Accès aux contrats d’acquisitions des vaccins contre le COVID-19 ? Oui, mais …
Recommandation PFPDT du 18 janvier 2022, Wyssmann c. OFSP1
I. En fait
Début août 2021, l’avocat et député soleurois Rémy Wyssmann adresse à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) une demande d’accès aux contrats de vaccins contre le COVID-19 conclus par la Confédération. Le requérant cherche en outre à obtenir plusieurs informations sur le nombre de contrats, le nom des entreprises et fournisseurs, l’existence ou non d’une pénurie de vaccins, etc.
L’OFSP refuse la demande en se référant aux quatre recommandations rendues par le PFPDT déniant un droit d’accès à ces contrats (dont la première a été résumée sur swissprivacy.law/30), ainsi qu’à ses prises de position lors des procédures y relatives.
Le PFPDT est alors saisi et, ensuite de l’échec de la procédure de médiation, il rend la présente recommandation le mois dernier.
II. En droit
Dans un premier temps, l’OFSP fait valoir que la situation sanitaire n’a que peu changé par rapport à l’automne 2020, période à laquelle les recommandations ont été rendues. L’évolution de la pandémie demeure imprévisible en raison notamment des mutations du virus, tandis que l’acquisition de vaccins et leur livraison est toujours marquée par des incertitudes, auxquelles s’ajoutent les interrogations relatives à l’efficacité des vaccins contre les variants. L’approvisionnement se poursuit et tant qu’il en ira ainsi l’accès aux documents requis « risque de compromettre les intérêts de la politique économique » du pays au sens de l’art. 7 al. 1 let. f LTrans et justifie le refus, les autres exceptions restant réservées. S’agissant plus particulièrement des contrats tripartites ayant impliqué d’autres pays comme la Suède, leur accès menacerait les bonnes relations avec les États de l’AELE, c’est-à-dire « les intérêts de la Suisse en matière de politique économique extérieure et ses relations internationales » (art. 7 al. 1 let. d LTrans).
Le requérant fait grief à l’autorité de violer son obligation de motivation compte tenu du fait que la situation au jour de la demande est à ses yeux totalement différente de la période lors de laquelle les recommandations du PFPDT ont été rendues. Dès lors que l’offre de vaccins surpasse la demande et que l’OFSP a de la peine à écouler tous les vaccins, il n’existe pas de pénurie de vaccins, de telle sorte que l’art. 7 al. 1 let. f LTrans est inapplicable en l’espèce.
À la suite des premiers échanges, l’OFSP admet ne pas avoir démontré en quoi les intérêts politico-économiques de la Suisse seraient encore mis en danger en cas d’accès aux documents, ce qu’il explique en précisant que si la Confédération a bel et bien suffisamment de vaccins à ARN messager (ARNm), il en va autrement s’agissant des vaccins à vecteur et à protéines pour lesquels il existe une pénurie. Des négociations sont en cours pour l’achat de doses suffisantes pour les deux années à venir, si bien que l’approvisionnement de la Confédération n’est pas encore terminé. Qui plus est, l’achatporte sur une denrée rare dont l’acquisition n’obéit pas aux règles du libre marché et il ne faut pas s’attendre à ce que cela change avant la fin de l’année 2022. En cas de divulgation des contrats, la Suisse serait contrainte de donner les mêmes garanties à de futurs cocontractants, raison pour laquelle la conclusion de nouveaux contrats serait plus difficile.
Après avoir présenté les positions des parties, le PFPDT se réfère à divers communiqués de presse et déclarations de l’OFSP et constate notamment que :
- le 25 août 2021, l’OFSP annonce que la Confédération a conclu un nouveau contrat avec Pfizer pour des vaccins contre la maladie de COVID-19 grâce auquel « la population suisse continuera de disposer d’une quantité suffisante […] ces deux prochaines années » ;
- le 23 septembre 2021, l’OFSP indique que la Confédération dispose de suffisamment de vaccins, mais qu’il s’agit uniquement de vaccins ARNm ;
- le 1er octobre 2021, l’OFSP annonce avoir acheté le vaccin autorisé par Swissmedic de Johnson & Johnson qui « offre à la population suisse une alternative aux vaccins à ARNm de Pfizer/BioNTech et Moderna ».
Selon le PFPDT, le facteur temps peut faire perdre aux exceptions de l’art. 7 al. 1 LTrans leur importance si la situation initiale vient à évoluer. À cet égard, il souligne que les recommandations qu’il a émises sur le sujet étaient jusqu’à maintenant fondées sur la constellation extraordinaire due à l’absence de vaccins.
Cela étant dit, le PFPDT explique être lié par le constat de l’OFSP selon lequel le processus d’acquisition de vaccins n’est pas encore terminé et reste marqué par une situation exceptionnelle, malgré le fait qu’il n’existe plus de pénurie de vaccins. L’OFSP est en effet l’office spécialisé et a une perception directe des négociations avec les fabricants de vaccins.
Néanmoins, le PFPDT ne peut ignorer que, lors de la révision de la Loi COVID-19 (objet n° 21.066), le législateur a laissé entrevoir une volonté politique d’accorder au moins autant d’importance à la transparence, différée depuis bientôt deux ans, par rapport aux intérêts économiques de la Confédération. Une disposition consacrant la publication des contrats a été plébiscitée par le Conseil national en effet (BO 2021 N 2295, 2299, 2303 s.), mais finalement abandonnée devant le refus du Conseil des États, sur proposition de la conférence de conciliation. À juste titre, il a été dit lors des débats parlementaires que les intérêts privés des fabricants devaient être pris en considération dans le cadre d’une demande d’accès, la Loi sur la transparence protégeant le secret d’affaires (art. 7 al. 1 let. g) et la sphère privée des entreprises concernées (al. 2).
En l’espèce, l’OFSP n’a pas consulté les fabricants, si bien que leurs intérêts n’ont pas encore été concrètement examinés en raison de la position soutenue par cette autorité. Ce faisant, l’OFSP n’a pas expliqué quelle partie des documents requis est couverte par le secret d’affaires et dans quelle mesure leur divulgation pourrait éventuellement avoir pour effet de compromettre les intérêts économiques de la Suisse.
Par ailleurs, le PFPDT considère que si les entreprises concernées s’opposeraient à l’accès aux documents requis. Si tel n’était pas le cas, alors différer l’accès aux documents serait infondé. Si c’est le cas en revanche, l’OFSP ne démontre pas pourquoi les fabricants devraient en cas d’accès accorder à la Suisse des conditions moins avantageuses que jusqu’à maintenant d’un point de vue économique. Ainsi, on ne voit pas pourquoi les craintes de l’OFSP ne pourraient pas être évitées par un caviardage.
Dès lors que le législateur a fait part de sa volonté d’accorder au moins autant d’importance à la transparence par rapport aux intérêts économiques de la Suisse, on peut désormais attendre de l’OFSP qu’il entreprenne des efforts supplémentaires pour démontrer le risque invoqué selon le PFPDT. En l’absence de déclarations ou de preuves concrètes selon lesquelles les entreprises concernées imposeraient des charges économiques supplémentaires à la Suisse en cas d’accès aux documents requis, la menace aux intérêts économiques du pays n’est plus suffisamment démontrée. Le refus fondé sur l’art. 7 al. 1 let. f LTrans ne se justifie donc plus et doit donc être écarté.
Il en va de même selon le PFPDT s’agissant de l’art. 7 al. 1 let. d LTrans, car l’OFSP n’a pas démontré l’existence d’une menace pour les intérêts de la politique extérieure de la Suisse, pas plus que l’intérêt d’un État à la confidentialité des documents requis ou le fait que la divulgation détériorerait les relations entre États.
Fondé sur ce qui précède, le PFPDT recommande à l’OFSP de consulter les entreprises concernées et d’accorder au requérant l’accès aux documents requis.
III. Commentaire
À l’heure actuelle, nous ignorons si la présente recommandation a été acceptée par l’OFSP ou si cette autorité a rendu, en application de l’art. 15 al. 2 LTrans, une décision refusant l’accès aux documents requis et, cas échéant, si cette décision a été déférée au Tribunal administratif fédéral. Les prochaines semaines nous le diront*.
L’accessibilité des vaccins contre le COVID-19 en quantité suffisante pour une longue période à l’échelle de la crise que nous vivons depuis mars 2020 couplée à l’évolution positive de la situation épidémiologique laissent penser selon nous que la Confédération, comme d’autres pays, se trouve dans une meilleure posture pour de futures négociations avec les fabricants. Quand bien même le marché en la matière n’est pas libre, l’offre tend à s’accroître et à se normaliser selon l’OFSP. Dans ce contexte, la divulgation des documents requis n’apparaît plus aujourd’hui entraver les intérêts économiques du pays et la recommandation du PFPDT se justifie sur le fond.
Qui plus est, la différence entre la situation d’aujourd’hui par rapport à la première recommandation du PFPDT rendue au mois d’octobre 2020 (swissprivacy.law/30) rend peu compréhensible le fait que l’OFSP ait persisté dans son invocation de l’exception tirée de l’art. 7 al. 1 let. f LTrans. De la même manière, l’inexistence d’une pénurie de vaccins à ARNm, à tout le moins pour les deux prochaines années, ainsi que l’existence d’une alternative à ce type de vaccins sont des faits que l’OFSP n’a admis que dans un second temps en se retranchant de manière discutable au regard de l’obligation de motivation (art. 35 PA) derrière des recommandations du PFPDT de toute évidence plus d’actualité.
Cela étant, la référence du PFPDT à une volonté politique quant à la divulgation des contrats nous semble tout aussi discutable. Certes, une majorité politique s’est dégagée en faveur de l’inclusion d’une disposition dans la Loi-Covid dérogeant à l’art. 7 LTrans sous réserve de l’al. 1, let. d et f, cela à deux reprises devant Conseil national (BO 2021 N 2305 : 118 pour, 70 contre, 4 abstentions / BO 2021 N 2437 : 105 pour, 87 contre, 2 abstentions). Toutefois, pareille proposition s’est heurtée au rejet unanime du Conseil des États et démontre que le législateur reste divisé. Il est difficile par conséquent de déduire du processus législatif une volonté politique hypothétique, même s’il existe bel et bien un signal en faveur de la transparence.
Enfin, cette recommandation n’a pas pour effet une accessibilité immédiate des documents requis, mais uniquement de faire sauter un premier verrou. À présent, et si l’OFSP accepte la recommandation, les fabricants vont devoir être consultés et pourront faire valoir l’existence, en particulier, de « secrets professionnels, d’affaires ou de fabrication » (art. 7 al. 1 let. g LTrans). Affaire à suivre…
- * Mise à jour du 23 février 2022 : en dérogation à la recommandation du PFPDT, nous avons appris que l’OFSP a rendu une décision différant l’accès jusqu’au 30 juin 2022 au plus tard. L’autorité estime en effet que l’acquisition des vaccins contre le COVID-19 n’est pas encore terminée et s’attend à ce qu’elle le soit d’ici cette date. Ce n’est qu’au terme du processus d’acquisition des vaccins que les fabricants seront ensuite consultés conformément à la recommandation. Le requérant peut néanmoins former recours au Tribunal administratif fédéral et le délai y relatif n’est pas encore échu.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Accès aux contrats d’acquisitions des vaccins contre le COVID-19 ? Oui, mais …, 16 février 2022 in www.swissprivacy.law/125
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