens de l’art. 7 al. 1 let. h LTrans y fait obstacle. Dans la mesure où une telle garantie permettrait à l’autorité elle-même de déroger au principe de la transparence, elle ne peut et ne doit être donnée que de façon « très restrictive », retient le Tribunal fédéral.
Certes, le législateur n’érige aucune exigence de forme pour cette garantie. En raison de sa portée dérogatoire toutefois et de son admission restrictive, il s’impose de retenir selon nous qu’elle doit être claire ou expresse et d’exclure ainsi toute garantie tacite. À défaut, l’autorité pourrait contourner la transparence et par là vider la loi de sa substance. En somme, le doute doit profiter à la transparence et la dérogation à celle-ci dans une garantie de confidentialité doit être transparente.
En l’espèce, c’est bel et bien le résultat auquel aboutit le Tribunal fédéral en ayant des exigences de forme particulières lorsqu’une procédure implique des personnes disposant de connaissances particulières en matière de protection des données et de transparence ou qui sont assistées par des conseils jouissant de telles connaissances. Cela revient à admettre que l’existence d’une garantie implicite ou tacite dans ces circonstances est vraisemblablement exclue.
L’entrée en vigueur prochaine de la révision totale de la Loi sur la protection des données aura un impact lorsqu’une garantie de confidentialité sera demandée à la suite d’une fuite de données. En effet, l’art. 24 al. 1 nLPD instaure une obligation légale d’annonce du responsable de traitement au PFPDT des « cas de violation de la sécurité des données entraînant vraisemblablement un risque élevé pour la personnalité ou les droits fondamentaux de la personne concernée ». Il s’ensuit que cette annonce ne sera plus libre, mais au contraire obligatoire. Par conséquent, une garantie de confidentialité ne pourra plus être requise en présence d’un « risque élevé ». Cela supposera donc d’apprécier ce dernier, car en son absence, l’annonce ne sera pas obligatoire. Dans ce cas de figure, l’annonce restera à la libre appréciation du responsable du traitement et sera donc libre au sens de l’art. 7 al. 1 let. h LTrans, si bien qu’une garantie pourrait être demandée.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, La garantie de confidentialité dans l’affaire Swisscom, 10 mai 2021 in www.swissprivacy.law/71
Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.